MERCI À CELLES ET CEUX QUI NOUS SOUTIENNENT !
C’est grâce à vous que notre petite équipe de bénévoles peut publier du contenu.
Vous pouvez aussi nous soutenir en vous abonnant
sur Tipeee, ou nous soutenir GRATUITEMENT avec Lilo !
4La première contribution de cette seconde partie interroge les transformations à l’œuvre au sein de l’opérateur postal belge bpost depuis les années 2000. Elle montre que le processus de rationalisation du métier de facteur, voulu par le management pour rendre l’entreprise plus performante, suscite de nombreuses mobilisations et résistances syndicales qui débouchent sur des accords. La deuxième contribution traite de Bulgarski Poshti, l’opérateur postal bulgare. Elle indique que l’acteur syndical, par ailleurs fortement intégré dans l’entreprise, est contesté par les salariés qui critiquent son incapacité à améliorer les conditions salariales. Celles-ci restent médiocres et les salariés tendent plutôt à mobiliser des stratégies individuelles pour les améliorer.
5La troisième contribution porte sur Correos, l’opérateur postal espagnol. Elle dévoile comment le « travail syndical ordinaire » permet à l’acteur syndical de conserver une certaine légitimité auprès des travailleurs et ce en dépit de son échec à améliorer les conditions de d’emploi.
6La quatrième contribution est consacrée à l’opérateur postal français La Poste. À partir de la question des modifications du temps de travail, elle examine les menaces que celles-ci font peser sur le métier et l’identité de facteur, ainsi que la difficile réponse des organisations syndicales.
7Enfin, le cinquième article porte sur la Royal Mail, l’opérateur postier britannique. Il examine les enjeux de la santé et du vieillissement au travail au sein de l’entreprise, totalement privatisée depuis 2013. Elle montre que les syndicats ont pu, malgré la privatisation, conserver leur influence et leur capacité de négociation.
8Les deux parties de l’ouvrage se distinguent par leur approche, la première étant globale alors que la seconde est locale. Elles s’appliquent cependant à répondre aux trois mêmes questions : (i) les effets de la libéralisation des opérateurs postaux ; (ii) les conséquences de celle-ci sur l’action syndicale ; (iii) ainsi que sur le métier et l’identité de facteur.
9Les auteurs nous enjoignent à appréhender le processus de libéralisation des activités postales en Europe avec nuance. S’il s’inscrit dans une tendance globale de remise en cause néolibérale du secteur public, notamment encouragée par les nombreuses directives européennes qui ont favorisé l’ouverture au marché des entreprises postales, les réponses nationales ont été variées. Ainsi, parmi les cinq opérateurs étudiés, n’y a que la Royal Mail britannique qui a été totalement privatisée, alors qu’en Belgique la privatisation de bpost a été partielle, l’État détenant toujours la moitié des parts de l’entreprise. Si les opérateurs postaux bulgare, espagnol et français sont toujours entièrement sous contrôle de l’État, leur fonctionnement se rapproche néanmoins de plus en plus de celui du secteur privé commercial, poussant les auteurs à parler de « privatisation rampante ». Dans un tel contexte, les opérateurs postaux ont eu recours à des stratégies différentes : prolongation des activités traditionnelles, comme la distribution de lettres, pour les uns, diversification pour les autres, en s’ouvrant au marché du colis et au secteur bancaire ; de même, certains opérateurs comme bpost, Royal Mail et La Poste ont développé leurs activités à l’étranger, là où les opérateurs espagnol (Correos) et bulgare (Bulgarski Poshti) se sont uniquement maintenus dans leurs pays respectifs.
