Le livre de Virginie Gautier N’Dah-Sékou comporte trois parties, pour un total de onze chapitres. La première partie (« La résistance armée contre le franquisme : acteurs, stratégies spatiales, représentations »), la plus longue, est composée de cinq chapitres : « Vers une définition de la résistance armée au franquisme : bandits, maquisards ou guérilleros » ; « Étapes de la résistance armée au franquisme » ; « Les acteurs de la lutte armée contre le régime franquiste : huidos, guérilleros et agents de liaison » ; « De la « territorialisation » de la lutte à l’isolement de la guérilla » ; « La réponse du régime franquiste à la guérilla »).
Cette partie montre d’abord les stratégies du pouvoir franquiste pour effacer toute composante politique de cette résistance, la cantonnant aux crimes de droit commun, du banditisme. Le travail s’intéresse ensuite à la qualification de « maquis », après 1944, et à l’idée d’une guérilla comme expression d’un « banditisme social » (33) qui, cependant, n’aurait jamais été un phénomène généralisé. L’auteur signale ensuite la tendance plus récente à analyser cette guérilla sous un prisme plus sociologique, comme l’expression d’une action collective à caractère politique. Elle aurait été la concrétisation d’une revendication sociale, poussée à la violence par la répression. Il faudrait donc l’appréhender dans une double logique, à la fois diachronique (dans le cadre des mobilisations des XIXe et XXe siècles en Espagne) et synchronique (comme manifestation de résistance au fascisme). Dans le deuxième chapitre, sont passées en revue les différentes phases de la résistance armée, perçue comme une « histoire de “micro-événements” ». Le travail met ainsi en lumière son caractère dynamique, aux fluctuations néanmoins évidentes en fonction des périodes et des zones géographiques. Quatre étapes sont alors établies (1936-1939 ; 1939-1944 ; 1944-1947 et 1947-1952) au cours desquelles sont étudiées les réalités politiques, sociales et militaires de la lutte. On serait ainsi passé d’une phase purement défensive à une autre offensive, que l’inertie des démocraties et l’obstination de la direction du Parti Communiste Espagnol, principale force politique de cette guérilla, auraient finalement conduit à l’échec face à une répression sans quartier. Le troisième chapitre développe l’idée d’une hétérogénéité des combattants, qui aurait également nui à la poursuite de la lutte. Une hétérogénéité politique et culturelle, mais qui se serait doublée – du fait des caractéristiques propres des conditions de la résistance – d’une autre, sociale et géographique. Pour parvenir à définir le plus précisément possible qui intégrait vraiment cette résistance, l’auteur a recours à la distinction entre une « résistance-organisation », faite de combattants armés, et une « résistance-mouvement » où se seraient retrouvés les soutiens civils. L’analyse socio-professionnelle démontre que, pour une très large majorité, il s’agissait de paysans, ce qui amène l’auteur à qualifier la guérilla de « résistance des pauvres » (p. 47). À partir de là, le travail développe une étude à travers trois facteurs : l’intentionnalité, la fonctionnalité et la rationalité, lorsque l’entrée en résistance est le fruit d’un « calcul rationnel » (p. 48), motivé par une prise de conscience d’un plus grand danger à choisir la passivité. C’est donc sur ces bases-là que sont alors abordés les « moteurs de l’entrée en résistance » (p. 49) : héritage familial, question générationnelle, solidarité, etc. L’auteur considère qu’il ne convient pas d’analyser cette résistance en termes de « lutte des classes » car cela ne permettrait pas de comprendre la très grande complexité des raisons ayant conduit, les uns et les autres, à ce périlleux engagement. Avec le quatrième chapitre, on comprend la mécanique d’ancrage de la guérilla dans un espace délimité et ses conséquences sur la capacité d’impact de cette résistance, fatalement cantonnée à une sphère réduite. Le travail met en rapport la réalité de l’espace occupé et le type d’action privilégié, faisant ainsi ressortir aussi bien les « stratégies spatiales « (p. 62) des guérilleros que leurs « pratiques spatiales » (p. 62). S’ensuit une description des différentes modalités d’évitement de la menace répressive franquiste : de la réclusion volontaire de ceux qui seront surnommés les topos à la clandestinité dans les montagnes. Toutes ces alternatives, à leur niveau, furent autant de moyens de fuite, mais est assimilé à une résistance quand le simple fait de rester en vie était déjà en soi un moyen de combat.
