La France, comme beaucoup d’autres pays européens, a connu un déclin historique des anciens partis ouvriers. Cependant, l’essor de La France insoumise a permis le renouveau d’une gauche dynamique ancrée dans la mobilisation populaire.
Les nombreuses crises qui affligent la présidence d’Emmanuel Macron témoignent d’une profonde agitation au sein des institutions françaises. Selon de nombreux observateurs, le principal bénéficiaire de cette situation serait le Rassemblement national, le parti d’extrême droite de Marine Le Pen, qui recueille aujourd’hui un fort soutien dans les sondages. Pourtant, la gauche française a démontré à maintes reprises qu’elle ne pouvait être écartée. L’été dernier encore, l’alliance du Nouveau Front populaire (NFP) a déjoué les pronostics en arrivant en tête des élections législatives.
La force radicale de gauche France Insoumise a joué un rôle décisif dans ce succès et dans le radicalisme du programme du NFP. Son candidat à la présidence, Jean-Luc Mélenchon, a été de loin le candidat de gauche le plus populaire lors des deux derniers cycles électoraux, et le mouvement a établi une présence beaucoup plus durable dans les mouvements de protestation et les institutions que les autres forces radicales de gauche européennes.
Dans une interview, Clémence Guetté, députée de La France insoumise, et Antoine Salles-Papou, de l’Institut La Boétie, ont expliqué la stratégie du mouvement, son ancrage dans la mobilisation populaire et la possibilité d’une refonte des institutions de la Ve République. Cette interview a été initialement publiée en italien, dans Teiko.
Teiko – Commençons par remonter dans le temps et replacer l’évolution de votre mouvement dans son contexte historique. Quelle était la situation sociale et politique qui a donné naissance à La France Insoumise ? Quelles ont été les forces clés qui ont contribué à la création du mouvement, et comment ont-elles influencé sa structure et son idéologie ?
Clémence Guetté – La France Insoumise a été créée en février 2016 pour promouvoir la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidence. Sa forme exacte n’était pas encore définie à ce moment-là. Le contexte français, européen et mondial nous aide à comprendre, après coup, pourquoi cette initiative a réussi : elle est née à la croisée de multiples cycles de luttes sociales et politiques ; elle est apparue comme un moyen de sortir de l’impasse de l’époque, de faire avancer la cause de la rupture.
Quels étaient ces cycles ? Tout d’abord, il y a eu une longue succession de mouvements sociaux français contre les réformes néolibérales. On peut simplifier en commençant par les grèves massives contre le plan d’Alain Juppé [visant à réduire les prestations sociales] à l’hiver 1995. Le gouvernement « pluraliste de gauche » composé de socialistes, de communistes et de verts [de 1998 à 2002] — même s’il a abouti à certaines privatisations et autres réformes néolibérales — n’en a pas moins été remarquable dans le contexte de la social-démocratie européenne. Tout d’abord, il s’agissait d’une alliance du Parti socialiste tourné vers la gauche, et non vers le centre. Ensuite, le mouvement ouvrier a obtenu une réduction du temps de travail, une avancée unique en Europe à l’époque.
Dans les années 2000, plusieurs mobilisations impressionnantes contre les réformes néolibérales ont eu lieu, avec des grèves, des occupations d’universités et des manifestations de rue massives. En 2003, une grande grève a eu lieu dans l’éducation nationale contre la réforme des retraites de François Fillon. En 2006, le projet de loi sur le « contrat première embauche » a été contesté, puis finalement retiré par Dominique de Villepin. En 2010, la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy a été combattue par 3,5 millions de travailleurs et d’étudiants au plus fort de la lutte, selon les estimations des syndicats. Et nous n’avons même pas mentionné les plus grandes mobilisations contre l’autonomie financière des universités et les réformes de l’éducation nationale, etc. Même si bon nombre de ces mouvements sociaux ont été vaincus, les victoires ont été assez fréquentes : en 1995, 2006 et 2008, par exemple.
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Tout cela pour dire que le long cycle de mobilisations en France, pris dans son ensemble, a constitué une expérience unique en Europe et en Occident : une vaste résistance combative et une critique du néolibéralisme. C’est aussi en partie pour cette raison que le néolibéralisme a eu une hégémonie faible en France, dans le sens où de larges pans des classes populaires n’ont jamais adhéré, même passivement, au dogme néolibéral, mais ont toujours été critiques.
Pourtant, tout au long des années 1990 et 2000, aucune expression politique de cette contestation sociale ne s’est jamais concrétisée. Les groupes à gauche du Parti socialiste sont restés exceptionnellement populaires par rapport aux normes européennes (deux candidats trotskistes ont obtenu ensemble 10 % des voix lors des élections de 2002), mais il n’y avait pas de force unificatrice capable de transformer la résistance sociale en résistance politique.
Le deuxième cycle important à comprendre, pour appréhender notre succès, est spécifiquement politique, même si nous ne pouvons l’analyser qu’en relation avec les mouvements sociaux. Notre point de départ, ici, est le référendum sur la Constitution européenne en 2005. Cet événement a servi à déclencher et à accélérer l’effondrement des grands blocs sociopolitiques tant à droite qu’à gauche.
