La Cour et l’avocat des sociétés à expertiser escamotent de concert le premier rapport de l’Expert. Un véritable tour de passe-passe.

Episode 31.
L’Expert Sanzot publiait son premier rapport le 02 mars 2021. Il s’agit d’une véritable bombe.
L’Expert Sanzot publiait son premier rapport le 02 mars 2021. Il s’agit d’une véritable bombe. Nous avons traité en détail de son contenu ravageur dans l’épisode 15 intitulé « Taire la vérité[1] ».

De concert, l’avocat des sociétés Me Tchékémian (Cabinet DalDewolf) et la Cour vont l’escamoter et ainsi, notamment, empêcher la réouverture du dossier Fidelec, cette société établie au Liechtenstein  dont l’existence a été longtemps niée par les fraudeurs et leurs conseils.

Démonstration :

1-L’Expert Sanzot dépose le 02 mars 2021 un rapport d’expertise intitulé « Actualisation du rapport préliminaire du 12 juillet 2019, par sondages des sociétés Saprotel et Gespafina ».

 

2-Le plumitif d’audience du 04 mars 2021 est rédigé comme suit :

Le plumitif reprend les informations suivantes :

« M Sanzot est entendu en ses explications dans le cadre du suivi des opérations d’expertise.

Le Conseil des sociétés réagira à la dernière note de l’Expert pour le 25 mars 2021.

L’Expert déposera ses préliminaires pour le 17 juin 2021 au plus tard.

Les parties feront valoir leurs observations sur les préliminaires pour le 17 septembre 2021 au plus tard

La Cour met la cause en continuation à l’audience du 07 octobre 2021 pour le suivi de l’Expertise »

 

3-Extrait de la chronologie relative à ce rapport de l’Expert qualifié de « Note » par la Cour :

 – L’expert précise qu’il détaille les points pour lesquels il attend impérativement des réponses. A défaut, il indique :

demander expressément à la Cour d’astreindre les sociétés ou mettre les moyens en œuvre afin d’obtenir ces informations capitales pour atteindre l’objectif qui m’a été fixé par la Cour.
L’Expert s’étonne à nouveau que malgré ses multiples demandes, les plumitifs d’audience ne reprennent pas les propos qu’il a tenus
 – l’Expert s’étonne à nouveau auprès de la Présidente que malgré ses multiples demandes tant verbales  qu’écrites, les plumitifs d’audience ne reprennent pas les propos qu’il a tenus, alors que ces derniers sont proprement accablants pour les actionnaires des 3 sociétés et pour l’héritière fraudeuse et réviseure d’entreprise, auteure des manipulations comptables et financières ».   

NB : Le plumitif ne dit rien des énormes découvertes de l’Expert Sanzot, explicitées dans son rapport du 03 mars 2021.

 

4- L’arrêt du 11 mars 2021  non qualifié d’interlocutoire, relatif à l’audience du 04 mars 2021  mentionne notamment :

– les sociétés SA Société de gestion patrimoniale et financière (Gespafina) et SA Société anonyme de promotion des grands hôtels (Saprotel)  et, le cas échéant, la SA Gérance de Biens réagiront à la note d’actualisation du 02 mars 2021 de l’Expert judiciaire pour le 25 mars 2021 au plus tard.

-L’Expert judiciaire déposera et communiquera son rapport provisoire (ou préliminaires d’expertise) pour le 17 juin 2021 au plus tard

– Les parties feront valoir leurs observations sur le rapport provisoire pour le 17 septembre 2021 au plus tard.

– Fixe la cause en prosécution le jeudi 07 octobre 2021 ;   

 

5-L’avocat des sociétés, Me F. Tchékémian, écrit à l’Expert Sanzot le 25 mars 2021, soit le jour de la date limite fixée par la Cour pour réagir au rapport de l’Expert du 02 mars 2021 :

« ….Vous avez pris connaissance, comme moi, de l’arrêt du 11 mars 2021…..Celui-ci décide que mes clientes réagiront à votre note d’actualisation du 02 mars 2021 pour ce jour au plus tard.

Un important travail  a été réalisé par les administrateurs de mes clientes et le conseil technique de celles-ci.

