Chronique n°11
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La compétition et l’idéologie néolibérale
Les acteurs sociaux peuvent entrer en relation selon quatre modalités différentes : ils peuvent établir entre eux des relations de collaboration, de conflit, de compétition ou de contradiction. Les deux premières ont généralement des effets positifs : la collaboration permet aux deux parties d’atteindre des objectifs communs, qui profitent à chacune, et le conflit, qui surgit quand elles ne sont plus d’accord entre elles, leur permet de rétablir leur coopération sur des bases plus acceptables pour les deux. Il n’en va pas du tout de même pour les deux autres formes d’échange. Pourquoi ? Parce que ce sont des relations « à somme nulle », c’est-à-dire que tout ce que l’un gagne et perdu par l’autre. Ainsi, dans la contradiction (une guerre par exemple), il est évident que le but est non seulement de gagner, mais aussi de couper la relation avec l’autre, voire de l’éliminer par n’importe quels moyens. C’est la même chose dans la compétition (une élection ou une épreuve sportive, par exemple), sauf qu’il y a des « règles du jeu » communes à tous et qu’il y a un arbitre pour veiller à ce qu’elles soient respectées et punir ceux qui trichent ; mais le but de la compétition est bien de gagner en faisant perdre l’autre, sans aller jusqu’à couper l’échange avec lui. Notez bien qu’une relation peut évoluer. Amusez-vous avec une relation de couple, par exemple : elle peut commencer par une collaboration, mener à des conflits, devenir une compétition et finir par une contradiction.
Voilà quatre « mots » qui peuvent nous aider à comprendre comment fonctionne le régime économique, politique et social sur lequel se fonde le capitalisme néolibéral aujourd’hui. L’idéologie néolibérale repose, en effet, sur l’idée centrale que « la compétition, c’est bon » ! Pour vous en convaincre, je vous invite à lire les chroniques publiées sur ce site par Omar Aktouf, et tout particulièrement, celle qu’il a consacrée à « La main invisible du marché : alibis de domination ». Vous y trouverez, bien sûr, le crédo (vieux de 3 siècles au moins) du libéralisme : « Grâce à la main invisible du marché, la somme des intérêts individuels finit par faire l’intérêt général. » Ainsi, lorsque cette classe dominante, qui gère le capitalisme néolibéral d’aujourd’hui, déclare que « la compétition est une bonne chose parce qu’elle permet de sélectionner les produits les meilleurs et les moins chers (rapport qualité/prix) », elle prétend servir à la fois les intérêts des consommateurs (donc l’intérêt général, puisque nous consommons tous), tout en servant aussi les intérêts particuliers des marchands (faire des profits commerciaux ou financiers). Elle sert donc les intérêts particuliers des marchands, tout en prétendant qu’ainsi, elle sert aussi l’intérêt général.
En tenant ce langage, la classe mercantiliste tient ce qu’on appelle un « discours idéologique » : elle fait croire aux gens que l’intérêt général coïncide avec ses intérêts particuliers. Pour leur faire croire cela, elle invoque une raison légitime (défendre les consommateurs) pour ne pas être obligée d’avouer ses raisons illégitimes (s’enrichir en créant des inégalités sociales et du chômage ; détruire l’environnement et la santé des consommateurs ; pratiquer l’obsolescence programmée ; se livrer à l’évasion et la fraude fiscales ; réduire les ressources financières des États nationaux ; pratiquer l’impérialisme, etc.). Peut-on dire qu’elle ment ? Oui, mais… ce n’est pas si simple : parfois, elle croit sincèrement que ce qu’elle fait est bon pour tout le monde. Disons plutôt qu’elle ment, mais seulement par omission : elle ne dit pas tout, elle trompe les gens, elle triche, elle ne voit pas (ou ne veut pas voir) les conséquences néfastes de ses conduites. Pour arriver à ses fins, elle produit une idéologie, c’est-à-dire un discours qui lui permet de justifier ses pratiques (ce qu’elle fait), en invoquant de « bonnes raisons », bien légitimes, pour cacher ses raisons illégitimes. Ce « vieux truc » marche depuis toujours !
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L’aliénation idéologique néolibérale
Or, tout discours idéologique produit de l’aliénation : c’est à ça qu’il sert, c’est sa fonction sociale ! Mais le terme a besoin d’être clairement défini, car, en effet, il a trois sens :
- la cession d’un bien ou d’un droit à quelqu’un d’autre ;
- l’asservissement de quelqu’un soumis à la domination d’un autre ;
- la perte de conscience de soi, jusqu’à la démence mentale.
Pour compliquer les choses, le sens qui nous intéresse ici est très complexe, parce que c’est un mélange des trois.
Les « aliénés » dont nous parlons sont ceux qui forment la classe dominée du capitalisme néolibéral : ceux que j’ai appelés « le clientariat ». En effet, le « client » est aliéné pour trois raisons :
– d’abord parce qu’il doit (sur)travailler pour enrichir quelqu’un d’autre : quand un « client » achète un bien ou emprunte de l’argent, il doit céder un bien précieux (une partie de son temps de travail) pour que quelqu’un d’autre (le marchand ou le banquier) puisse réaliser un bénéfice commercial ou percevoir un intérêt (sens 1) ;
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Guy Bajoit
Mars 2019