Le travail montre ensuite l’opposition entre les zones habitées, « territoire des autorités officielles » (p. 66) et la montagne, devenue un domaine sous contrôle des « maquis ». Un espace qu’ils cherchèrent à s’approprier au quotidien, sans véritable succès cependant en fin de comptes. Sont ensuite décrites et analysées, dans leur symbolisme, les différentes actions menées : occupations, sabotages, etc. Mais cette territorialisation forcée de la lutte, fut combattue à la fois par l’État, qui chercha à briser les liens de solidarité créés, et par le PCE, soucieux d’éviter toute perte de repère national. Cet ancrage si fortement local finira par devenir un des ressorts de l’échec final de la guérilla, tout comme les dissensions et les mésententes à répétition entre les diverses structures clandestines à l’idéologie différente. En somme, seul le PCE soutiendra – avec une constance pourtant aléatoire – la poursuite de l’action armée pouvant déboucher sur l’insurrection générale. Cette analyse mène le lecteur ensuite à l’exposé des rapports entre la lutte armée en Espagne et le positionnement des puissance étrangères, dont l’attitude à son égard fut pour le moins circonspecte, voire ouvertement hostile à certains moments. Le dernier chapitre de cette partie analyse les mécanismes de la répression et les outils mis en œuvre par le Pouvoir. Les acteurs sont identifiés (Garde Civile, milices, Armée, délateurs) et l’on montre l’inflexion dans la stratégie employée à partir de 1947. L’arsenal légal fut mis à contribution avec la série de lois bien connues, mises en place depuis quasiment le début de la guerre. Avec une même philosophie : l’« esprit de revanche » (p. 92) et la volonté d’éradiquer toute trace, tout vestige de ces bandoleros. L’auteur s’attache, là aussi, à analyser la stratégie spatiale de cette lutte contre la guérilla et, notamment, le contrôle social et le quadrillage de l’espace. Deux options qui débouchèrent sur la répression des populations civiles comme moyen de pression sur l’ennemi « des montagnes ». Dès lors, l’espace privé cessa d’exister avec un but bien précis : transformer la résistance en « un non-événement dépourvu de tout signification politique » (p. 104).
La deuxième partie (« Mémoire de la République, de la guerre civile et du franquisme : politiques publiques et société civile, 1936-2011 ») ne comporte que deux chapitres : « La prise en compte de l’espace dans les politiques de mémoire sous le franquisme et la démocratie » et « La mémoire de la guérilla antifranquiste dans la société civile ». Le travail se focalise sur ceux qui sont définis comme les « “émetteurs” de la mémoire de l’antifranquisme » (p. 107), y compris sous la dictature. Avec une première évidence : « il n’existe pas toujours une seule mémoire officielle » (p. 109). Dans un premier temps, le travail s’attache à présenter ce qu’il en fut dans l’Espagne franquiste elle-même, en décrivant les politiques officielles du régime sur la mémoire du conflit. Elle trouva sa traduction dans le changement de nombre de toponymes et par la présence de monuments. À partir de 1975, on souligne le mouvement de « récupération de la Mémoire Historique », opposée à la « bonne mémoire » (p. 113) de la Transition. Ce qui ouvre une réflexion sur l’amnésie dont aurait été frappé le processus de démocratisation. L’auteur conclut que les élites ne cherchèrent pas à approfondir la question de la mémoire afin de mieux préserver la stabilité du régime naissant. D’où l’ambiguïté des politiques mémorielles : les statues commémoratives de la dictature pouvaient disparaître ou pas, au gré des circonstances. La mémoire des vaincus de la guerre resta donc une affaire éminemment privée tout au long des années 80 et 90, avec ce que cela impliquait dans la restriction de la portée du message transmis.
