Pour comprendre cette date historique, il faut partir aux Etats-Unis et plus précisément à Chicago. A la fin du 19e siècle, l’industrialisation du pays est intense. La ville de Chicago est en plein développement économique. Elle est désignée comme la « capitale industrielle » grâce à son industrie agroalimentaire, qui, par son activité, devient rapidement le première fournisseuse de viande de toute l’Amérique du Nord d’une part, et stimule le secteur de l’industrie métallurgique du pays d’autre part. Pour subvenir à son besoin de main-d’œuvre, la bourgeoisie locale se fournit en travailleurs européens, principalement allemands et irlandais, afin de compléter la division du travail avec les travailleurs locaux. Comme en Europe, les conditions de travail sont rudes. Les ouvriers travaillent 60 heures par semaine, six jours sur 7, pour seulement 1$ par jour. Les accidents du travail sont quotidiens et les morts trop souvent réguliers. Comme l’écrit le philosophe Emmanuel Renault, le capitalisme, contrairement aux autres modes de production, est le premier à inscrire la mort au sein même du processus de production.
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Cet assassinat social bourgeois se réalise avec la complaisance de l’Etat, qui, en tant qu’instrument de la classe dominante, fournit une force armée pour réprimer les travailleurs. Lorsque des grèves générales et des manifestations sont organisées, la police n’hésite pas à user de ses armes, comme ce 10 septembre 1897, où, pendant la grève des mineurs de Lattimer en Pennsylvanie, le shérif James F. Martin ordonne de disperser les ouvriers à l’arme lourde, assassinant 19 mineurs immigrés et n’en blessant des dizaines d’autres. Face à ces relations de travail mortifères, des organisations syndicales se mettent progressivement en place. Cette dynamique est facilitée par les immigrés venus d’Europe qui font découvrir aux travailleurs américains les thèses communistes et anarchistes. La ville de Chicago est un bon exemple car elle est à la fin du 19e siècle le foyer de l’anarchisme aux Etats-Unis. L’influence grandissante des libertaires dans le mouvement ouvrier pousse le patronat américain à utiliser des stratégies antisyndicales – les mêmes utilisées par le patronat européen : licenciement, fichage des leaders syndicalistes, financement de milices privées pour réprimer les travailleurs, recrutement de « jaune » (briseurs de grève) ou encore la division des travailleurs sur une base raciale.
Mais la classe ouvrière américaine ne se laisse pas faire. Les syndicats organisent une grève générale le 1er mai pour exiger la journée de 8h. On comptabilise environ 350 000 ouvriers, dont 40 000 dans la ville de Chicago. La grève se poursuit aux usines McCormick le 3 mai 1886 où des anarchistes comme Samuel Fielden et August Spies prennent la parole. La police réprime la mobilisation au fusil à répétition et tue 3 manifestants et fait environ 50 blessés. Le lendemain, des affiches d’appels à la vengeance recouvrent la ville ouvrière de Chicago. Le 4 mai, des leaders anarchistes organisent une manifestation de protestation au Haymarket Square. A la fin de la mobilisation, alors qu’il ne reste que 200 ouvriers, une bombe artisanale explose dans les rangs de la police. Environ un dizaine de policiers sont tués. La force armée répond en réprimant la foule et fait de nombreux blessés chez les manifestants.
Les jours suivants, la police rafle des dizaines d’anarchistes présents ou non à la manifestation. Huit personnes sont arrêtées et accusées d’être responsables de la mort des policiers. La justice bourgeoise est en route. Elle mobilise un jury dépravé composé d’individus qui détestent les ouvriers et le socialisme. Ils sont tous convaincus de la culpabilité des anarchistes avant même le début des débats et on trouve même le parent d’un policier tué dans le jury. Pendant le procès, le juge reconnaît à demi-mot leur innocence en ces termes :
Nous savons que ces 8 hommes ne sont pas plus coupables que le milliers de personnes qui les suivent, mais ils ont été choisis car ils sont des meneurs, Messieurs du jury faites d’eux un exemple, faites les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société !
En réalité, la police et l’Etat utilisent cette bombe pour justifier une répression de très grande ampleur envers les leaders anarchistes afin de limiter leur influence dans la classe ouvrière.
La décision des jurés est terrible : malgré l’absence de preuves formelles et le fait que seulement 2 accusés sur 8 étaient présents à la manifestation du 4 mai, tous sont condamnés à mort, sauf Oscar Neebe qui est condamné à 15 ans de prison. Quatre anarchistes sont pendus (Adolph Fischer, Albert Parsons, August Spies, George Engel), Louis Lingg condamné aussi à la pendaison se suicide en détention, Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden voient leur peine se transformer en peine de prison.
