L’explosion de près de 2.750 tonnes d’ammonium de nitrate qui, le 4 août, a fait 203 morts enregistrés et ravagé le port de Beyrouth et les quartiers avoisinants a quelque peu estompé, aidée par la pandémie du Coronavirus, une autre explosion, sociale celle-ci, qui, depuis octobre 2019 a vu des dizaines de milliers de manifestants tenir les rues de Beyrouth et d’autres villes. Ce 11 septembre, un nouvel incendie, toujours dans le port, d’un entrepôt loué par la Croix Rouge internationale
, aurait entraîné celui d’un dépôt de pneus du Hezbollah. À l’origine de l’une comme de l’autre de ces tragédies, une majorité de Libanais semble consensuellement désigner comme coupable les élites politiques et économiques kleptocrates qui dirigent le pays. Et dont la corruption, la gabegie et l’incompétence sont plus que jamais montrées du doigt.
Quelle est l’origine de ces « élites » et quelles sont les circonstances historiques qui les ont vus naître ? Retour sur les origines, trop souvent ignorées ou mal perçues, de ce « système » libanais.
Paul Delmotte
[1] Titre : Nous nous basons ici sur trois ouvrages : deux de G. Corm, Géopolitique du conflit libanais, La Découverte, 1986 & Le Liban contemporain. Histoire et société, La Découverte/Poche, 2005. Le troisième de Nadine Picaudou, La déchirure libanaise, Complexe, 1989.
[2] Le 31 août, le Liban semblait avoir un nouveau gouvernement, « technocratique », et d’un nouveau 1er ministre : Mustapha Abid remplaçait Hassan Diab avant d’être… récusé le 26 septembre
[3] A titre de comparaison, pour la Belgique : 11.476.279 hab. – 30.688km2 – PIB : 508,598 milliards $ (2016) – PIB/hab. : 41.491 $ – IDH : 0,916 (17ème – 2016).
[4] Des milliers de colis alimentaires et un demi-million de litres d’huile seraient à cette occasion partis en fumée… Une autre explosion, celle d’un dépôt de la Croix-Rouge situé dans le quartier densément peuplé de Tarq-al-Jdidé (Beyrouth), a eu lieu le 9 octobre, tuant 4 personnes. Elle pourrait être liée à la mafia des générateurs électriques privés.
[5] In Le Monde, 21 mai 1985.
[6] « Les islamologues ont-ils inventé l’islamisme ? », in Esprit, n°277, août-septembre 2001.
[7] Les emmurés. La société israélienne dans l’impasse, La Découverte, 2005, p.106.
[8] Issu du mot arabe milla ou mellah. En turc moderne, le terme a fini par désigner la « Nation ».
[9] Ghassan Salamé, Conflits et passions au Liban, in Maghreb-Machrek, n°110 ; octobre-décembre 1985.
[10] La déchirure libanaise, Complexe, 1989.
[11] Les chiites arrivèrent au Liban suite à leur expulsion de Mésopotamie par la dynastie omeyyade (661-750).
[12] Dans La Nation arabe (Ed. de Minuit, 1973) et Le développement inégal (Ed. de Minuit, 1982).
[13] Citons les exemples du Liban – où « la Montagne » est peuplée de minorités religieuses dissidentes : maronites pour les chrétiens, druzes et chiites chez les musulmans – et du Yémen chiite zaydite.
[14] C’est aussi le cas des marais du Sud de l’Irak.
[15] Les maronites chrétiens, mais aussi les Druzes et les chiites duodécimains au Liban, les zaydites au Yémen, les ibadites d’Oman et d’Algérie… Pierre Guichard montre un phénomène similaire, avec des « maquis » chrétiens dans l’Espagne musulmane (Al Andalus (711-1492).Une histoire de l’Espagne musulmane (Hachette, coll. Pluriels, 2000) et le politologue anarchiste américain James C. Scott fait de même à propos de l’Asie du sud-est (Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Le Seuil, 2013).