Toutefois, l’administrateur en charge de ces questions a été hospitalisé lundi dernier, de sorte que le travail en cours n’a pas pu être achevé comme l’auraient souhaité mes clientes.

Dès lors, M. Maillard vous communique, par envoi séparé et à vous seul destiné, ses réflexions à la lecture de votre note précisée, ainsi que les pièces qui ont pu être rassemblées, le tout en l’état des travaux des intéressés. Cette communication est conforme à l’arrêt interlocutoire du 30 janvier 2020 » 

 

6-Rappel du contenu de l’arrêt interlocutoire du 30 janvier 2020, pour cet aspect de la communication des pièces

6-1 Extraits du plumitif

Le plumitif reprend les informations suivantes :

« En ce qui concerne la communication des informations par les sociétés à l’Expert, le conseil des sociétés propose que les informations sollicitées soient communiquées par ses clients ou lui-même uniquement à l’Expert. Celui-ci établirait un rapport préliminaire qui serait communiqué aux parties qui pourront faire leurs observations.

MM  Luc et jack Verbruggen marquent leur accord sur cette façon de procéder.

Il en va de même des conseils des intimés sub 2 à 6, sous réserve des limites imposées par l’article 9212 et l’autorité de la chose jugée.

Le Conseil de l’Etat belge ne marque pas son accord quant à cette façon de procéder qu’il considère contraire au caractère contradictoire de la communication des pièces.

… La Cour prononcera l’arrêt au plus tard le 23 janvier 2020 ».

NB : L’arrêt sera rendu le 30 janvier 2020.

 

6-2 Contenu de l’arrêt interlocutoire

– En ce qui concerne la communication par les 3 sociétés des informations et pièces qui leur sont demandées par l’expert judiciaire, les parties ont, à l’exception de l’Etat belge, marqué leur accord pour qu’elles soient dans un premier temps communiquées uniquement à l’expert judiciaire, à première demande, étant entendu que lorsque l’expert aura établi son rapport provisoire, les parties pourront faire toutes les observations qu’elles estimeraient nécessaires, notamment quant aux pièces dont elles considéreraient qu’elles doivent en prendre connaissance.

-Si des difficultés devaient apparaître à cet égard, ou concernant la comptabilité de la société Gérance de Biens, elles seront réglées par la Cour.

-Donne acte aux « 5 » qu’ils marquent leur accord sur les modalités de communication de pièces reprises ci-dessus, sous réserve des limites imposées par l’article 922 du Code civil et de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la Cour du 29 janvier 2015.

-Fixe à 19.500 euros le complément de provision et dit que ce complément sera consigné dans les 15 jours du présent arrêt par prélèvement sur les fonds indivis dépendant des successions et qui seraient disponibles entre les mains des notaires liquidateurs, et à défaut par la partie la plus diligente.

-Accorde à l’expert judiciaire un nouveau délai de 6 mois à dater du présent arrêt pour adresser son rapport provisoire aux parties et à la Cour.

-Fixe la cause en prosécution à l’audience du 30 avril 2020

La Cour a considéré qu’il n’y avait pas lieu, à ce stade de la procédure, d’ordonner la production forcée de documents complémentaire

Cet arrêt précise aussi que la Cour en son arrêt du 29 janvier 2015 a :

– considéré qu’il n’y avait pas lieu, à ce stade de la procédure, c’est-à-dire avant l’analyse par les notaires liquidateurs des pièces et explications relatives à cette question, d’ordonner la production forcée de documents complémentaire en rapport avec la liquidation d’une société Anstalt Fidelec

-concernant l’expertise judiciaire dont elle a ordonné la réalisation, précisé ce qui suit :

tout en étant consciente du caractère subsidiaire de l’expertise, la Cour estime que la nature du litige et des contestations entre parties commande de procéder à une expertise contradictoire, incluant non pas un contrôle plénier des écritures comptables utiles à l’évaluation requise par l’article 922 du Code civil, mais des sondages révélateurs de ce que les comptes annuels étudiés donnent une image suffisamment fidèle du patrimoine, de la situation financière et des résultats des sociétés concernées ou, en d’autres termes, que ces comptes ne comportent pas d’anomalies significatives 

