Perçue comme une guerre entre noirs (le camp de Toussaint) et mulâtres (celui d’André Rigaud), ce conflit fut aussi, surtout, le fruit d’une rivalité pour le pouvoir, mais l’on peut aussi y voir la main des puissances étrangères. « Mulâtre libre », Rigaud s’était engagé après l’exécution de Vogé et de ses compagnons, en faveur de l’égalité entre hommes libres, noirs ou blancs. « Patriote », il soutint les commissaires Sonthonax et Polverel dès leur arrivée, en septembre 1792 et les accueillit dans son fief, la ville des Cayes lorsque les Britanniques s’emparèrent de Port-au-Prince, le 1er juin 1794. Plus tard, il souleva, à la tête d’une Légion de l’Égalité du Sud, la péninsule de Tiburon[1] contre les Anglais, puis participa, en novembre, à la reprise de Port-au-Prince. Pour Rigaud cependant, l’égalité concernait surtout les mulâtres et les blancs et n’impliquait pas l’abolition de l’esclavage. D’ailleurs, Rigaud, nous dit-on, se méfiait des noirs et ne s’entourait que de mulâtres. Son armée de mulâtres fut d’ailleurs constituée avec l’aide de planteurs français. Enfin, Rigaud était un « patriote », fidèle à la République française, Ce qui explique sans doute l’attitude d’Hédouville à son égard et ses combats résolus contre les Anglais.
La Guerre des couteaux illustrait aussi une différence entre les régions de l’île que séparaient des montagnes, entre un Nord plus riche et un Sud moins bien loti. Elle s’accompagna de tueries parmi les mulâtres : selon V. Saint-Louis, elle aurait fait quelque 30.000 morts. Entre 5.000 et 10.000 des combattants du « camp mulâtre » furent massacrés, souvent après leur reddition. Bernard Gainot, comme Saint-Louis, parle même à ce propos d’une « guerre d’extermination ». Cette guerre civile connaîtra un contrecoup tardif avec l’assassinat de Dessalines : l’on note que ce sont les généraux Alexandre Pétion, Jean-Pierre Boyer, André Rigaud et Henri Christophe qui en furent les inspirateurs…
Dans la partie ouest d’Hispaniola, les années 1798-1802 ont entre-temps cristallisé la division entre Nord noir et un Sud mulâtre.
Paul Delmotte
POUR lance un “Dossier décolonisation” au sein duquel nous analyserons, durant plusieurs mois, le fonctionnement de nos sociétés occidentales sous le prisme décolonial. Chaque mercredi, nous vous proposerons un nouvel article ou vidéo qui participera à approfondir ce sujet plus que jamais d’actualité.
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[1] Bande de terre, qui s’étend vers l’Ouest, au sud de Port-au-Prince et comprend les villes de Jérémie, Les Cayes, Léogâne, Le Grand- et le Petit Goâve et Jacmel.
[2] Entre l’Angleterre, la Russie impériale, l’empire des Habsbourg d’Autriche et la Suède.
[3] Secrétaire d’État (1790-1793), puis vice-président (1797-1801) avant d’être élu à la présidence (1801-1809).
[4] Selon Jean Tulard, Le Grand Empire, Albin Michel, 2009 – Wikipédia.
[5] Comme à Pointe Coupée, en 1795. L’année suivante, le gouverneur espagnol de la Louisiane interdit toute importation d’esclaves, quelle que soit leur origine. Ce qui lui valut les protestations des planteurs.
[6] Le Cabinet britannique enjoignit au gouverneur de la Jamaïque de ne pas intervenir et lui aurait confié que Toussaint Louverture était « une calamité issue de la Révolution [française] dont il n’était pas question d’empêcher l’anéantissement » (V. Saint-Louis, art. cit. p.165).
[7] Leclerc avait épousé Pauline Bonaparte, sœur de Napoléon.
[8] Le capitaine-général Donatien-Marie-Joseph de Vimeur, vicomte de Rochambeau, qui avait participé à la Guerre d’indépendance des États-Unis sous les ordres de son père, le maréchal de Rochambeau, vainqueur de la bataille de Yorktown (1781).
[9] Il l’obtiendra dans la division commandée par Rochambeau (art. cit. p.166).
[10] In Flora Fraser, op.cit., p.98.
[11] Il fallait à l’époque quelque 6 semaines pour qu’un navire relie la France aux Antilles.
[12] Seuls 6.000 soldats français sont toutefois encore aptes aux combats et Leclerc demande des renforts à Paris, sous peine de reperdre la colonie dans les 2 mois (in Flora Fraser, op.cit., p.82).
[13] Jacques Maurepas (qui signait Morpas), (1715?-1802) commandait au moment de l’expédition Leclerc à Port-de-Paix et au Môle Saint-Nicolas, positions que Louverture le chargea de défendre contre le corps expéditionnaire. En février 1802, Maurepas fit incendier Port-de-Paix sur ordre de Louverture et se retira dans les régions avoisinantes, où il battit les généraux français Humbert, puis Debelle avant de… se rendre aux troupes françaises dans lesquelles Leclerc l’intégra. Soupçonné d’être impliqué dans une nouvelle tentative de révolte, Maurepas fut affreusement torturé sur ordre de Rochambeau et son corps jeté à la mer. Sa femme et ses enfants furent pendus.
[14] En août 1802, Macaya subit de graves pertes du fait de Dessalines, au service des Français.
[15] https://haitiinfos.net/2013/11/histoire-la-revolution-haitienne/ .
[16] In Flora Fraser, op.cit., p.96.
[17] Courrier cité dans le livre de Claude Ribbe, Le Crime de Napoléon, 2005, Ed. Le Cherche Midi.
[18] Après Vertières, Rochambeau dut quitter la colonie. De Noailles se rendra fin novembre aux Britanniques
[19] Op.cit., p.100
[20] Selon V. Schoelcher, op.cit.
[21] Ce que Rochambeau lui-même recommandera comme étant plus « économique », l’alimentation de ces animaux n’ayant plus à être assuré… (Une autre Histoire. Histoires oubliées, histoires occultées, revue d’Histoire antiraciste, une-autre-histoire.org/fr) – Voir encadré
[22] Haitian Revolution (1791-1804) – Wikipédia
[23] Comme sous l’Ancien régime, les victoires remportées contre les Anglais (protestants) sont célébrées par l’Église catholique
[24] Tim Matthewson, A Proslavery Foreign Policy : Haitian-American Relations During the Early Republic, Greenwood Publishing Group, 2003 (Wikipédia)
[25] Art. cit., p.168.
[26] Déjà, la France avait dû abandonner, suite à la Guerre de Sept Ans (1656-1673) l’ensemble du Canada.
(Exceptés St.Pierre et Miquelon). Le conflit s’accompagna du Grand Dérangement, c.-à-d. l’expulsion des Acadiens français (dont les Cajuns de Louisiane) : quelque 7 à 8.000 personnes sur une population de 13.000 âmes. Simultanée à la perte de Saint-Domingue, la vente de la Louisiane aux Etats-Unis (1803) clôtura ce processus.
[27] L’ainsi nommée « quasi-guerre » (1798-1799).
[28] Le livre noir…, p.113.
[29] M. Covo, art. cit.