Depuis les années 1980, ces deux blocs géraient différentes contradictions internes, certains hostiles à la réforme néolibérale du capitalisme en France, d’autres favorables. Au cours de la campagne référendaire de 2005, nous avons assisté à la fracture de ces blocs et à la campagne commune des groupes pro-UE de chaque côté.
L’image la plus symbolique de ce moment se trouve dans le magazine Paris Match, où deux futurs présidents, Nicolas Sarkozy et François Hollande, se tiennent côte à côte pour appeler à voter « oui ». Ces deux hommes ont ensuite été les agents d’un double réalignement : le centre-droit français s’est tourné vers le néoconservatisme, et le centre-gauche vers la « troisième voie » de Bill Clinton et Tony Blair. Ces forces ont perdu leur caractère spécifique, proprement français. Il faut se rappeler que le néolibéralisme n’avait pas une emprise forte sur la France. Le réalignement des principaux partis politiques français en une sorte de bloc proto-bourgeois a entraîné un changement majeur.
Les blocs sociaux se sont retrouvés orphelins, en colère contre leurs anciens représentants. D’autres blocs se sont retrouvés parmi d’étranges alliés. Tout cela a conduit à l’effondrement total de la scène politique pendant la campagne [présidentielle] de 2017. Cela a montré que le moment était venu de proposer de nouvelles solutions pour réorganiser le paysage politique. Rétrospectivement, c’est pourquoi certains ont parlé à l’époque d’un « moment populiste ». C’était un moment où les anciennes identifications politiques s’effondraient. C’était un moment très fluide qui favorisait l’émergence de nouveaux acteurs politiques.
Enfin, la création de France Insoumise coïncide presque avec le début du mouvement social contre la réforme du droit du travail [du gouvernement Hollande] — en d’autres termes, la renaissance du mouvement social quatre ans après l’élection de Hollande. Nous pouvons considérer cela comme une sorte de redémarrage, après une pause, du cycle que nous avons mentionné précédemment et qui a commencé en 1995. On peut y voir le lancement tardif d’une nouvelle génération, en France, dans le mouvement mondial contre l’hégémonie néolibérale.
Si l’on se souvient du mouvement de 2016, on voit clairement l’influence d’autres mouvements sociaux qui ont suivi la crise de 2008, notamment en Europe du Sud et en Amérique du Nord. La méthode consistant à occuper l’espace public était évidente de ce point de vue. Dans le mouvement dit « Nuit debout » [de 2016], la critique du néolibéralisme a pris un tournant plus radical, avec la montée en puissance des préoccupations démocratiques et la mise en avant des questions féministes ou antiracistes. Si la proposition politique de France Insoumise a pu décoller en 2016-2017, c’est aussi parce qu’elle constituait un outil adapté pour poursuivre ces cycles historiques et faire avancer leurs causes.
La France Insoumise a inventé un nouveau langage symbolique éloigné des anciens identifiants politiques de la gauche et a développé une stratégie discursive populiste destinée à combler le vide laissé par la crise des anciens blocs politiques. Enfin, le programme de la France Insoumise, avec ses thèmes et ses revendications, était cohérent avec le début de la crise de l’hégémonie néolibérale – en France, on peut la dater de 2016 – et avec le mouvement contre la réforme du droit du travail.
Teiko – Depuis sa création, France Insoumise s’est développée rapidement et est devenue — avec l’alliance NUPES [Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale] en 2022 et le Nouveau Front Populaire [NFP] en 2024 — la force hégémonique de la gauche française. Comment le mouvement est-il structuré aujourd’hui ?
Clémence Guetté – La première chose à dire est que La France insoumise a toujours été un travail en cours, en constante évolution. La structure de base qui existe depuis 2016 est le groupe d’action. Les règles de fonctionnement de ces groupes d’action ont été rédigées de manière à laisser une grande marge de manœuvre dans l’organisation, à s’adapter à divers projets d’intensité variable qui se développent au fil du temps et à gérer les fluctuations des cycles sociaux et politiques.
Tout le monde peut créer ou rejoindre un groupe d’action. Il n’y a pas de cotisation à payer, pas d’adhésion formelle ou officielle. Il suffit de rejoindre notre réseau social Action Populaire, qui permet à chacun de trouver ou de créer un groupe d’action à proximité. Aucun groupe d’action n’a de monopole territorial. Cela signifie que tout le monde peut créer son propre groupe, même si un groupe existe déjà dans la même ville, le même quartier, voire la même rue ! Le but de tout cela est de supprimer autant que possible les obstacles, tant matériels que symboliques, à l’action politique.
Nous voulons une structure poreuse, imbriquée dans la société au sens large, afin d’établir une continuité entre la conviction personnelle, la participation occasionnelle à des actions, l’identification au mouvement social, le fait de devenir militant et l’appartenance à un groupe d’action. Un autre objectif est d’avoir autant de groupes que possible, afin d’imprégner la société à un niveau microscopique. Il nous semble que la meilleure façon de parvenir à une telle diffusion moléculaire n’est pas d’élaborer un plan très détaillé imaginé par le haut et d’essayer de l’imposer sur l’ensemble du territoire. La liberté totale de créer des groupes d’action permet à leur structure de s’adapter à la forme des structures sociales existantes : un cercle d’amis, un groupe de voisins, des parents d’enfants fréquentant la même école, un quartier, etc.