Ce n’est qu’en 1893 que les huit anarchistes sont innocentés par le gouverneur de l’Illinois John Peter Altgeld, premier gouverneur démocrate de l’État. Il déclare que la plupart des preuves sont faibles voire fausses, et que les interrogatoires se sont tenus dans une grande violence à l’encontre des accusés. Il va jusqu’à mettre la responsabilité de la mort des policiers sur le chef de la police de Chicago, John Bonfield, qui, par la violence de ses troupes depuis de nombreuses années contre les travailleurs, serait à l’origine de la tragédie du 4 mai : « Alors que certains hommes se résignent à recevoir des coups de matraque et voir leurs frères se faire abattre, il en est d’autres qui se révolteront et nourriront une haine qui les poussera à se venger, et les événements qui ont précédé la tragédie de Haymarket indiquent que la bombe a été lancée par quelqu’un qui, de son propre chef, cherchait simplement à se venger personnellement d’avoir été matraqué, et que le capitaine Bonfield est le véritable responsable de la mort des agents de police ».
Le massacre de Haymarket Square et la condamnation à mort des anarchistes sont devenus un symbole pour les organisations ouvrières de tous les continents
Le massacre de Haymarket Square et la condamnation à mort des anarchistes sont devenus un symbole pour les organisations ouvrières de tous les continents. Et le 20 juillet 1889, la Deuxième Internationale Socialiste adopte le 1er mai comme « Manifestation ouvrière internationale », avec comme revendication principale la journée de huit heures d’une part, et la stratégie de la grève générale d’autre part.
En France, le 1er mai 1891, une grève générale est organisée pour exiger la journée de 8 heures. Mais la bourgeoisie refuse tout compromis.
En France, la tradition du 1er mai s’est principalement enracinée dans les mémoires ouvrières le 1er mai 1891. Il faut partir dans le Nord-Pas-de-Calais dans une petite ville ouvrière nommée Fourmies, spécialisée dans l’industrie du textile. Cette commune du Nord de la France va connaître l’un des plus grands massacres d’ouvriers menés par la bourgeoisie et l’Etat. Dans l’industrie du textile, les ouvriers et les ouvrières travaillent entre 12 et 15 heures par jour, six jours sur 7, dans des conditions insalubres et des salaires extrêmement bas. Le 1er mai 1891, une grève générale est organisée pour exiger la journée de 8 heures. La foule est constituée de nombreuses femmes, dont Maria Blondeau qui prend la tête du cortège, entourée par de jeunes filles qui forment la première ligne en tenant des bouquets de fleurs. Mais la bourgeoisie refuse tout compromis. La police, munie de ses nouveaux fusils Lebel et Chassepot, tire sur le cortège pacifique. Des dizaines d’ouvriers et d’ouvrières tombent sous les balles : 10 décès (8 ont moins de 21 ans dont deux enfants de 11 ans), et plus de 35 blessés.
Le Maréchal Pétain modifie cette journée en « fête du travail » avec sa devise fasciste et capitaliste « Travail, Famille, Patrie »
Après le crime policier vient le crime de justice : neuf ouvriers sont condamnés à de la prison ferme pour entrave à la liberté de travail, rébellion, outrage et violence à agent. La classe ouvrière française a désormais son Haymarket Square. Le massacre des Fourmies va consolider dans les mémoires le 1er mai comme le symbole de la lutte des classes contre la brutalité bourgeoise et policière. Mais la seconde guerre mondiale va transformer cette date symbolique. En 1941, le Maréchal Pétain modifie cette journée en « fête du travail » avec sa devise fasciste et capitaliste « Travail, Famille, Patrie ». La finalité de cette démarche est de dépolitiser le 1er mai pour rallier les ouvriers au régime vichyste, modifier la conception du travail et se débarrasser de la symbolique de la lutte contre le capitalisme.
En définitive, il faut connaître notre histoire sociale. Le 1er mai n’est pas la fête du travail, elle est la fête des travailleurs et des travailleuses, la fête des exploités et des opprimés. Elle rappelle la violence du patronat, la dictature de la bourgeoisie, la domination de l’Etat et la répression policière. Souvenons-nous des derniers mots de l’anarchiste Augustin Spies juste avant d’avoir le souffle coupé par la corde, nouée à son cou par la main bourgeoise : « le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui ».
Marcuss
Source : https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/010524/une-histoire-populaire-du-1er-mai?utm_source=quotidienne-20240501-180649&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20240501-180649%20%20&M_BT=1570742531964