Les constats techniques

Chapitre IV
Le terme évasion fiscale reprend les aspects relatifs à la fraude fiscale et à l’évasion fiscale illégitime. L’évasion fiscale offshore est construite sur la constitution dans certains Etats, de hangars d’offshores.
IV.1.Rappel méthodologique, distinction entre évasion fiscale des particuliers, évasion fiscale des entreprises notamment multinationales et des GAFAM[1] (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et utilisation des paradis fiscaux pour le blanchiment de criminalité de droit commun[2].

Le terme évasion fiscale reprend les aspects relatifs à la fraude fiscale et à l’évasion fiscale illégitime.

L’évasion fiscale offshore est construite sur la constitution dans certains Etats, dans le respect des législations de ces Etats ou du droit coutumier pour ce qui concerne les trusts, de hangars d’offshores.

 

IV.1.1.La voie relative aux particuliers.

La voie relative aux particuliers est construite sur «l’homme de paille ». Celui-ci apparaît comme le propriétaire des biens d’autres sans l’être
La voie relative aux particuliers est construite sur «l’homme de paille ». Celui-ci apparaît comme le propriétaire des biens d’autres sans l’être. L’évasion fiscale des particuliers via des offshores se réalise donc par l’incorporation de sociétés dans des paradis fiscaux par l’entremise de  prête-noms et d’administrateurs se présentant comme responsables et par l’acquisition des parts représentant les actifs patrimoniaux que l’on veut soustraire aux Administrations fiscales des différents Etats. La soustraction n’est bien entendu pas physique mais concerne le camouflage de l’identité du ou des propriétaires ou bénéficiaires réels par un ou plusieurs écrans rendant impossible ou difficile l’identification complète certaine.

 

Quatre objectifs fiscaux sont recherchés
IV.1.1.1.Quatre objectifs fiscaux sont recherchés.

  1. Eviter dans le chef de personnes physiques l’imposition lors de l’encaissement de dividendes ou d’intérêts. En Belgique, cet objectif est contrecarré par la Taxe Caïman, quand la déclaration est déposée[3] et est complète.
  2. Eviter dans le chef de personnes physiques l’imposition sur les plus-values réalisées sur divers actifs, tels des actifs professionnels, tels des cessions de fonds de commerce ou d’entreprises, ou tels des œuvres d’arts, ou tels des immeubles ou de droits sur immeubles, ou tels des actions. En Belgique, contrairement à de nombreux autres Etats de l’Union Européenne, y compris le Luxembourg, où l’imposition des revenus de telles réalisations est plus générale, les revenus de certaines de ces réalisations ne sont pas imposés ou ne le sont que si la réalisation intervient dans un certain délai après l’acquisition primaire du bien ou si la revente présenterait un caractère spéculatif.
  3. Eviter dans le chef de personnes physiques l’imposition du capital de pensions complémentaires versées à l’âge de la pension. L’offshore derrière laquelle se cache le bénéficiaire réel est bénéficiaire du capital de l’assurance complémentaire souscrite par la société au profit de son dirigeant ou de son cadre (la souscription d’une telle assurance par une société au profit d’une société est autorisée dans de nombreux pays). Cet aspect expliquerait en partie la constatation opérée dans différents LEAKS que certaines offshores restent sans activité apparente pendant de nombreuses années, près de 20 ans dans certains cas, l’offshore étant mise en place pour apparaître bénéficiaire dans le contrat souscrit et recevoir le paiement lors de la pension du bénéficiaire réel. La pratique serait courante dans certains pays latino-américains, y compris pour des cadres d’origine américaine ou européenne de filiales de multinationales d’origine américaine ou européenne[4].
  4. Eviter dans le chef des héritiers personnes physiques le paiement de droits de succession.

Dans tous les dossiers relatifs à des personnes physiques, les opérations sont formalisées là où se trouve le prête-nom mais sont réalisées là où se trouve le propriétaire réel.

 

En Belgique, la Taxe Caïman ne permet pas de contrecarrer les 3 derniers objectifs fiscaux
IV.1.1.2. En Belgique, la Taxe Caïman ne permet pas de contrecarrer les 3 derniers objectifs fiscaux.

Également, les conventions multilatérales OCDE, les conventions préventives de la double imposition  et les TIEAS ne portant que sur les impôts directs, ces instruments ne peuvent être requis dans le cadre de dossiers de droits de succession et ne sont donc que d’un usage indirect en la matière, si les informations fournies par ces instruments sont stockées pour être mises à disposition des services compétents en matière de droits de succession et si des réserves de spécialité (disposition juridique qui interdit qu’une information fournie pour un motif précis soit utilisée pour un autre motif ou qu’une information fournie pour un impôt précis soit utilisée pour un autre impôt)  ne s’y opposent pas.