À partir de 1996, certains mouvements commencèrent à émerger qui allaient changer la donne. Politiquement et socialement, l’auteur contextualise cette résurgence de la « mémoire historique » à récupérer. Cette notion de la « récupération » montre que les objectifs et les exigences variaient en fonction de qui s’attelait à la tâche, dans la droite ligne de l’apparition sur la scène nationale de la figure des « petits-enfants de républicains ». Il se forge ainsi progressivement un nouveau type de « lieu de mémoire » (p. 125) : la fosse commune. S’ensuivent ensuite les pages consacrées à tout le débat politique qui se déroula sur la « Mémoire historique » sous le gouvernement de Rodríguez Zapatero, avec en point d’orgue la loi de 2007 qui, finalement, ne contenta quasiment personne. Car, souligne l’auteur, il s’agissait d’une loi orientée vers le présent et non vers « une récupération du passé » (p. 131) permettant de reconnaître le bien-fondé de l’opposition antifranquiste. Un des aspects les plus développés dans le travail est alors le retrait des symboles franquistes, avec une focalisation particulière sur le Valle de los Caídos. En conclusion de ce sixième chapitre, il est fait une différence entre politique mémorielle étatique et politique des collectivités locales, suite au désengagement de l’État à leur profit et le travail passe alors en revue différentes initiatives locales. C’est une fois documentés tous ces aspects que le lecteur se plonge dans la réalité de la mémoire des familles qui furent, finalement, les premiers acteurs, y compris sous le franquisme. Pour comprendre le phénomène, la figure du « témoin-victime » est essentielle : le vécu devient une expérience sociale come prélude à la mémoire collective ce qui à son tour, souligne l’auteur, révèle l’importance de l’auditoire. Ensuite, dans une partie consacrée au rôle des différents collectifs, on voit se dessiner comment, finalement, partis (PCE en tête) et syndicats jouèrent un rôle très timide. À l’inverse, les associations se montrèrent naturellement actives et combatives, depuis Archivo, Guerra y Exilio jusqu’à la Asociación por la Recuperación de la Memoria Histórica, en passant par le très médiatique Foro por la memoria.
Enfin, la troisième partie (« De la commémoration à la patrimonialisation : traces et marques de la mémoire de la résistance antifranquiste sur le territoire espagnol ») se compose de quatre chapitres : « L’inscription de la mémoire collective dans l’espace » ; « Du deuil des victimes à la célébration des héros de la résistance » ; « Marquer l’espace en l’absence de traces : les monuments en hommage aux guérilleros » ; « La patrimonialisation des traces de la guérilla antifranquiste ». Le point de départ de la réflexion menée est le concept de « lieux de mémoire » de Pierre Nora. L’auteur analyse sa signification et développe pourquoi il pourrait – ou pas – convenir à l’Espagne, pour conclure qu’il s’agit d’une « notion peu valide dans le cadre de ce travail » (p. 164). Dans le cas espagnol, l’auteur évoque la multiplication de production de lieux de mémoire, mais cela s’est fait, souligne-t-elle, au détriment de la visibilité. Cette « fragmentation des mémoires » témoigne finalement de la nécessité de parler de « mémoires » de la résistance armée. Pour mieux comprendre le phénomène, il faudrait donc partir des notions de « trace » et de « marque » comme repères plus adaptés à la réalité de la guérilla, car il serait ainsi possible alors d’appréhender un passé qui « n’est pas présenté dans un lieu, mais socialement construit » (p. 166). Les chapitres 9 et 10 s’attachent donc à analyser les différentes significations de lieux où la résistance connut des moments importants, presque toujours liés à la mort. Avec le sens de telles démarches : « exhumer des corps pour exhumer la mémoire ». Et quand les traces viennent à manquer, l’auteur explique le recours à ces « monuments-message », à la portée hautement symbolique, que l’on peut trouver dans la géographie espagnole et qui sont minutieusement décrits. C’est ainsi que l’on aborde le tout dernier chapitre qui vient démontrer que, ces dernières années, la mémoire n’est plus dans une « logique de commémoration mais de patrimonialisation » (p. 233). D’où le focus sur le travail de préservation des traces (souvent fragiles) de la guérilla et sur la manière de les appréhender par le public. Un travail qui annonce comment se déroule, en parallèle, une volonté de valoriser les paysages ruraux, avec le souci de la protection de l’environnement, pour mieux favoriser l’émergence d’un tourisme centré sur ce passé. Ce qui, d’ailleurs, n’a pas manqué de susciter des polémiques dans la mesure où l’histoire même de ces combattants risque en quelque sorte d’être réécrite, gommant tel ou tel aspect. Les dernières pages sont ensuite consacrées aux musées.
Le constat final reste qu’il y a eu un « éclatement de l’espace » réservé à cet épisode de l’histoire récente espagnole et que cela serait dû à « l’absence d’une mémoire “partagée” de l’anti-franquisme » (p. 253).