L’incarcération à Belmarsh, « le Guantanamo britannique » (2019) – Julian Assange

JULIAN ASSANGE, UNE VIE
Épisode 32

Le 11 avril 2019, toutes sirènes hurlantes, un fourgon de police emmène Julian Assange à la Cour de Westminster. Il vient d’être extrait de force de l’ambassade d’Équateur. Le juge, Michael Snow, le déclare sur-le-champ coupable d’avoir, 7 ans plus tôt, violé les termes de sa libération conditionnelle, en brisant son bracelet électronique et en se réfugiant dans l’ambassade.

Dans la foulée, au poste de police central de Londres cette fois, il se voit notifier la requête d’extradition des États-Unis. Le premier – car il y en aura plusieurs – acte d’accusation américain lui est communiqué. En fin de journée, Julian se retrouve incarcéré à l’établissement de Belmarsh. Cette prison de haute sécurité a été construite dans la grande périphérie de Londres après le 11 septembre 2001 pour les terroristes et détenus condamnés à de lourdes peines. On la surnomme le « Guantanamo britannique »… Pour compléter le tableau, ce même jour encore, la Suède annonce la réouverture de son enquête (WANTED, épisode 17).

Les procureurs américains évitent aussi de reconnaître Julian comme journaliste, ce qui lui permettrait de bénéficier de la protection du droit de la presse
Les États-Unis dévoilent donc enfin leur acte d’accusation contre Julian Assange. Un acte rédigé depuis plus d’un an par un grand jury secret, et tenu confidentiel (WANTED, épisode 31). Il consiste en une simple allégation de piratage informatique : Julian est accusé d’avoir aidé Chelsea Manning à craquer un mot de passe pour obtenir les documents classifiés (WANTED, épisode 15). Il est donc accusé de conspiration pour vol de dossiers secrets du gouvernement américain. Les USA évitent avec soin de donner à penser que le motif de la demande d’extradition est politique, ce qui pourrait la compromettre. Les procureurs américains évitent aussi de reconnaître Julian comme journaliste, ce qui lui permettrait de bénéficier de la protection du droit de la presse.

Trois semaines plus tard, Julian est condamné à 50 semaines de prison, une peine exorbitante pour un délit mineur de rupture de bracelet électronique. Sur la culpabilité comme sur la peine, ses avocats avaient plaidé que son refuge dans l’ambassade était motivé par le risque, redouté à l’époque par Julian, d’une extradition vers les États-Unis (WANTED, épisode 25). C’était une raison valable pour enfreindre les conditions de sa libération conditionnelle, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’a posteriori et au moment des audiences, ce risque est bien avéré ! Les magistrats, Michael Snow et Deborah Taylor ont pourtant prétendu qu’il n’y avait à l’époque aucun risque d’extradition vers les États-Unis. Ils ont aussi écarté l’argument de la collusion avérée entre les procureurs suédois et britanniques (WANTED, épisode 31) et les preuves qu’au mépris du droit international, la Suède avait déjà remis des personnes à la CIA qui les avait torturées. La juge Taylor a déclaré que Julian Assange avait été accusé d’un délit en Suède, alors que toi, lecteur de WANTED, tu sais désormais que l’affaire n’a pas dépassé le stade de l’enquête et que Julian n’a jamais fait l’objet d’une inculpation. Le juge Snow, lui, s’est permis d’insulter Julian : il a qualifié de risibles ses plaintes sur l’iniquité de son procès et l’a traité de « narcissique qui ne peut pas aller au-delà de ses propres intérêts égoïstes ». Les arguments de la défense relatifs à son état de santé précaire ont tout simplement été ignorés.

Julian présente une anxiété chronique et des traumatismes psychologiques intenses
À Belmarsh, les conditions de détention de Julian sont terribles. La majeure partie du temps, il se retrouve en isolement et son état de santé, déjà précaire après les sévices subis les derniers mois dans les murs de l’ambassade, se détériore encore. Dès le 9 mai, Nils Melzer, Rapporteur spécial des Nations-Unis sur la torture, et deux experts indépendants de l’ONU, déclarent que Julian présente une anxiété chronique et des traumatismes psychologiques intenses : le tableau typique des symptômes consécutifs à une exposition prolongée à la torture psychologique. À la suite de collectifs de médecins et de juristes, il interpellera à nouveau l’Angleterre en décembre 2020 à propos de l’état de santé de Julian, pour exiger sa libération immédiate.