Les Belges et résidents Belges détenteurs d’offshores pour éviter les droits de succession peuvent donc dormir tranquilles
Les Belges et résidents Belges détenteurs d’offshores pour éviter les droits de succession peuvent donc dormir tranquilles. Outre le fait que la conception doctrinale[5] retenue en Belgique ne permet pas, pour ce qui concerne les droits de succession, de lier les biens mis en trust à la succession du décédé, sauf exceptions, l’Administration fiscale belge ne stocke pas de manière systématique les données pertinentes de l’échange international sous normes OCDE et UE pour les  utiliser en matière de droits de succession.

 

IV.1.2. La voie relative aux sociétés notamment multinationales, à l’exception des GAFAM.

Ces sociétés jouent dans les limites du système fiscal par des techniques d’éclaircissement artificiel  de leurs bases imposables.

Le camouflage de l’identité du bénéficiaire ou du propriétaire réel n’a donc aucune importance pour ces sociétés et groupes économiques, ce d’autant que des législations financières ou comptables qui  leur sont applicables leur imposent cette communication.

L’objectif recherché est la domiciliation documentaire de diverses parties de l’entreprise dans des territorialités successives à faible fiscalité via des filiales spécialisées
L’objectif recherché est la domiciliation documentaire de diverses parties de l’entreprise dans des territorialités successives à faible fiscalité via des filiales spécialisées, soit fourniture de produits sans les fabriquer, soit détention de crédits accordés aux autres filiales, soit filiales détenant brevets et marques, soit filiales de réassurance du groupe, via la technique de déconsolidation d’activités spécialisées.

Des flux de dépenses sont donc canalisés vers ces filiales spécialisées, flux de dépenses qui, vu les  régimes fiscaux préférentiels de ces filiales dans leur pays de résidence, deviennent des quasi- bénéfices exonérés d’impôts.

Les travaux de l’OCDE et les directives de l’Union Européenne, ainsi que les contrôles de prix de transfert, permettent de faire face à ces situations.

 

IV.1.3.La voie relative aux GAFAM.

Celles-ci ont raffiné la voie relative aux multinationales en opérant la vente au départ de paradis fiscaux pour sociétés multinationales de produits ou de services se trouvant déjà dans les lieux de  résidence du consommateur et fabriqués ou développés dans ces lieux de résidence.

Pour certaines GAFAM, les biens concernés sont numériques et les prestations de services peuvent être liées à des applications monopolistiques. Pour d’autres GAFAM, des biens matériels sont concernés.

La mobilisation des sommes accumulées dans les filiales tiroir-caisse des Bermudes (taux d’ impôt des sociétés  de 0%,  pas d’application du dispositif CFC prévu dans la législation fiscale USA) s’opère par des prêts à des véhicules spéciaux de financement localisés aux Bahamas, lesquels souscrivent aux emprunts obligataires émis par la maison mère USA, émissions dont les sommes réunies pour les financer proviennent d’investisseurs internationaux privés, personnes physiques ou sociétés, et des prêts consentis par les tiroirs-caisses du groupe (cas d’Amazon)[6].

Des techniques liées à des distributions de dividendes sont également mises en œuvre pour le retour  des sommes accumulées, via des chaînes de sociétés actionnaires en cascade localisées dans des Etats pratiquant, au titre de prévention de la double imposition, l’exonération des dividendes entrants ou le crédit d’impôt forfaitaire sur ceux-ci.

Les travaux de l’OCDE et les directives de l’Union Européenne, ainsi que les contrôles de prix de transfert, permettent de faire face partiellement à ces situations.

 

IV.1.4.La voie du blanchiment des activités criminelles de droit commun, telles trafic de drogue, trafic d’armes, trafic d’êtres humains,  prostitution non indépendante , abus de bien social, corruption.

Cette voie est proche de la voie des personnes physiques décrite au point IV.1.1, dans la mesure où les bénéficiaires réels sont des personnes physiques dont l’identité doit être camouflée mais diffère de cette voie dans la mesure où le produit des délits et infractions de nature criminelle doit également être camouflé et rendu le moins saisissable, les objectifs n’étant pas d’éviter des prélèvements fiscaux.

