POUR participe à l’élaboration collective d’un monde meilleur
La crise sanitaire que nous devons tous affronter par la grâce du coronavirus nous pousse à réfléchir à quelle devra être, demain, l’organisation de nos sociétés pour ne pas poursuivre comme des moutons l’actuelle logique suicidaire. Dans cette perspective, POUR souhaite publier textes et vidéos qui illustrent quelles seront les leçons que nous devrons retenir collectivement pour que « le jour d’après » ne ressemble pas aux « jours d’avant ». Veuillez trouver ici ce que Paul Hermant, actif dans le collectif des Actrices et acteurs des temps présents1, a retenu des trois jours d’un week-end pascal pas comme les autres. A.A. |
Il faudrait faire le compte précis, à l’occasion de ce confinement, de ce qui a été perdu, de ce qui a été gagné, de ce dont nous nous sommes débarrassés et de ce qui est revenu. Bruno Latour proposait plus ou moins cela il y a quelques jours, mais cette formulation me paraît embrasser plus large encore. Les morts dont je parlais dans l’épisode précédent, nous les avons perdus par exemple. Les vieux aussi sont perdus de vue, et si pas de vue, et si pas de voix, au moins de toucher. Perdu aussi le droit de nous déplacer où nous voulons (par exemple pour aller voir les vieux, au moins les toucher). Et de garder pour nous les endroits où nous pouvons et pourrons nous déplacer, le téléphone ou bien le drone sont des mouchards de grande expertise. Toutes ces données que nous avions pourtant données, par désinvolture ou insouciance, à tellement de sites ou de plateformes, elles nous pistent au cœur de choses que nous n’aurions jamais cru avoir à révéler. Nous avons perdu les libertés publiques sans avoir le sentiment de pouvoir conserver les libertés privées. Nous avons perdu aussi pas mal de capacité à nourrir tout le monde plus ou moins mal. Les invendus des grandes surfaces, par exemple, nous les avons perdus. Les bénévoles qui s’occupaient de la distribution des invendus des grandes surfaces, nous les avons perdus aussi. Nous avons perdu la confiance qui nous restait dans la forme de gouvernement de la chose publique que nous connaissons, et ce n’est pas tant la question des masques, des tests, de toutes ces sortes d’impérities, ce n’est pas tant les rodomontades, les morgues, les certitudes, ce n’est pas tant les dénis, les négligences, les aboulies, ce n’est même pas la prétention à encore se croire indispensable et crédible, ce n’est pas tant cela que l’immense vide d’avenir auquel elle mène.
Et gagner, qu’avons-nous gagné si nous avons gagné quelque chose ? Nous avons gagné d’avoir vu la machine, le Système-Monde, s’enrayer puis s’enliser en quelques jours, que dis-je, en quelques heures seulement, comprenant subitement que tout ça n’était que flux tendu et zéro stock. Révisions déchirantes d’une religion tout en carton. Il y a un bel article là-dessus dans Lundi Matin. Mais plus encore, nous avons gagné cela que la vie (sa primauté) l’a emporté momentanément sur l’économie (sa préséance). Que cette victoire soit rendue effectivement éphémère est le vœu le plus cher du Medef ou de la FEB : les patrons français envisagent d’ores et déjà un catalogue d’heures de travail de rattrapage, il faudra bien pallier le manque. Nous avons pourtant gagné en considération pour les petits métiers mal payés et comptés pour rien. Que ce gain-là s’oppose radicalement aux considérations patronales, il faudra s’en porter forts. Cette apparition soudaine des soutiers et des sans-grades est un levier puissant, ce n’est pas une affaire monnayable.