Cela est plus efficace que de simplement découper la carte en zones. Bien sûr, cela a pour conséquence que certains groupes ne sont pas très actifs. C’est en fait intentionnel, même si cela peut poser des problèmes lorsque quelqu’un cherche un groupe auquel se joindre. C’est pourquoi nous avons ajouté un processus de certification pour les groupes. Les groupes certifiés sont ceux qui ont enregistré au moins deux actions sur Popular Action au cours des deux derniers mois et qui ont un duo de co-facilitateurs respectueux de l’égalité des genres. Cela nous permet de noter quels groupes d’action sont réellement actifs.
Cependant, les groupes d’action ne sont qu’une facette de France Insoumise. Le mouvement prend de nombreuses formes différentes. Il applique une sorte de confédéralisme. Au sein de France Insoumise, nous avons différents « espaces ». Chaque espace fonctionne de manière semi-autonome, selon sa propre logique. Il existe un espace pour les groupes d’action. Il y a également un espace programme qui rassemble tout le travail programmatique : il existe notamment une cinquantaine de groupes thématiques composés de militants ayant une expérience particulière dans tel ou tel domaine.
Ces groupes rédigent les brochures thématiques du programme, travaillent sur les différentes phases de mise à jour du programme, rencontrent des associations et des collectifs afin de maintenir les liens entre eux et le mouvement, etc. Il existe également un espace appelé « luttes sociales », qui est l’espace dédié aux luttes.
Il est composé de militants syndicaux, écologistes, antiracistes et d’auto-organisation urbaine. Ces militants, comme France Insoumise, maintiennent les liens entre notre mouvement et le monde des luttes sociales, en faisant valoir leurs besoins, etc. L’Institut Boétie, où des universitaires choisissent de travailler pour le mouvement, est également considéré comme un espace. Vous pouvez voir à travers ces exemples que chaque espace correspond à une logique, à un type spécifique de militantisme.
L’activité de France Insoumise ne revêt pas une forme unique. C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit de former un espace de direction identifié pour le mouvement, nous avons voulu représenter cette structure confédérale. Nous avons donc une coordination nationale des espaces. Il s’agit d’un organe dans lequel chaque espace reconnu par France Insoumise est représenté et se réunit une fois par semaine pour discuter des objectifs à court terme sur lesquels le mouvement doit prendre position. Pour les questions à plus long terme, l’instance compétente est l’assemblée représentative qui se réunit deux fois par an, avec des délégués de chaque département tirés au sort et un représentant de chaque espace. Cette instance adopte des orientations stratégiques, par exemple en vue des prochaines élections.Nous avons décrit ici dans les grandes lignes le fonctionnement de base de France Insoumise. Il existe d’autres éléments qui compliquent le tableau, comme les groupes au niveau départemental. Il s’agit d’une nouvelle évolution qui contribue à consolider le mouvement en interne, tout en conservant sa nature flexible et fluide. Ces groupes coordonnent au niveau départemental, attribuent des rôles particuliers (gestion du matériel, sécurité des événements, etc.) et forment une sorte de structure squelettique pour ce mouvement gazeux. À cela s’ajoutent les structures temporaires liées aux discussions nécessaires à la préparation des élections. Actuellement, France Insoumise prépare des stratégies et des programmes pour les prochaines élections municipales au niveau de chaque commune.
Teiko – Comment comprendre votre prise de décision politique que l’on pourrait qualifier de « verticale » – incarnée par un leader et son cercle de direction – et la structure « horizontale » et démocratique de toutes ces assemblées et groupes d’action qui s’organisent sur le réseau social Action Populaire ?
Clémence Guetté – Il s’agit d’une question de gestion de temporalités différentes. En politique, il n’y a pas de séparation entre le moment où l’on décide et celui où l’on adopte des positions, des stratégies et des tactiques politiques. En réalité, il est impossible de distinguer les deux. Les décisions à prendre découlent de la situation. Il n’existe pas de situation concrète qui corresponde à une application pure et parfaite d’une théorie élaborée et définie à l’avance. Et, bien sûr, un bon cadre théorique évolue avec la situation concrète.
Le rythme général de la société s’est accéléré par rapport au passé. Cela peut sembler une observation banale, mais c’est une réalité essentielle de notre époque : elle découle de l’explosion démographique, de la vitesse de transmission de l’information, voire de l’accélération du cycle des profits lui-même. Nous devons donc prendre des décisions plus rapidement que dans les années 1960 afin de rester en phase avec notre époque. Même si l’image que vous évoquez d’un dirigeant qui décide seul est réductrice, il est vrai qu’au sein de La France insoumise, il existe des instances dirigeantes très soudées, conçues pour prendre des décisions rapides afin d’éviter tout retard dans l’action.