Usage de cartes de crédits ou prépayées, anonymes ou non, liées à des comptes bancaires dans des paradis fiscaux ou règlementaires
En ce qui concerne les techniques de rapatriement des sommes et d’usage de celles-ci, citons :

  • des marchandises commandées à une société localisée dans un paradis fiscal, jamais livrées ou disparues ou perdues dans un naufrage, qui font l’objet de demandes d’indemnisation par procédures judiciaires ou arbitrales, au profit de la société localisée dans un pays non-paradis fiscal, les sommes rapatriées étant ainsi considérées comme propres du point de vue des législations anti-blanchiment ;
  • usage de cartes de crédits ou prépayées, anonymes ou non, liées à des comptes bancaires dans des paradis fiscaux ou règlementaires.

Ces techniques permettent également à des dirigeants d’entreprises de récupérer ou d’utiliser des sommes détournées de leurs entreprises par des factures de complaisance émises par des chaînes  de factureurs transnationaux.[7].

 

Les travaux de l’OCDE n’auront qu’un effet limité
IV.1.5.Le LEAK PANDORA PAPERS ne concerne que des personnes physiques utilisant les voies décrites  aux points IV.1.1 et IV.1.4.

Les travaux de l’OCDE n’auront qu’un effet limité notamment du fait que trust et fondations ne sont pas soumis à l’impôt des sociétés, même à un taux zéro, les trusts n’étant par ailleurs pas des structures statutaires au contraire des sociétés.

La Taxe Caïman applicable en Belgique ne répond pas aux trois autres objectifs fiscaux
La Taxe Caïman applicable en Belgique ne répond qu’au premier des objectifs fiscaux de la voie  utilisée par les particuliers belges utilisant les paradis fiscaux et ne répond pas aux trois autres objectifs fiscaux.

 

IV.2.Quelques constats techniques.

  • Maintien de l’usage de la technique de l’auto-prêt[8].

Schématiquement, les sommes investies dans l’offshore de base, de manière directe ou indirecte, par  les bénéficiaires servent à alimenter la chaîne des offshores, notamment en cas d’acquisition de biens immobiliers.

  • Utilisation de la technique du trust ou de la fondation contrôlant une société ou plusieurs sociétés en cascade, détenant le ou les actifs mobiliers ou immobiliers concernés.
  • Via l’usage du trust, les droits de succession sont évités, du fait de l’absence de prise en considération du trust en matière de droits de succession.
  • Changement de dénomination d’offshores d’origine Mossack Fonseca ayant migré vers d’autres fournisseurs de services financiers au moment du LEAK PANAMA

Victor Serge,
Pseudonyme

[1] Vous pourrez retrouver la signification de tous les acronymes dans le tableau des acronymes ci-dessous.

[2] Sources de l’analyse, notamment Gestha, association professionnelle des inspecteurs des Agences Tributaires (Administrations fiscales) espagnoles, et la porte- parole en langue espagnole  d’OXFAM International.

[3] Un second conflit interprétatif a été tranché par un jugement du TPI de Bruxelles du 11/03/2020, publié mi-Novembre 2020, prenant acte des conclusions d’accord prises entre le contribuable et l’Administration quant à la non-imposition au volet taxe de transparence de la Taxe Caïman du fondateur d’un trust canadien irrévocable et discrétionnaire sur les revenus perçus par le trust, le trust étant imposé au Canada sur les dits revenus perçus et par ailleurs reconnus par la Convention préventive de la double imposition conclue par la Belgique et le Canada comme sujet de droit fiscal, la non- imposition en Belgique résultant de la primauté du droit conventionnel. Le  raisonnement suivi n’est pas applicable pour le volet Taxe de distribution de la Taxe Caïman.

[4] Sources, presse d’Uruguay, d’Argentine, du Chili et du Brésil au moment du LEAK PANAMA PAPERS, interviews d’experts-comptables, d’avocats et de professeurs d’université et d’instituts techniques supérieurs en comptabilité.

[5] Schématiquement, les biens du trust sont considérés comme mis à disposition des héritiers lors du décès du successible et non pas transmis aux héritiers par le décès du successible.

[6] Source, presse financière USA.

[7] Sources, Rapports CTIF Belgique 2019 et 2020 ; Dossier Dubaï Papers – Henri De Croy, documents publics. Pour ce qui concerne les Emirats Arabes Unis, voir l’évaluation du GAFI, réalisée en collaboration avec le FMI, publication avril 2020, page 38, point  89, note 44.

