Le spectre de la désindustrialisation

Enquêtes ouvrières en Europe – 30

C’est encore une histoire de spectre : non plus celui du communisme qui hanta les têtes couronnées vers 1848, mais celui de la désindustrialisation qui ravage le vieux continent depuis plusieurs décennies. La différence, mais elle est massive, tient au fait que les dirigeants européens se soucièrent longtemps du dernier comme d’une guigne, voire s’en réjouirent in petto, espérant ainsi liquider les classes ouvrières qui avaient réussi à imposer des États sociaux et, par là, à réguler la liberté des marchés. 

Par-delà les proclamations triomphalistes et les rodomontades consécutives à l’installation de quelques usines de batteries électriques et un rebond temporaire de l’attractivité du pays, la désindustrialisation se poursuit en France, comme en témoignent les annonces récentes concernant les fermetures. Or cette réalité économique a également une épaisseur sociale et partant, un retentissement dont les responsables politiques peinent à prendre la mesure.

La première vertu des livres d’histoire est de documenter un phénomène. Celui de Romain Castellesi, issu d’une thèse préparée au sein du laboratoire LIR3S de l’université de Bourgogne, insiste sur sa profondeur historique. Localement en effet, c’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que certaines activités dans quelques bassins industriels déclinent, précipitant les premières interventions des pouvoirs publics autour de l’aménagement des territoires. La désindustrialisation a donc une longue histoire avant que le terme et la notion ne s’imposent dans le débat public dans les années 1970. Savoir commencer une grève en propose une histoire pionnière en France.