De 2017 à 2022, le groupe parlementaire — qui ne comptait alors que dix-sept députés — a rempli cette fonction. Depuis que nous avons obtenu soixante-douze députés [lors des élections de 2022], c’est la coordination nationale des espaces qui joue ce rôle. Ils peuvent être en contact à tout moment via un chat de groupe et rester suffisamment réactifs compte tenu des nécessités de la politique moderne. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire.
Notre structure peut sembler créer un fossé infranchissable entre la base et la direction au sein du mouvement, mais seulement si l’on néglige notre processus décisionnel plus large. Tout d’abord, sur le plan formel et institutionnel, il existe des mécanismes permettant de prendre des décisions à long terme à intervalles réguliers. Comme décrit précédemment, les assemblées représentatives sont structurées de manière plus ou moins classique autour d’un texte émanant de la direction et des groupes d’action, l’assemblée produisant la synthèse.
Ensuite, il y a ce qui lie notre culture institutionnelle et informelle : le programme, L’avenir en commun. Grâce à la manière dont le programme a été élaboré, à ses mises à jour successives et à l’importance qu’il a eue dès le début dans le discours de France Insoumise, ainsi qu’à la place centrale qu’il occupe désormais dans les discussions au sein de la gauche française, ce document est devenu plus qu’un simple outil de campagne électorale. Il s’agit d’une référence commune et du cadre dans lequel La France insoumise jouit d’une grande liberté d’initiative. C’est ce cadre qui permet au mouvement d’accorder une certaine flexibilité à ses dirigeants.
Au-delà du programme, il y a le fait qu’une direction réactive […] fonctionne chaque jour comme un forum d’échange d’informations denses provenant de La France insoumise, avec une grande quantité d’informations circulant chaque heure entre la base, les élus et la direction. Les messages passent directement et sans nécessiter plus de temps que celui nécessaire pour taper et appuyer sur « envoyer ». On ne peut pas discuter de la structure des organisations, qu’elles soient politiques ou sociales, sans tenir compte des technologies de l’information et de la communication dont elles disposent.
La communication entre les structures centrales, les cellules de base et les couches intermédiaires n’est pas la même lorsqu’elle se fait par télégraphe, par un seul téléphone pour cinquante foyers ou par des discussions de groupe permettant un échange instantané et illimité. La structure pyramidale des partis de masse du XXe siècle, avec leurs réunions régulières à tous les niveaux, était largement justifiée par les contraintes concrètes de la communication ! Mais celles-ci sont aujourd’hui technologiquement obsolètes.
Teiko : En quoi La France insoumise se distingue-t-elle des autres expériences politiques de gauche des années 2000 à 2010 ? Quels enseignements peut-on tirer de Podemos en Espagne, de Syriza en Grèce ou de Morena au Mexique ? Comment La France insoumise a-t-elle évolué depuis sa création, sur les questions d’alliances et les conditions du projet d’une « Europe sociale » et de l’altermondialisation ?
Clémence Guetté – D’une manière générale, La France Insoumise est née du même contexte historique que des expériences comme Podemos, le Bloco [au Portugal] et Syriza, et même le mouvement derrière Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne et Bernie Sanders aux États-Unis. Il faut tout de suite préciser que, selon nous, Syriza a définitivement quitté ce groupe lorsque Alexis Tsipras a capitulé. Cet épisode nous a toutefois donné matière à réflexion. Il nous a montré le niveau de conflit auquel nous devons nous préparer lorsque la gauche radicale arrive au pouvoir.
C’est le principal problème auquel nous devons faire face. Les institutions de l’Union européenne – notamment celles qui sont les plus éloignées de la souveraineté populaire, comme la Banque centrale européenne – jouent un rôle clé en tant qu’instruments de la classe dirigeante pour écraser les expériences de gauche. La leçon que nous en avons tirée est qu’il faut redoubler d’efforts dans notre engagement en faveur de la rupture. Nous ne devons pas encourager l’illusion qu’un compromis rapide sera possible avec la classe dirigeante. Ce n’est pas le cas, et c’est précisément pour cette raison que nous devons préparer à l’avance les outils programmatiques nécessaires pour mener un bras de fer avec l’UE.
C’est pourquoi nous avons été intransigeants sur la question européenne lors de la rédaction des programmes communs de la NUPES et du NFP. En fin de compte, nous devons anticiper et préparer des contre-mesures pour les offensives que nous savons inévitables.
Pour répondre plus directement au sujet du type d’internationalisme que nous construisons, en particulier en Europe : nous sommes aujourd’hui dans une position particulière. En Europe, nous sommes la force qui bénéficie de la position la plus avancée tant en termes de succès électoral que de force de notre base. Cela nous donne la responsabilité de prendre l’initiative et de construire un réseau. Nous prenons cette question très au sérieux. Nos dirigeants voyagent beaucoup, rencontrant des forces à travers l’Europe, mais aussi en Amérique et en Afrique. Nous croyons en la reconstruction d’un nouveau réseau international d’entraide, de coordination et de discussion entre camarades, plutôt qu’en l’idée qu’une force hégémonique de la gauche radicale pourrait émerger à l’échelle de l’Europe ou au-delà.
