Une Heureuse Colère

Une Heureuse Colère - Godelive UgeuxRoman ? Plaidoyer politique militant ? Autobiographie pudique ? Il y a un peu de tout cela dans le récent livre de Godelieve Ugeux, Une heureuse colère. Quand un groupe de retraitées, regroupées autour d’agréables randonnées campagnardes, se met en tête de se muer en apprenties ZADistes (mobilisées pour une Zone À Défendre), cela donne une fiction qui permet d’aborder mille facettes de notre monde malade. Au travers de portraits émouvants de femmes ordinaires, c’est-à-dire uniques, Godelieve Ugeux décrit notre société et les combats quotidiens de chacun.e pour surmonter son impuissance face à l’inertie d’un réel qui ignore les rêves et désirs que l’on porte en soi, depuis l’enfance jusqu’aux derniers jours de la vie.

Ces femmes, parfois désespérées d’entrevoir le malheur que prépare l’inconscience de ceux qui se prétendent responsables, parviendront-elles à protéger ceux qu’elles aiment ? On vous laisse lire Une heureuse colère afin de ne rien« divulgâcher ». Mais, au travers des quêtes existentielles joliment dépeintes, on se prend à espérer que ces filles, ces sœurs, ces épouses, ces mères, ces « sorcières comme les autres »secouent une fois pour toutes les pesanteurs patriarcales. Pas de certitude mais un message qu’on devine entre les lignes ; contre la solitude et le sentiment d’impuissance, un remède depuis longtemps attesté : « Lucho luego existo- Je lutte donc je suis ».

Une critique d’Alain Adriaens


Nous avons rencontré l’autrice, Godelieve Ugeux, et lui avons posé quelques questions.

POUR : Comment concilier ces deux approches, presque opposées, celle positive qui veut que nous pouvons réussir à changer les choses, ensemble et celle, plus pessimiste, qui tend à montrer que, de toute façon, il est trop tard.

Godelieve Ugeux : Tout dépend de la posture intérieure dans laquelle on se trouve ! La confiance, a priori, c’est libérant. Je m’appuie sur des ressources venant d’ailleurs. Ainsi l’anthropologue américaine Margaret Mead avance : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes peuvent changer le monde. En fait, c’est toujours ainsi que le monde a changé. » Reconnaissons que cela joue dans un sens comme dans l’autre. Je ne parle pas du petit pourcent de riches qui impose ses pratiques scélérates à la planète ! Je parle des « bienfaisants » de l’humanité ! Je ne rumine pas trop sur l’aveuglement mondialisé par rapport aux problèmes réels du climat déglingué et de la biodiversité en déclin mais d’avoir une position la plus transformatrice possible ou la plus merveilleuse à mes yeux. Donc, j’ai besoin d’y croire. Pas d’une foi naïve, hein ! Mais observer les semences et se dire que ça poussera. Malgré les obstacles et les épreuves, on y arrivera ! C’est un peu faire l’autruche, parce que toutes les données factuelles sont là pour nous dire qu’on court à la catastrophe vu l’accumulation de problèmes qui s’entrechoquent et se renforcent mutuellement.

Quand on dit qu’il faut changer de paradigme, de modèle économique pour le dire plus simplement, c’est vraiment ça qu’il faut faire, de toute urgence. Je ne peux pas vivre en pensant que c’est foutu. Mère et grand-mère, je ne peux envisager que mes enfants et tous les enfants du monde aient à vivre le collapse ou le chaos.

Et donc, que répondrais-tu à Robin (personnage du roman), lorsque celui-ci dit qu’avoir des enfants dans ce monde de brutes, avec un tel avenir de désolation, « Très peu pour lui. » ?

On a besoin des enfants pour vivre. Ça, c’est sûr ! On a besoin des enfants autour de nous, on a besoin de leurs rires et surtout de leurs regards sans a priori. Et ici, je peux rejoindre un de mes sujets favoris : c’est que les femmes font un fameux cadeau à l’humanité de faire des bébés. Et cela appelle la considération ! Mais on en est loin entre dominations et violences à leur égard, chez nous et partout dans le monde.

Quand on envoie des soldats à la guerre, sous n’importe quel prétexte, quand on les envoie se faire tuer…, ils ne se doutent de rien, ces politiciens inconscients, du miracle de la vie. Ce qu’est un accouchement, la mise en danger, la douleur et la tendre responsabilité quotidienne au cœur du désir de faire vivre un enfant ! Ne plus vouloir d’enfants, c’est la conséquence d’une humanité qui a agi stupidement et va à la dérive. En même temps, les gens ont ce droit-là car ils sont conscients que le tout à la robotique et la violence risquent de bousiller l’humanité davantage encore.

« Nous nous sentons les mères du monde » (phrase extraite du livre). Quelle est selon toi la place de la femme dans une société en transition ?

Disons que les activités de transition, cette attitude de faire beaucoup avec pas grand-chose, de recycler, d’être économe, de faire de son mieux pour que chacun ait sa part, c’est dans l’esprit des femmes et depuis longtemps, en milieu rural particulièrement. Aujourd’hui, elles recyclent ces savoirs et les améliorent avec l’aide de la technologie quand, vertueuse, elle permet de faire mieux ce qu’on faisait déjà avant. Mais tous les efforts domestiques (trier, conserver, recycler, préserver…) peuvent peser sur les femmes. En transition, elles avancent plus vite que les hommes, je pense. Certains ne s’en rendent même pas compte en buvant tranquillement leur bière. (Rires) Mais ça, c’est un peu cliché !