-également précisé que la mission de l’expert ne s’étendra pas à la qualité de la gestion des sociétés

Cet arrêt dit :

Quant à l’opposition de l’Etat belge aux modalités de communication des pièces, la Cour rappelle que celui-ci intervient dans le cadre de l’expertise en raison des notifications qu’il a adressées aux notaires liquidateurs sur la base de l’article 882 du Code Civil, aux termes duquel les créanciers d’un copartageant, pour éviter que le partage ne soit fait en fraude de leurs droits, peuvent s’opposer à ce qu’il y soit procédé hors leur présence ; ils ont le droit d’y intervenir à leurs frais.
L’intervention de l’Etat belge est donc limitée à un droit de surveillance du déroulement des opérations de partage
L’intervention de l’Etat belge est donc limitée à un droit de surveillance du déroulement des opérations de partage et ce droit sera préservé par les modalités sur lesquelles les parties ont marqué leur accord, lesquelles tendent à faciliter l’avancement des opérations d’expertise et à en contrôler le coût.

Enfin, l’arrêt précise qu’en ce qui concerne la comptabilité  de la société Gérance de Biens, la Cour invite l’Expert judiciaire à faire part à cette société des difficultés qu’il rencontrerait avec la lecture de sa comptabilité. Si des difficultés subsistent, elles seront également réglées par la Cour ».

 

7- L’avocat des sociétés empêche donc les parties et principalement Luc Verbruggen d’accéder aux réponses fournies en retard par les sociétés, au rapport de l’Expert Sanzot du 02 mars 2021 en ayant recours abusivement au mode convenu de transmission des pièces, constituant déjà une exception pour le moins incompréhensible au principe du contradictoire.

Cela ressemble à un véritable tour de passe-passe
L’arrêt invoqué précise

«  En ce qui concerne la communication par les 3 sociétés des informations et pièces qui leur sont demandées par l’expert judiciaire, les parties ont, à l’exception de l’Etat belge, marqué leur accord pour qu’elles soient dans un premier temps communiquées uniquement à l’expert judiciaire, à première demande… »

L’arrêt est pourtant clair : le mode de communication défini concerne les informations et pièces demandées par l’Expert judiciaire ! Il ne s’agit pas des réponses fournies par les sociétés  à un rapport de l’Expert !

La Cour n’a pas réagi à l’attitude du Conseil des sociétés consistant à éclipser ainsi les réponses  au rapport, adressé le 02 mars 2021 à toutes les parties, de l’Expert Sanzot qui auraient dû être accessibles à toutes les parties pour le 25 mars au plus tard.

Cela ressemble à un véritable tour de passe-passe.

 

8-Le tour de passe-passe ainsi opéré, la Cour décide dans son arrêt du 15 avril 2021, qui suit donc de peu sa prise de connaissance du rapport de l’Expert du 02 mars 2021 :

Compte tenu de l’état d’avancement de la mission d’expertise, il n’apparaît pas qu’à ce stade, il y ait lieu de faire droit aux demandes de M. Luc Verbruggen en rapport avec l’Expertise en cours.

Ces demandes listées au point 4 de l’arrêt comprenaient notamment :

-la mise en œuvre d’une astreinte de 5.000 € par jour à défaut de communication dans les 8 jours de tous les éléments demandés par l’Expert judiciaire, ainsi que la prise  de mesures coercitives les plus fortes si cette injonction n’était pas respectée

-la prise en compte de tous les écrits de l’Expert judiciaire à la Cour et aux parties sur les obstructions dont il est toujours victime à ce jour

Dans ce même arrêt interlocutoire du 15 avril 2021, la Cour rejette la demande de M. Jack Verbruggen en rapport à l’Anstalt Fidelec.

Cette demande (point 11 et 12 de l’arrêt) consistait à ce que la Cour invite les notaires liquidateurs à solliciter auprès de divers tiers (Fonds de pension public allemand West Invest, acheteur de l’hôtel  vendu par la SA Saprotel, M.Philippe Steiger gestionnaire de fortune à Bâle , Me Giesbers notaire à Maastricht, l’administration fiscale néerlandaise) avec pièces justificatives, et « le tout certifié conforme à la vérité », des explications concernant le montant perçu par Mme Claire Gram suite à la liquidation de l’Anstalt Fidelec. La demande faisait aussi état d’astreintes de 1.250 € par jour à fixer par la Cour jusqu’à obtention de plusieurs documents à produire.

