Épisode 17
Le 11 août 2010, Julian Assange se rend à Stockholm pour participer à un séminaire du parti social-démocrate. Il a préparé une intervention qui s’intitule : « La première victime de la guerre, c’est la vérité ». Il veut en profiter pour demander un titre de séjour à la Suède, trouver du travail et étudier la possibilité que la Suède devienne une alternative au paradis de l’information islandais qui n’avance pas assez vite à son goût. Il compte aussi se rendre au Data Bunker de Pionen White Mountain, un ancien abri anti-bombes de la Seconde Guerre mondiale, transformé en immense bunker d’hébergement Internet par la société Banhof, qui abrite plusieurs serveurs de WikiLeaks.
Julian prend mille précautions :
« A », activiste féministe, membre de la branche chrétienne du parti social-démocrate, est la personne qui a invité Julian en Suède. Il était prévu qu’elle libère son studio à Sodermal pour le prêter à Julian. Mais un soir, elle rentre à l’improviste, inquiète de la quantité de travail qu’elle doit encore faire pour le séminaire. Selon une source policière : « Ils ont discuté et ont décidé qu’il serait bon de partager l’espace de vie, puis ils sont sortis ensemble pour le dîner. À leur retour, ils ont eu des relations sexuelles, mais ils ont eu un problème avec le préservatif qui s’est déchiré ».
Julian rencontre aussi à Stockholm une deuxième femme, « B ». « B » a expliqué comment, lors des fuites afghanes (Épisode 16 de WANTED), elle a vu un interview télévisé d’Assange qui l’a aussitôt fascinée. Pendant les 2 semaines suivantes, elle a lu sur internet tout ce qu’elle a pu trouver sur lui et ses activités. Quand elle a su qu’il devait se rendre en Suède, elle a envoyé un courriel aux organisateurs du séminaire pour proposer son aide – qui fût refusée.
Ce qui s’est déroulé évoque la rencontre d’une groupie et d’une rockstar. Selon la déposition de « B », elle s’est habillée pour attirer le regard d’Assange, dans un pull en cachemire rose vif, et a pris place au premier rang. Se présentant comme volontaire de l’organisation, elle part à la recherche d’un câble d’ordinateur pour le dépanner. Après l’intervention de Julian, elle se fait inviter au déjeuner, dans un modeste restaurant local appelé Bistro Bohême. Elle propose ensuite à Julian de l’emmener visiter le Musée d’histoire naturelle où elle travaille. Là, ils assistent à Deep Sea, un court métrage sur l’océan. À un moment donné, ils se déplacent vers la dernière rangée où ils échangent des baisers et des caresses intenses.
A la demande de « B », ils se sont revus le 16. En se rendant chez elle ensemble, Julian passe le trajet de 45 minutes sur son portable, à la recherche d’informations relatives aux déclarations des États-Unis à son propos. « Il a fait plus attention à l’ordinateur qu’à moi », déclarera-t-elle avec amertume. Il fait nuit lorsqu’ils arrivent dans sa banlieue et l’atmosphère entre eux s’est refroidie. « La passion et l’attraction semblaient avoir disparu », dira-t-elle. Ils ont pourtant des relations sexuelles à plusieurs reprises cette nuit-là, puis à nouveau le matin après avoir pris un petit déjeuner, cette fois sans préservatif et alors qu’elle est « à moitié endormie ». Ils plaisantent ensuite en imaginant le prénom de leur futur fils si elle tombait enceinte. « Afghanistan » répondra Julian avec humour. Ils se séparent en bons termes et elle achète le billet de train de retour de Julian.
Ces évènements ne semblent pas perturber outre mesure les deux femmes. Ces jours-là elles continuent à fréquenter Assange et s’en félicitent même dans des sms échangés avec d’autres personnes. Mais lorsqu’en le quittant, « B » lui avait demandé s’il allait l’appeler, Julian lui avait répondu : « Oui, je le ferai… », ce qu’il ne fera pas (selon Julian, le contact téléphonique qui suivra sera interrompu parce qu’il est à court de crédit).