Teiko -Vous insistez souvent sur le fait que La France insoumise est un « mouvement » plutôt qu’un parti traditionnel — ou, tout au plus, un « parti parapluie » conçu pour couvrir, soutenir et renforcer la diversité des tactiques dans la lutte, la coopération et les mobilisations. Le mouvement lui-même est influencé à son tour par ces dynamiques.
Cela soulève la question de la relation entre l’intérieur et l’extérieur, ou, en d’autres termes, entre La France insoumise en tant que plateforme politico-électorale et les mouvements sociaux. Pourriez-vous commenter cette conception de l’organisation et les relations entre La France insoumise et les mouvements sociaux français au cours de la dernière décennie ?
Clémence Guetté – La question de notre relation avec ceux qui sont à l’intérieur et à l’extérieur de notre mouvement n’est pas si dichotomique pour nous. C’est précisément la forme d’organisation que nous essayons d’inventer – la forme du mouvement – qui se considère comme un continuum avec la société, comme poreuse et non comme un organisme séparé du reste de la société par une membrane.
Notre mouvement vit en participant à d’autres mouvements sociaux, en tant que composante de ceux-ci et en s’en nourrissant. Que ce soit dans la croissance des groupes d’action qui se réunissent à travers le pays ou dans les données montrant l’utilisation croissante de la plateforme Action Populaire, nous pouvons clairement retracer l’histoire des mouvements sociaux récents. Les périodes de mobilisations intenses, par exemple contre la réforme des retraites en 2023 ou en soutien à la Palestine en 2024, ont été des moments où le mouvement s’est développé et s’est étoffé. Nous pouvons attester d’une intensité croissante de l’activité, avec davantage de personnes qui s’inscrivent. Une période de déclin correspond également à un refroidissement des mouvements sociaux, même si l’activité ne cesse jamais complètement, comme c’est le cas pour les mouvements sociaux. Comme nous voyons ainsi notre relation aux luttes, vous pouvez facilement comprendre pourquoi nous nous sentons libres de prendre l’initiative.
Comme tout le monde peut le constater, nous ne suivons pas la ligne traditionnelle des partis de gauche : « Nous soutenons les syndicats et c’est tout. » Compte tenu de notre place importante dans le paysage politique, nous estimons légitime de promouvoir nos propres stratégies pour le mouvement social, d’appeler à l’action selon nos propres conditions. Cela ne signifie pas que nous souhaitons remplacer les syndicats, les collectifs, les associations ou les organisations autonomes de lutte sociale. Nous avons une fonction particulière à leur égard en raison de notre travail : rapprocher les mouvements sociaux et la politique électorale, les luttes et le changement institutionnel. Notre mouvement existe pour que les luttes puissent entrer dans l’État et les institutions afin de les transformer.
Teiko – La période de 2018 à 2023 a été marquée non seulement par la crise du COVID, mais aussi par le soulèvement des gilets jaunes, des insurrections à travers le monde, le soulèvement contre la réforme des retraites de Macron et plusieurs révoltes antiracistes (des États-Unis en 2020 à la France en 2023). Ces années ont clairement marqué un tournant fondamental. Comment ces luttes ont-elles redéfini la ligne politique et la stratégie de La France insoumise ?
Clémence Guetté – Nous interprétons cette période comme l’entrée du peuple français dans le processus de la révolution citoyenne. Le mouvement des gilets jaunes a marqué une rupture. Au début, il s’agissait d’un mouvement en réaction à une taxe sur les carburants, et cette question concernait essentiellement la justice fiscale et les inégalités urbaines. Mais nous avons constaté qu’en quelques semaines, les revendications du mouvement se sont transformées. D’une part, on a vu apparaître des revendications dans différents domaines : reconsidération des impôts en général, des salaires, des retraites, de l’écologie populaire, etc. D’autre part, la question du pouvoir a été posée avec un appel à la destitution : « Macron doit partir » – et rappelons qu’il n’est pas anodin en France d’appeler à la démission du président de la République. Les revendications démocratiques sont devenues centrales pour les gilets jaunes : référendum d’initiative citoyenne, possibilité de révoquer les élus, assemblée constituante, etc.
Le mouvement des gilets jaunes est peut-être passé, mais le moment destituant, lui, est toujours là. Depuis lors, il réapparaît rapidement à chaque convulsion grave qui secoue le pays. Les mouvements sociaux ne peuvent pas rester longtemps centrés sur un objectif précis. On y sent ce sentiment, ou plutôt cette conscience que pour que les choses changent vraiment, tout doit changer. Et la question du pouvoir et du rejet de son organisation se pose dans cet esprit.
C’est ce qui s’est produit à nouveau, par exemple, dans le mouvement contre la réforme des retraites, à partir de la décision du gouvernement de faire passer la réforme par la force (article 49.3 [c’est-à-dire adopter la mesure sans vote]).
