Les partisans de la croissance soutenable omettent d’expliquer que lorsque l’efficience énergétique des pays industrialisés augmente un peu, leur empreinte carbone par habitant, reste généralement stable, car la croissance augmente un peu chaque année.
Début juin 2021, le GIEC a publié de nouveaux résultats sur le climat, plus alarmants encore que les précédents. Or, les partisans de la croissance verte caressent toujours l’espoir, malheureusement illusoire, que la croissance économique et le respect de l’environnement s’avéreraient compatibles. Ils désirent à tout prix, éviter le spectre de la réduction de la croissance économique et pire celui de la décroissance volontaire. Ils comptent un peu pour cela sur le développement des énergies renouvelables, mais surtout sur le renforcement de l’efficience énergétique, grâce au progrès technologique. Leur raisonnement s’appuie notamment sur l’observation depuis plusieurs années dans la majorité des pays industrialisés d’un découplage progressif entre la courbe d’émissions de CO
2 nationale, qui baisse à peine et la courbe du PIB qui s’accroît légèrement, en particulier pour le Danemark
[1]. C’est aussi le cas de la France, depuis au moins 2005. En France on observe une faible baisse des émissions de GES directes, de 0,67% par an de 1990 à 2018, soit 18% de réduction durant cette période. Or, dans le cadre des accords de Paris de 2018, les objectifs climatiques minimaux pour la France consistaient dans à une baisse de 40 % des émissions de CO
2 entre 1990 et 2030, soit une baisse de 2,5%/an
[2].
Cependant, les partisans de la croissance soutenable omettent d’expliquer que lorsque l’efficience énergétique des pays industrialisés augmente un peu, leur empreinte carbone par habitant, reste quant à elle, généralement stable et diminue à peine, car la croissance augmente un peu chaque année.
En effet, la croissance du CO2 perdure dans le monde et ne diminue pas vraiment en France, malgré l’augmentation de son efficience énergétique. Cela s’explique principalement par la croissance économique. En France, le taux de croissance du PIB (le produit intérieur brut) se révèle toujours positif depuis les années 1950, sauf en 1976, 1992, 2008 et 2019 avec la crise du Covid. Ainsi, la croissance du PIB français continue de progresser, même si les taux de croissance s’avèrent moins forts que durant les 30 glorieuses. Par conséquent, la croissance de l’efficience énergétique ne permet pas de faire baisser les émissions de CO2. Ainsi, si le taux de croissance moyen du PIB de la France est passé progressivement de +5,9% au cours des années 1960 à +1,4% dans les années 2000 et cela n’a jamais dépassé +2% de 2010 à 2020.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, dans les pays industrialisés chaque décennie la croissance moyenne perdure[3]. Même lorsqu’une crise passagère génère une récession durant quelques mois, comme ce fut le cas en 2020 avec la crise de la Covid. C’est pourquoi France et la majorité des pays du monde ne parviennent pas à faire décroître les émissions de CO2 et leur empreinte écologique. Sauf, lorsqu’il y a une guerre qui détruit l’économie nationale, comme ce fut le cas pour la Syrie au XXIe siècle.
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Malgré les nombreux plans climat, l’essor de l’efficience énergétique et la croissance des mesures de protection environnementales, la progression des émissions mondiales de CO
2 se perpétue. Cela s’explique par la croissance de l’économie et de la démographie. «
La population a augmenté de 2,2 milliards d’êtres humains sur la période. Oui, la génération de l’électricité, avec du charbon, du gaz et un peu de pétrole, constitue un des facteurs les plus importants des émissions. Oui, il n’y a pas de « découplage » entre émissions de CO2 et PIB au niveau mondial : seules la crise financière de 2008 et ses conséquences économiques et sociales en 2009 ont pu altérer la croissance continue des émissions. Oui, les transports utilisant des moteurs à carburant pétrolier représentent une part croissante des émissions. Et un gros mensonge : les émissions par habitant ne sont que très peu modifiées sur la période. Ce mensonge est relatif : la vérité est que les émissions par habitant ont évolué de manière si différenciée selon les pays – stagnant ici, augmentant là, et diminuant ailleurs – qu’une présentation globalisante interdit de la comprendre et d’y réfléchir »
[4].