Le 13 mai 2019, Julian écrit une lettre au journaliste britannique indépendant Gordon Dimmack qui la rendra publique :

J’ai été privé de toute capacité de préparer ma défense, sans ordinateur, sans internet, pas de bibliothèque jusqu’à présent, et même si j’y avais accès, ce ne serait qu’une fois par semaine et pour une demi-heure avec tous les autres détenus. Pas plus de deux visites par mois et il faut des semaines pour inscrire quelqu’un sur la liste des visiteurs, à condition de fournir toutes leurs coordonnées pour qu’ils fassent l’objet d’une enquête de sécurité. Ensuite, tous les appels, à l’exception de ceux des avocats sont enregistrés et d’une durée maximale de 10 minutes dans une période limitée de 30 minutes par jour, pendant laquelle tous les détenus se disputent le téléphone. Et le crédit ? Juste quelques livres sterling par semaine et personne ne peut appeler de l’extérieur. En face ? Une superpuissance qui se prépare depuis 9 ans et qui a affecté à cette affaire des centaines de personnes et dépensé des millions. Je suis sans défense et je compte sur vous (…) pour me sauver la vie (…) En fin de compte, tout ce que nous avons, c’est la vérité.

Les procureurs américains savaient que la défense pouvait démonter sans difficulté le premier acte d’accusation. Chelsea Manning avait été en possession des documents classifiés avant de prendre contact avec Julian Assange : elle avait en effet proposé de livrer ses documents à la presse mainstream américaine avant de contacter WikiLeaks. De plus, son statut professionnel lui donnait accès à ces documents sans avoir besoin de craquer des mots de passe (WANTED, épisode 15).

Pour empêcher la libération de Julian au terme de sa peine de 50 semaines, les États-Unis vont donc émettre le 23 mai 2019 un deuxième acte d’accusation, plus étoffé. Il se fonde sur l’Espionnage Act de 1917 et… Julian se retrouve sous le coup de 17 nouvelles charges, susceptibles de lui valoir 175 ans de prison ! Les chefs d’accusation sont cette fois bien plus proches des motivations profondes du procès : tous concernent l’obtention et la publication des documents de 2010 (WANTED, épisode 15). On a bien affaire à un procès politique.

Comme s’ils étaient conscients des faiblesses de ce deuxième acte d’accusation, les États-Unis cherchent en parallèle à faire craquer Chelsea Manning, pourtant déjà jugée, condamnée et ensuite graciée par Barack Obama. Elle est de nouveau convoquée devant un grand jury secret en Virginie et emprisonnée, pour la forcer à dénoncer Julian comme le complice direct et actif de son « vol » informatique de documents en 2010. Elle refusera de témoigner, tout comme d’ailleurs Jeremy Hammond, soumis aux mêmes pressions. « J’ai déjà tout dit et été jugée en 2010 » dit-elle… et son attitude lui coûtera cher. Inflexible jusqu’à la tentative de suicide, elle écopera d’une année de prison, assortie d’une astreinte de 1.000 $ par jour de refus de témoignage. A sa sortie de prison, le 12 mars 2020, elle a accumulé une dette de 257.000 $… Un appel à la solidarité recueillera pour elle 267.000 $ en 2 jours !

Le début des audiences de préparation au procès d’extradition d’Assange est fixé à l’automne 2019 et le procès lui-même en février 2020.

Voilà, c’était le 32ème épisode de WANTED, la série qui vous emmène au cœur du réacteur de notre monde et Julian Assange qui vous en a dévoilé les secrets est désormais en prison… Demain, nous verrons s’il peut espérer un procès équitable…

Belgium4Assange

Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir

Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.

A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes.

Sources / Pour en savoir plus

https://www.theguardian.com/uk-news/2019/apr/11/julian-assange-arrested-at-ecuadorian-embassy-wikileaks

 

Les documents officiels américains :

2 juin 2020 : https://www.justice.gov/opa/press-release/file/1289641/download.

23 mai 2019 : https://www.justice.gov/opa/press-release/file/1165636/download.

 

La lettre de Julian Assange  http://canempechepasnicolas.over-blog.com/2019/05/j-ai-recu-une-lettre-de-julian-assange.html.

 

Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture :

https://www.youtube.com/watch?v=nZqlQnbQzDk&feature=share&fbclid=IwAR1Cft-fgNuNBNTu8aGIUZGUD_JaFuk309tLV_BEnuG4J9KT77cN0gRG62Q&ab_channel=LiveontheFlywithRandyCredico.

https://m.facebook.com/nt/screen/?params=%7B%22note_id%22%3A1086092678460490%7D&path=%2Fnotes%2F%7Bnote_id%7D&_rdr .

En décembre 2020, Nils Melzer réinterpelle l’Angleterre : https://news.un.org/fr/story/2020/12/1084012.

 

Lettre des médecins relative à la situation de Julian Assange : https://doctorsassange.org

 

Lettre des juristes relative à la situation de Julian Assange : https://www.lawyersforassange.org