Nous sommes dans un long cycle de révolution citoyenne, et nous considérons cela comme une phase plutôt que comme un événement insurrectionnel clairement circonscrit. Notre stratégie est donc double. Tout d’abord, nous essayons, par notre action et nos propositions, d’empêcher cette phase de prendre fin, de l’aider à surmonter tous ses défis et de maintenir vivante la perspective constituante. Cela peut se faire par des mesures parlementaires, c’est pourquoi nous avons fait tout notre possible à l’Assemblée nationale pour empêcher le gouvernement de dissimuler son manque de majorité [en évitant un vote sur la réforme].
Nous avons œuvré pour aider la lutte dans la rue à progresser et avons empêché les manœuvres visant à y mettre fin prématurément. Ce type de travail peut également être avancé par les propositions institutionnelles que nous mettons sur la table. Prenons l’exemple de notre tentative de destitution d’Emmanuel Macron après son refus de reconnaître les résultats des élections législatives de juillet 2024. Nous avons œuvré pour maintenir vivante une perspective destituante, pour montrer que l’abandon par Macron des principes démocratiques fondamentaux par la force brute ne signifiait pas la fin de la bataille.
Deuxièmement, notre rôle en tant que mouvement politique est d’intégrer les élections dans le long processus de la révolution citoyenne. Nous le faisons grâce à notre travail programmatique : quelles que soient les élections à venir et la configuration des alliances préparées pour celles-ci, nous présentons toujours l’option de la rupture. Nous posons directement la question du pouvoir – comment il est réellement à notre portée – à chaque élection.
Teiko – Quelles sont les relations entre La France insoumise, les comités et associations des banlieues et les syndicats ? Comment ont-elles évolué au fil du temps ? Quelles sont les tensions et où convergez-vous ? Comment voyez-vous l’avenir de ces relations ?
Clémence Guetté – Nous devons d’abord avoir une vision claire de ce qu’étaient les relations au sein de la gauche française avant l’arrivée de La France insoumise. Le lien entre la Confédération générale du travail (CGT) et le Parti communiste français s’est affaibli avec les résultats électoraux en baisse de ce dernier. Les liens entre les Verts et les mouvements écologistes se sont également affaiblis à mesure que ces mouvements évoluaient et en raison de la méfiance née de l’expérience des gouvernements sociaux-démocrates. Enfin, les collectifs qui se sont formés dans les quartiers populaires ont été véritablement ignorés et méprisés.
La France Insoumise a choisi de regarder la société française telle qu’elle est aujourd’hui, et non de rêver du passé. Il existe une forme et un mode d’organisation qui permettent à chacun de participer. Il n’est pas possible de fonder au XXIe siècle un mouvement de masse exigeant une discipline de parti absolue et permanente, ancré dans les rythmes de vie comme ceux du prolétariat masculin du siècle dernier.
La France Insoumise est donc un mouvement poreux dans et avec l’ensemble de la société française. Elle reconnaît et organise le potentiel de tous ses membres à s’engager en dehors du mouvement : dans leurs syndicats, leurs collectifs et leurs associations. La plupart de nos militants ont tendance à prendre d’autres engagements importants parallèlement à France Insoumise ou entre les campagnes électorales.
Cette organisation découle de la théorie de l’ère du peuple et de la révolution citoyenne. Elle identifie les nouveaux lieux de lutte sociale qui se déroulent dans les villes pour l’accès aux réseaux. Elle exige une attention particulière pour ceux qui mènent ces combats au quotidien sous diverses formes.
De ce fait, le programme de France Insoumise est largement inspiré par les revendications sociales généralisées. Les revendications des collectifs des quartiers populaires, des mouvements féministes, des jeunes qui luttent contre le changement climatique et des mobilisations dans les territoires français d’outre-mer sont aussi les nôtres — elles sont articulées dans un programme qui vise à l’harmonie entre les êtres humains et la nature.
Ce dialogue programmatique nous oblige à construire de nouvelles relations avec les acteurs des luttes sociales, qu’ils soient individuels ou collectifs. Pour dépasser la méfiance envers la politique causée par les échecs de la social-démocratie, nous travaillons quotidiennement pour rassembler le plus grand nombre. Dans les quartiers populaires, cela se fait par un porte-à-porte constant, ce qui contraste fortement avec les pratiques de la vieille gauche. Cela signifie donner aux habitants la place qui leur revient, que ce soit en organisant nos réunions annuelles dans les quartiers populaires ou en présentant des candidats aux élections. Nous progressons petit à petit, car de plus en plus de personnes se portent volontaires pour travailler avec nous.
Il convient de noter la réticence de la vieille gauche à adopter avec nous cette stratégie d’union populaire au-delà des clivages partisans. Au sein de la NUPES et de la NFP, nous nous sommes battus pour ouvrir ce cadre d’organisation à tous, qu’ils soient membres ou non de tel ou tel parti, et pour y inclure les syndicats et les associations. Cela n’a pas été possible, car l’ancienne gauche ne voit que des accords électoraux, jetant ses programmes et ses promesses à la poubelle à la première occasion. Elle n’a pas été à la hauteur de la situation et des espoirs suscités, mais cela ne nous empêchera pas de poursuivre cette stratégie lors des prochaines élections.