[16] Les Druzes sont une communauté issue du chiisme ismaélien au XIe siècle, qui s’est réfugiée dans La Montagne libanaise et en Syrie (dont au Golan occupé), dont la doctrine est fort ésotérique et qui pratiquent un syncrétisme poussé. Les maronites forment une Église reliée à Rome (de même que les grecs-catholiques depuis…) qui, de la vallée de l’Oronte (fleuve syrien qui baigne la ville de Hama), s’est réfugiée dans La Montagne du fait des persécutions byzantines au VIIe siècle.
[17] Prince druze, de la grande famille des Ma’an, Fakhr-ed-Din II se réfugia, suite avec ses démêlés avec La Porte, à la cour des Médicis en 1613. Considéré comme un «modernisateur », il installa la première imprimerie du monde arabe (dans un couvent chrétien !) et ouvrit son émirat aux artistes européens.
[18] Les Ma’an s’installèrent vers 1120 sur les hauts plateaux du Chouf pour lutter contre les Croisés. La grande famille druze des Joumblatt, d’origine kurde et originaire d’Alep, ne s’installa dans le Chouf qu’au XVIIe siècle, sous la protection de Fakhr-ed-Din (Picaudou, p. 24).
[19] « Docteurs de la loi » religieuse, ils détenaient le pouvoir juridique et jurisprudentiel, ce qui leur conférait une capacité d’exercer un contre-pouvoir face à des autorités qui se réclament d’une légitimité religieuse.
[20] L’aïeul de Walid Joumblatt, l’actuel leader de la communauté druze.
[21] La France est déjà intervenue, à ce titre, dans la Guerre de Crimée (1953-1956).
[22] Terme par lequel l’on désignait le pouvoir impérial ottoman.
[23] Territoires auxquels il faut ajouter la vallée de la Bekaa et le Jebel Amir (Sud-Liban) : ces possessions représentent environ les deux tiers du Liban moderne.
[24] En envoyant contre eux, sous pression égyptienne, 4.000 combattants maronites, Bachir Chehab « dressa pour la première fois les communautés les unes contre les autres » (Picaudou, p. 26).
[25] Les puissances lui reconnaissent toutefois le droit de conserver le pashalik d’Acre, en Palestine, mais demandent le remplacement de Bachir Chehab.
[26] Picaudou, p. 31.
[27] Par exemple, l’inégalité dans l’accès à l’enseignement prodigué par les écoles missionnaires, l’octroi de la nationalité à des personnalités communautaires…
[28] Sources : Yves Ternon, Empire ottoman. Le déclin, la chute, l’effacement (Le Félin/Michel de Maule, 2005) ; Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman (Fayard, 1989) ; Eric J. Hobsbawm, L’Ère des empires.1875-1914, Fayard, 1989.
[29] Ce qui explique l’entêtement britannique à poursuivre la guerre malgré la volonté d’Alexandre II (successeur de Nicolas I, de négocier, et malgré le désir des Français de mettre fin au conflit (Mantran, 1989, p. 507).
[30] Le Piémont-Sardaigne, soucieux de s’attirer leurs bonnes grâces envers son projet d’unification de l’Italie, les rejoindra. L’Autriche-Hongrie proclamera, sur demande de la Prusse, sa neutralité, bloquant la route terrestre occidentale aux alliés
[31] Picaudou (p. 29) observe que, malgré le tour de plus en plus islamo-chrétien que prennent les affrontements, des chiites de la Beqaa protégeront les chrétiens de Zahle à Harfouche
[32] Klemens Wenzel, prince de Metternich (1773-1859)
[33] Deir-el-Qamar restera sous contrôle direct de La Porte
[34] L’Orient-Le-Jour, 15.6.20.
[35] Comptant 2 maronites, 2 grecs-orthodoxes, 2 grecs-catholiques, 3 sunnites, 2 druzes et 1 chiite.
[36] Aujourd’hui le Liban comte officiellement 18 communautés.
[37] Hamit Bozarslan, Histoire de la Turquie contemporaine, 2004 2004, p. 6.
[38] Picaudou, Les Palestiniens. Un siècle d’Histoire. Le drame inachevé (Complexe, 1997, p.17