« B » appelle alors le bureau de « A », qu’elle avait croisée lors du séminaire. Les jeunes femmes réalisent qu’elles ont toutes les deux succombé au charme de Julian. La question des rapports sexuels non protégés leur fait craindre une contamination et, le 20 août, « B » demande à Julian de passer un test. Julian affirme qu’il s’est engagé à réaliser le test le jour suivant, un samedi, mais le week-end les centres de dépistage étaient fermés. Le lendemain, au réveil, il a appris, sidéré, qu’il faisait l’objet d’une enquête préliminaire pour soupçon de crime sexuel.
Dès qu’il apprend la nouvelle, Assange se présente aux autorités suédoises et réalise le test sans protester. Sa notoriété conduit à la prise en charge de l’affaire par la Procureure en chef de Stockholm, Eva Finne, qui à la lecture des trois déclarations, lève le mandat de recherche contre Julian dans les 24 heures et conclut le 25 août à la clôture de l’information.
Mais en septembre 2010, l’affaire suédoise est en marche. Et pendant des années, elle traînera Julian Assange dans la boue, détruisant son image publique. Elle sera à l’origine de l’émission d’un mandat d’arrêt européen délivré par Marianne Ny à son encontre, de son refuge dans l’ambassade équatorienne à Londres, puis de son arrestation et de son incarcération à Belmarsh.
Saisi par Wikileaks et Assange, Nils Melzer, le rapporteur spécial de l’ONU pour la torture et les mauvais traitements a consacré une longue enquête à la situation judiciaire de Julian Assange. Sur le chapitre précis de l’épisode suédois, il a mis en lumière de nombreuses anomalies et irrégularités de la procédure. Il a notamment déclaré :
Il est essentiel de préciser que, contrairement à ce qu’ont écrit plusieurs grands médias, cette procédure n’a pas dépassé le stade de l’information et que jamais Julian Assange n’a été accusé d’aucune infraction… Il n’a donc pas été « inculpé » ! En novembre 2019, la Suède a d’ailleurs officiellement classé l’affaire sans suite.
Voilà. C’était le 17ème épisode de WANTED, la série qui vous emmène au cœur du réacteur de notre monde et vous en dévoile les faces cachées…
Demain, les publications de WikiLeaks reprendront de plus belle. Merci Chelsea Manning !
Belgium4Assange
Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc Molitor, Pascale Vielle et Bogdan Zamfir
SourcesThe unauthorized autobiography, Julian Assange, Canongate Books Ltd, 2011.The most dangerous man in the world, Andrew Fowler, Skyhorse Publishing, 2011.
Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.
A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes. |
The most dangerous man in the world, Andrew Fowler, Skyhorse Publishing, 2011.
The unauthorized autobiography, Julian Assange, Canongate Books Ltd, 2011.
Article du Daily mail qui revient sur les détails de l’affaire : https://www.dailymail.co.uk/news/article-1307137/Supporters-dismissed-rape-accusations-WikiLeaks-founder-Julian-Assange–women-involved-tell-different-story.html.
https://www.letemps.ch/monde/nils-melzer-accusatrices-dassange-ont-instrumentalisees-letat-suedois.
https://www.pamelaandersonfoundation.org/news/2019/5/20/the-making-of-a-rapist-by-pamela-anderson.
https://www.greanvillepost.com/2019/04/13/how-julian-assange-was-entrapped/.
http://droit-public.ulb.ac.be/lart-de-la-fuite-les-coulisses-de-laffaire-assange/.
Déclaration lors de l’audition au parlement européen du jeudi 14 novembre 2019 :
https://www.guengl.eu/events/journalism-is-not-a-crime-the-assange-extradition-case/
Conférence de presse de Nils M au siège des Nations Unies au New York le 31.05.2019 :
https://news.un.org/en/story/2019/05/1039581.
A propos du DATA BUNKER : http://www.home-designing.com/2010/12/wikileaks-servers-sweden.
https://assangefreedom.network/groups/.