Après avoir repris les termes utilisés dans l’arrêt du 29 janvier 2015 selon lesquels il n’y avait pas lieu « … avant la désignation des notaires liquidateurs et l’analyse par ceux-ci des pièces et explications relatives à cette question, d’ordonner la production forcée de documents complémentaires en rapport avec la liquidation de l’Anstalt Fidelec », la Cour  précise que les notaires liquidateurs n’ont pas encore procédé à l’analyse « des pièces et explications » en rapport avec la liquidation de l’Anstalt Fidelec. Elle ajoute qu’ils ont certes procédé à l’inventaire des successions…..mais que néanmoins cette phase des opérations notariales n’est pas l’analyse attendue suite à l’arrêt de la Cour du 29 janvier 2015.

Etablissant une relation de cause à effet qui n’est pas compréhensible, votre Cour en conclut :

il n’y a donc pas lieu, à ce stade, d’inviter les notaires liquidateurs à solliciter les pièces et explications visées par la demande de M. Jack Verbruggen.

 

9-Ces demandes rejetées, touchant notamment à l’Anstalt Fidelec et à la nécessité de prendre des mesures coercitives avec astreintes, par l’arrêt interlocutoire du 15 avril 2021 n’ont pas donné lieu dans les arrêts postérieurs de la Cour (14 juin 2021, 28 octobre 2021, 25 mars 2022, 12 mai 2022, 15 septembre 2022, 29 juin 2023 et enfin 07 mars 2024) à quelque nouvelle appréciation que ce soit. Les choses sont donc restées en l’état selon la Cour. Le rapport de l’Expert du 03 mars 2021, antérieur à l’ arrêt du 15 avril 2021, n’a pas entraîné la Cour à  ordonner la production forcée de documents complémentaires en rapport avec la liquidation de l’Anstalt Fidelec , pas plus, ensuite que le second rapport de l’Expert du 23 août 2021.

En cela, la Cour perpétue, à sa manière, le diktat imposé par le planificateur successoral Emmanuel de Wilde d’Estmaël : l’Anstalt Fidelec n’existe pas ou il ne faut point en parler.

A croire que la notion « à ce stade » doive être comprise comme « définitivement ». 
Le terme « à ce stade » que la Cour utilise à plusieurs reprises pour justifier de ne pas prendre des décisions de bon sens sert de paravent réutilisé quand il le faut pour délibérément ne pas prendre ces décisions. C’est le même terme que la Cour a utilisé , également à plusieurs reprises, pour maintenir l’Etat belge « au balcon ». A croire que la notion « à ce stade » doive être comprise comme « définitivement ».

Pour ce qui concerne les informations à obtenir relativement à la liquidation de Fidelec, le refus de la Cour est d’autant plus interpellant que l’Expert lui a expressément demandé de se mettre en contact avec les notaires judiciaires.

En page 24 de l’arrêt du 29 janvier 2015, point 17.1.1. les juges de la 7ème Chambre écrivent :

La problématique de l’ampleur et de la distribution des sommes issues de la liquidation de l’Anstalt Fidelec n’est pas intégralement couverte par l’autorité de la chose jugée au pénal en tant qu’elle concerne la succession de Claire Gram. Tout au plus la 11ème Chambre de la Cour a-t-elle, dans son arrêt du 18 septembre 2012 …..
Autant d’éléments prouvant que la « réouverture » du dossier Fidelec par les deux Notaires judicaires est empêchée par la Cour.
Les refus d’agir « à ce stade » de la 43ème Chambre et son tout dernier arrêt du 07 mars 2024 encadrant étroitement la mission du nouvel Expert nommé sont autant d’éléments prouvant que la « réouverture » du dossier Fidelec par les deux Notaires judicaires est empêchée par la Cour.

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 Christian Savestre

 Voir le dossier complet :

 


[1] https://pour.press/taire-la-verite/