10L’ouvrage révèle, et c’est sans doute son apport le plus important, que l’action syndicale s’est révélée cruciale face à de tels bouleversements. Les syndicats sont parvenus à maintenir un taux de syndicalisation le plus souvent élevé au sein des opérateurs postaux : le taux de postiers syndiqués est en effet systématiquement supérieur aux moyennes nationales. La plupart du temps cependant, les syndicats, dont l’action est avant tout défensive, négocient « dos au mur ». Dans un contexte politique et idéologique qui leur est particulièrement défavorable, ils n’ont pas réussi à éviter l’ouverture des services postaux à la concurrence marchande. Au lieu de contester la libéralisation et les changements qu’elle implique, ils ont plutôt cherché à limiter ses éléments les plus dommageables, notamment sur l’emploi et les conditions de travail. Pour reprendre les mots du secrétaire national d’un syndicat espagnol, il s’agit avant tout de « faire en sorte que la locomotive ralentisse » ou, dit autrement, « faire en sorte que les changements radicaux impulsés par les directions puissent être transformés en un processus plus lent et plus humain ».
11Le « réalisme syndical » mis en œuvre vise à préserver la viabilité des opérateurs postaux et à éviter que les emplois ne disparaissent au profit d’acteurs émergents (Amazon, Ali Baba, etc.), au sein desquels les conditions d’emplois et de travail sont nettement plus dégradées. L’ouvrage montre que, au vu des taux élevés de syndicalisation des facteurs, mais aussi de la qualité des emplois – en comparaison avec ceux en vigueur dans les autres entreprises du secteur de la logistique –, cette stratégie a permis d’obtenir des emplois de meilleure qualité.
12En effet, un troisième aspect soulevé par les auteurs de l’ouvrage concerne les transformations de l’emploi et du travail des facteurs. Les cinq opérateurs étudiés ont connu une forte diminution de leurs effectifs, couplée à une précarisation des emplois : remplacement des emplois d’agents statutaires par des emplois de salariés moins favorables, développement du travail à temps partiel ou de la sous-traitance. Par ailleurs, la rationalisation et l’intensification du travail contribuent chez certains opérateurs à une véritable déstabilisation de l’identité du métier de facteur : les opérations de tri sont réduites ou disparaissent au profit d’une spécialisation dans les activités de livraison ; l’autonomie de la conduite de la tournée est remise en question au profit d’une approche plus taylorienne ; l’attribution fixe des tournées aux facteurs est questionnée ; etc. La figure du facteur, ainsi menacée, tend à se rapprocher de plus en plus de celle du livreur.
13La lecture de cet ouvrage laisse un sentiment partagé quant à l’avenir des opérateurs postaux et du métier de facteur, au regard des stratégies syndicales qui sont déployées. D’une part, si l’on considère l’évolution des conditions d’emploi et de travail des facteurs, le bilan de trente ans d’action syndicale paraît nécessairement décevant. Cependant, pour peu que l’on prenne de la hauteur et que l’on s’intéresse aux autres emplois en vigueur dans le secteur de la logistique, comme nous y enjoignent les auteurs de cet ouvrage, il paraît moins mitigé. Grâce à une forte présence syndicale et à des actions nombreuses, l’approche syndicale, bien que « réaliste » et donc nécessairement insatisfaisante, a permis de limiter la casse et de sauvegarder un certain nombre d’emplois de qualité supérieure à celle à l’œuvre dans le secteur de la distribution. Bien que sous pression, l’emploi au sein des opérateurs postaux historiques paraît moins éprouvé que parmi d’autres entreprises de la logistique et plus singulièrement les plateformes.
14Pour toutes ces raisons, Facteurs en Europe est un ouvrage essentiel pour quiconque s’intéresse à l’évolution des postes européennes et plus largement des entreprises publiques dans un contexte de mise en concurrence de celles-ci. Néanmoins, pour davantage étayer les deux principaux arguments qu’il apporte – le maintien par les syndicats d’une forte légitimité auprès des travailleurs et la meilleure situation d’emploi au regard de celle en vigueur dans le secteur de la livraison –, il serait intéressant de poursuivre de nouvelles recherches. D’une part, pour interroger de manière plus nuancée la représentativité des organisations syndicales au sein des services postaux : parviennent-elles à mobiliser les plus jeunes générations et les travailleurs dont la norme d’emploi est plus précaire ? Ou leur base, bien que forte, est principalement faite de facteurs âgés et stabilisés ? D’autre part, en comparant de manière plus systématique les opérateurs « historiques » avec les entreprises de livraison arrivées plus tardivement sur le marché.