Teiko – Au début de l’année 2023, vous avez lancé l’Institut Boétie, la fondation culturelle de France Insoumise, avec laquelle plusieurs d’entre nous collaborent activement. L’Institut Boétie n’organise pas seulement des conférences et publie des recherches, mais joue également un rôle essentiel dans l’éducation populaire et la formation des militants. Quelle est la place de l’institut dans France Insoumise en tant que mouvement politique ?
Clémence Guetté – L’Institut Boétie est né d’une réflexion sur l’évolution de notre mouvement après les élections de 2022. Nous avions atteint plusieurs objectifs importants : le dépassement de la social-démocratie, confirmé par deux élections présidentielles ; la croissance de notre groupe parlementaire, devenu la plus grande force de gauche ; et l’expérience d’un front de gauche porté par son aile radicale.
Nous sommes alors entrés dans une nouvelle phase : la période où nous avons définitivement laissé derrière nous notre enfance en tant que campagne électorale permanente. Pour grandir, nous avons construit cette nouvelle institution qui nous a permis de mobiliser l’activisme intellectuel de divers secteurs qui nous ont rejoints – le plus souvent pendant les campagnes – et de mettre leurs capacités au service de la lutte.
L’Institut Boétie est avant tout une structure conçue pour donner des tâches plus permanentes aux nombreux universitaires qui nous ont rejoints au cours de nos campagnes. Parmi ces tâches figure bien sûr la production de bons arguments pour nos militants. Il y a aussi le combat intellectuel contre l’idéologie dominante et donc la production de recherches, d’études scientifiques qui la contredisent. Les économistes de l’institut ont par exemple beaucoup travaillé pour expliquer en France la boucle inflationniste prix-profits. Et bien sûr, l’éducation populaire est comprise comme la construction progressive d’une structure commune pour la recherche critique.
L’Institut Boétie nous a également permis d’aborder des discussions stratégiques majeures. C’est un espace pour discuter de la lutte contre l’extrême droite, des stratégies de lutte écologique, de l’orientation électorale du quatrième bloc, etc. L’institut a l’avantage de dissocier ces discussions de toute compétition pour des rôles au sein de France Insoumise. Ce faisant, il ancre les débats dans le domaine des sciences sociales. Notre livre écrit collectivement, The Resistible Rise of the Far Right, a été l’occasion d’une centaine de dialogues à travers le pays entre les chercheurs qui ont travaillé sur le livre et les dirigeants et militants de France Insoumise. Et oui, bien sûr, cela inclut les grandes conférences enregistrées avec Jean-Luc Mélenchon.
Mais notre idée n’était pas seulement que la relation entre les intellectuels et le mouvement devait être bidirectionnelle et ne pas se limiter à une simple prise en charge par le mouvement. L’interface fournie par l’institut permet également de transformer les intellectuels, en les mettant en contact permanent avec le monde des luttes, de l’activisme, etc. Nous espérons vraiment que cet espace permettra des rencontres qui influenceront ceux qui y participent. Enfin, l’Institut Boétie est également un programme de formation de cadres. C’est là que le contact est le plus important entre les professeurs d’université et les militants de France Insoumise.
Ce programme de formation correspond à plusieurs objectifs du mouvement France Insoumise depuis 2022. Tout d’abord, il s’agit d’un outil permettant de consolider en partie le mouvement que nous avons décrit précédemment. Dans la phase actuelle, nous avons besoin de plus de cadres que lorsque nous étions une sorte de commando politique. Il est avant tout essentiel de recruter ces cadres sur le plan social, à la fois comme intermédiaires et comme figures locales du mouvement. La mobilisation des classes populaires sur laquelle nous comptons ne peut se faire si nous n’offrons pas une véritable représentation aux classes populaires dans leur diversité.
Teiko – L’accélération du processus de fascisation des appareils d’État et la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays sont des enjeux cruciaux aujourd’hui. Face à cela, quel est l’horizon stratégique de La France insoumise ? Comment comprenez-vous, par exemple, les notions d’antifascisme, de municipalisme et de double pouvoir ?
Clémence Guetté – Nous pensons qu’il est crucial de s’emparer de l’État. Si nous soutenons les mouvements de désobéissance civile, de résistance écologique et de lutte contre les grands projets inutiles – tous essentiels pour remettre en cause l’hégémonie de l’ordre dominant et proposer des alternatives crédibles –, leur action ne suffit pas à elle seule. L’action directe et la désobéissance ont la capacité de bloquer le développement et de faire pression sur l’État, mais les zones autonomes sont insuffisantes pour protéger réellement tous les biens communs. Si nous voulons mettre fin au capitalisme : qui peut transformer l’appareil productif ? Des initiatives isolées ou un État qui planifie ? Nous sommes confrontés à un problème de temps : la réalité de la crise écologique exige non seulement des changements profonds, mais aussi rapides.