De plus, ce découplage entre la hausse de la production d’énergie et la baisse de l’émission de CO2 par unité d’énergie produite, grâce à l’accroissement de l’efficience énergétique ne concerne pas les pays en développement actuellement. On relève qu’au plan mondial, les émissions de CO2 continuent d’augmenter, de même le PIB, depuis qu’ils sont mesurés, et ce malgré les nombreux sommets sur le climat depuis Rio en 1981. Le PIB mondial était d’environ 37 milliers de Mds $ en 2000 et il est passé à environ, 84 milliers de Mds $ en 2019. Il a donc plus que doublé en presque 20 ans. Le taux de croissance du PIB mondial était d’environ 3,32% en 2019 avant la crise du Covid. Or, en fonction des indicateurs choisis et des relations opérer on peut aboutir à des conclusions très différentes afin d’en conclure qu’il y a soit un progrès, soit un recul en cours ! Les chiffres sont précis et rationnels, mais les angles de vue, les angles d’analyses, aussi scientifiques soit ils dépendent de ce qu’un scientifique cherche à démontrer. Or, le choix d’un angle de vue, d’un angle de recherche, la sélection subjective des faits « objectifs » se révèle éminemment personnels, subjectifs, et donc politiques ! En effet, les choix possibles et les corrélations entre les différents indicateurs sont multiples : l’émission de CO2, croissance, l’efficience énergétique, la croissance démographique mondiale ou nationale… Et pour chacun d’eux, l’analyse diffère selon qu’on mesure les individus, la nation, le monde, les pays industrialisés ou non, ou bien encore la croissance en volume ou en pourcentage, sur une période ou une autre…
Ainsi, malgré la légère diminution de la proportion de CO2 par unité de PIB dans les pays industrialisés, la quantité de CO2 continue d’augmenter dans le monde, car le PIB augmente plus vite encore. De plus, dans certains pays peu industrialisés la croissance se révèle encore plus forte et donc les émissions de CO2 augmentent encore plus.
Selon les partisans du « capitalisme vert », pour atteindre les objectifs d’émission de CO2 des accords de Paris de 2015, il s’avère possible de diminuer les émissions de CO2 sans décroissance de la production et de la consommation. Pour cela, il s’agit de poursuivre les efforts d’efficience énergétique et environnementale (les changements de structure technique) de la production.
Lorsque l’efficience énergétique augmente, on observe un effet rebond : avec les économies énergétiques et financières réalisées, on dispose de plus de richesse disponible pour dépenser et consommer.
Or, le scénario de l’association Négawatt s’avère déjà plus ambitieux encore, il propose non pas une stabilisation, mais une décroissance d’un tiers de notre consommation (la sobriété énergétique). Cependant, même dans ce scénario, la France ne parvient pas à une empreinte carbone soutenable, puisqu’actuellement l’empreinte carbone par Français est 6 fois trop importante selon le gouvernement français
[5]. Par ailleurs, l’économiste Thomas Piketty a montré qu’il existe une corrélation entre les revenus et émissions de CO
2[6]. De plus, lorsque l’efficience énergétique augmente, on observe un effet rebond, puisqu’ensuite avec les économies énergétiques et financières réalisées, on dispose de plus de richesse disponible pour dépenser et consommer. La solution la plus simple et la plus sure consiste donc dans la diminution des revenus des individus, en commençant, bien sûr par les plus riches si l’on souhaite suivre le principe d’égalité. Par conséquent une croissance verte, c’est-à-dire une croissance économique, sans croissance des émissions de CO
2 n’est pas réaliste non plus, si les revenus et le PIB par habitant s’accroissent ou même s’ils sont stabilisés.
Cependant, si l’on observe les émissions de CO2 au niveau mondial, il n’y a pas de découplage de la courbe du CO2 et du PIB, car ces deux courbes restent fortement corrélées, notamment à cause de la croissance économique des pays faiblement industrialisés. De plus, même dans les pays industrialisés dont les émissions de CO2 baissent légèrement, ils traînent toujours une empreinte carbone par habitant bien supérieure à la majorité de celle des pays en développement. C’est pourquoi l’humanité continue sa croissance en émission de CO2 et de GES et se dirige toujours un peu plus vers les scénarios climatiques les plus catastrophiques.
Thierry Brugvin
[1] LAROCHELAMBERT Thierry, La transition énergétique du Danemark : un modèle de planification démocratique européen, les cahiers de Global Chance, n°38, janvier 2016.
[2] LAROCHELAMBERT Thierry, Contribution au débat public : vers un système énergétique efficace pour la France, les cahiers de Global Chance, juin 2018.
[3] INSEE, PIB de la France, INSEE 2020.
[4] HUET Sylvestre, « Climat et économie : le CO2 explique tout », Le Monde, 6 février 2019.
[5] MINISTÈRE DE L’ECOLOGIE, Pourquoi viser la neutralité carbone à l’horizon 2050 ? 21 mai 2021,
[6] PIKETTY Thomas, CHANCEL Lucas, Carbone et inégalité : de Kyoto à Paris, Évolution de l’inégalité mondiale des émissions de CO2 (1998-2013) et perspectives pour un financement équitable de l’adaptation, Iddri et École d’Économie de Paris, novembre 2015.