[8] Source, « L’immobilier face au blanchiment et au financement du terrorisme”, par Maurice  Feferman, PC Editions, 2017

Tableau de acronymes

AEOI, Automatic Exchange of Information, acronyme anglais pour Echange automatique d’information.

AR : Arrêté Royal.

BEPS : Base Erosion and Profit Shifting (acronyme anglais pour érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices). Plan de 15 actions visant à doter les pays des outils nécessaires pour garantir l’imposition là où la valeur est créée et offrant un cadre prévisible pour les entreprises.

BKA : Bundeskriminalamt, Office Fédéral de Police Criminelle (Allemagne).

BND : Bundesnachrichtendienst, service de renseignement extérieur du gouvernement fédéral allemand, placé sous la tutelle de la Chancellerie.

CFC : dispositif CFC = règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC ou CFC) visant à éviter le transfert des bénéfices de la société mère établie dans un pays à fiscalité élevée vers des filiales contrôlées situées dans des pays à fiscalité faible ou nulle afin de réduire la charge fiscale du groupe, et autorisant la reprise de ces transferts de bénéfices   dans la base imposable de la maison mère.

CTIF : Cellule de Traitement des Informations Financières créée en 1993, au cœur du dispositif belge préventif de lutte contre le blanchiment d’argent d’origine criminelle et le financement du terrorisme. La CTIF est une autorité administrative indépendante, ayant la personnalité juridique et sous le contrôle des Ministres de la Justice et des Finances.

DGI : Direction Générale des Impôts (France).

DGFIP : Direction Générale des Finances Publiques (France), a succédé après réunion de la DGI et de l’Administration des Comptes Publics.

EAU : Emirats Arabes Unis.

EOIR : Exchange of Information on Request (acronyme anglais pour norme internationale pour la transparence et l’échange d’informations sur demande).

FATCA : Foreign Accourt Tax Compliance Act. Il s’agit d’une réglementation extraterritoriale américaine en vigueur depuis le 1er juillet 2014 visant à identifier et déclarer les contribuables américains de la part des institutions financières auprès de l’administration fiscale américaine. Le FATCA existe sous 2 Modèles et sous forme d’IGA.

FIOD : Service Néerlandais de Renseignement et d’Enquête Judiciaire, dans les domaines économique, fiscal et douanier. Le FIOD dépend de l’Administration fiscale hollandaise et dispose de pouvoirs de perquisition et d’audition dans les formes judiciaires. Un service de nature équivalente existe en matière sociale, le SIOD.

GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

GAFI : Groupe d’Action Financière ou Financial Action Task Force, organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le GAFI est un organisme distinct de l’OCDE. En effet, tous les États membres de l’OCDE ne sont pas membres du GAFI, et réciproquement.

ICIJ : Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) (International Consortium of Investigative Journalists, en anglais) est une organisation à but non lucratif basée à Washington D.C. Il associe 600 journalistes d’investigation de plus de 100 pays et travaille en partenariat avec plus de 100 organisations médiatiques, depuis les médias les plus renommés au monde, comme la BBC, le New York Times, le Guardian, la BBC, le Monde, le Washington Post.

ISI : Inspection Spéciale des Impôts. L’ISI a pour mission de combattre la fraude fiscale grave et organisée. (Belgique) Contrairement a son équivalent hollandais FIOD et a certains de ses equivalents dans d’autres Etats, l’ISI ne dispose pas de pouvoirs d’investigation dans les formes judiciaires.

ISOC ou Impôt des Sociétés.

LGT ou Liechtenstein Global Trust.

MROS ou Money Laundering Reporting Office – Switzerland,   Le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent auprès de l’Office fédéral de la police (Fed Pol) joue un rôle de relais et de filtre entre les intermédiaires financiers et les autorités de poursuite pénale. Il est l’équivalent du CTIF en Belgique.

OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques.

OCDEFO : Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière organisée (Belgique). Un des Offices centraux de la Police Fédérale Belge.

ONIF : Oficina Nacional de Investigación del Fraude (Espagne). Service d’enquêtes fiscales spécialisé de l’Administration fiscale espagnole.

QPE : Question Parlementaire Ecrite.

TAXUD : Taxation & Customs Union, Direction Générale de la Fiscalité et des Douanes de l’Union (Direction Générale de la Commission Européenne).

TIEAS : Tax Information Exchange Agreements, accords sur l’échange de renseignements en matière fiscale, instruments  élaborés par l’OCDE et mis en œuvre bilatéralement par 2 Etats.

TPI : Tribunal de Première Instance.