Il est crucial de s’emparer de l’État, et cela doit se faire par les urnes, par les élections. Pourquoi ? Parce que l’action armée révolutionnaire ne correspond pas à la société française du XXIe siècle. Nous sommes matérialistes : depuis des décennies, les insurrections armées et la guérilla n’ont conduit qu’à la mort de nos camarades. L’objectif de la victoire aux élections nécessite la construction d’un peuple révolutionnaire. C’est mathématiquement nécessaire : nous avons besoin de 50 % des voix plus une pour gagner. Il est avant tout nécessaire de mobiliser les abstentionnistes autour d’un programme qui rassemble le peuple.
Un peuple révolutionnaire est nécessaire pour exercer le pouvoir. Les forces de l’argent, du capitalisme et des multinationales puissantes et organisées se sont déjà ralliées contre nous. La bifurcation écologique que nous voulons mettre en place nécessite de briser les forces de l’argent par la planification étatique, une réglementation radicale et donc un pouvoir fort. Cela implique la nécessité d’un véritable affrontement avec le capitalisme, et cela ne peut se faire qu’avec le soutien du peuple.
Un gouvernement de France Insoumise nécessite nécessairement une démocratie au sens large. Telles ont été les erreurs commises pendant [le mandat présidentiel de Mitterrand, du Parti socialiste, de 1981 à 1995], en particulier en 1981 : les nationalisations ont été effectuées sans remettre en cause la gestion des entreprises. Cela diffère de la collectivisation que nous défendons. Les socialistes n’ont pas appelé à la mobilisation populaire et ont donc été battus. La planification écologique que nous mettrons en place doit être démocratique et s’appuyer sur la citoyenneté, en s’inspirant des aspirations populaires pour une réorientation totale de notre système.
Plus que l’idée de double pouvoir, l’objectif de France Insoumise est de s’emparer de l’État et de le transformer en organisant des interventions populaires continues et son appropriation par le plus grand nombre possible : notamment en mettant en place une Assemblée constituante. Mais cela ne doit pas exclure une dialectique avec les zones autonomes et les expériences, ainsi qu’avec les mobilisations populaires en dehors de l’État. Notre stratégie révolutionnaire est un processus qui inclut et entremêle la démocratisation de l’État et la catalyse de la société par des mouvements sociaux forts en dehors de l’État, y compris des expériences de nouvelles formes de vie.
Dans la perspective des prochaines élections municipales, nous avons avancé l’idée d’un municipalisme de La France Insoumise. Pour nous, la commune [autorité locale] est avant tout un instrument essentiel de notre programme politique : la révolution citoyenne. Bien sûr, cela ne peut se réaliser dans une seule ville. Cela ne peut pas non plus se faire en remportant plusieurs élections municipales à la fois. Le rôle institutionnel, les ressources financières et le niveau de production des territoires communaux ne le permettent pas. Cependant, au niveau local, nous pouvons créer une culture d’intervention populaire permanente, en mettant en place les pratiques, les habitudes et les nouvelles relations avec les élus nécessaires pour construire la révolution citoyenne au niveau national.
En ce sens, les autorités locales sont un espace permettant d’approfondir la souveraineté populaire.
L’une des tâches centrales de la révolution citoyenne sera également de rompre avec le mode de production, de consommation et d’échange afin de mettre les êtres humains en harmonie les uns avec les autres et avec la nature. La planification écologique est le moyen concret d’y parvenir. Et c’est au niveau local que se trouvent ses institutions et ses structures de base. C’est à ce niveau que peuvent être gérés les besoins réels et les investissements lents.
En amont et en aval, c’est à la démocratie locale qu’il appartient de réaliser ce que le marché ne pourra jamais faire. Il appartiendra aux municipalités qui se consacrent à cet idéal de commencer à mettre en place des autorités publiques et des entreprises publiques locales, de réaliser des évaluations biosphériques et de développer le savoir-faire dont la planification écologique aura besoin le moment venu à tous les niveaux de la prise de décision publique.
C’est dans ce cadre que nous affrontons la montée de l’extrême droite dans la sphère politico-médiatique. Nous ne sommes pas confrontés à un parti, mais à un mouvement idéologique qui dérive et fusionne les acteurs qui partagent la volonté de protéger les intérêts bourgeois. Cela exige une réponse ouvertement antifasciste. Le succès inattendu de la marche contre le racisme et l’extrême droite [au début de cette année] doit beaucoup au travail de notre mouvement et montre l’appétit populaire en France pour se débarrasser des fascistes. Ce fut également un facteur majeur de la victoire électorale du Nouveau Front Populaire en juillet 2024.
Nous prévoyons une confrontation avec le fascisme : « Au final, ce sera nous contre eux », comme le dit Jean-Luc Mélenchon depuis plus de dix ans. Cette bataille exige le renforcement des outils que nous avons patiemment construits : les médias de La France Insoumise, la communication interne et publique sur les réseaux sociaux, notre service de sécurité et la discipline organisationnelle. Cette bataille exige également que nous ne cédions jamais un pouce de terrain sur le plan idéologique ou programmatique. Notre confrontation acharnée avec la bourgeoisie nous prépare à ce combat. Il est de plus en plus violent, mais nous ne reculerons pas.
traduction en anglais pour Jacobin par John Smith,
traduction en français POUR Press.