Quant au « Nous nous sentons les mères du monde », c’est vraiment important. Dès que j’ai eu des enfants, je me demandais pourquoi les miens ont à manger alors que d’autres n’ont rien. Ça n’avait pas de sens. Donc à table, j’aurais voulu avoir à manger pour toute l’humanité.

Dans le roman, un échevin propose aux protagonistes des voies contraires au chemin qu’ils tentent de tracer. Est-ce que c’est quelque part le reflet des politiques, aujourd’hui, qui sont complètement dépassés par les enjeux actuels et prennent parfois des mauvaises décisions ?

Je viens surtout du secteur associatif de la formation pour adultes en recherche d’emploi. C’est un secteur riche de sens, utile, passionnant. Mais les politiques se permettent de juger en octroyant ou non des subsides, sans concertation, à partir de ce qu’ils estiment que nous devons obtenir comme résultats avec peu de moyen et peu de personnel. Et ces politiciens, qui vivent confortablement et hors-sol, avec une équipe de fonctionnaires, se permettent de croire qu’ils connaissent les problèmes mieux que nous sur le terrain et exigent des dossiers en veux-tu, en voilà alors qu’eux ne doivent rendre aucun compte. Ce n’est pas sérieux. Donc les politiciens me déçoivent dans ce cas-là. Mais il y en a toujours quelques-uns qui sont attentifs à notre travail et chez qui on sent un vrai souci de nous accompagner au bénéfice de la communauté ou d’une action particulière.

Une heureuse colère prône clairement une sortie du capitalisme, mais comment et pour quelle société ?

On a besoin d’argent pour lancer des initiatives. Quand j’ai créé des A.S.B.L., il m’a fallu un peu de capital ! Le problème, c’est que ceux qui amassent l’argent sont de plus en plus gourmands. C’est comme le sucre qui appelle le sucre. Ça devient un régime fou. L’ultra libéralisme, c’est s’occuper de soi en se fichant pas mal des autres. C’est LE problème. Moi je veux bien que les gens soient riches. Je veux d’ailleurs bien être riche aussi. Si on me propose un billet de Lotto gagnant d’un million, je dis oui tout de suite ! Mais ce million, à quoi il me sert s’il ne m’apporte pas le plaisir de le partager ? Donc cette société ultralibérale, qui se permet d’exploiter, d’écraser, de se foutre des autres et d’abîmer la planète sans se poser la question de son avenir. Ce capitalisme fou et égoïste, franchement, c’est insupportable. Et je pense que les riches sont toujours riches d’avoir volé quelqu’un. C’est un peu fort de dire ça, mais si certains sont sur un matelas de bien-être pendant que d’autres crèvent la bouche ouverte, c’est qu’on a enlevé à ceux-ci ce à quoi ils avaient droit comme minimum sur Terre. Or la Terre est à tout le monde et tout le monde devrait pouvoir y vivre bien. L’argent du capitalisme doit donc retrouver une régulation internationale par des instances sérieuses.

Il est clairement question de l’écoféminisme. C’est une voie qui te parle plus qu’une autre ?

Un fait est que les femmes ont besoin de se rassembler lorsqu’il s’agit de se battre pour la reconnaissance de leurs droits et d’un minimum d’égalité de traitement. Simultanément, l’avenir est quand même d’aller vers une planète propre dont personne n’abuse aux dépens des autres.

L’écoféminisme a trouvé là un joint. Quand les femmes se battent, ce n’est pas uniquement pour l’égalité entre hommes-femmes, mais c’est aussi l’égalité entre les hommes et l’égalité entre les femmes. On le dit : une société qui ne reconnait pas les droits des femmes est une société qui peut évoluer économiquement mais régresser en humanité, et ce compris dans les relations des hommes entre eux ! Dans l’écoféminisme, c’est comme si on rassemblait tous les types de féminisme dans leurs différentes déclinaisons possibles en visant fermement l’égalité dans un monde enfin partagé. N’est-ce pas l’objectif de la transition ?

Quelle question ne t’avons-nous pas posée et que tu aurais aimé que l’on te pose ? Et quelle est la réponse ?

Si je suis heureuse ?

Eh bien oui. (Rires)

Cette sortie de livre, j’en suis éblouie parce que j’ai compris que j’avais beaucoup d’ami∙e∙s dans mes engagements. Ce ne sont pas tous des ami∙e∙s intimes mais des gens ouverts qui ont mordu à mon histoire et son côté militant. J’adore recevoir des commentaires sur les personnages… Mais je suis également heureuse d’être comprise dans mon projet de favoriser la communication entre tous ces gisements de bonne volonté lancés par les citoyens. Et mon petit groupe de femmes dans le roman, elles vivent avec moi désormais ! Elles sont créées, elles existent. J’ai envie de raconter la suite, j’ai déjà quelques idées…

On dit que l’humour est la politesse du désespoir. Pour moi c’est la joie intérieure qui surplombe le désespoir de tant d’ignominies humaines qu’on entend chaque jour : les exemples ne manquent pas ! Inutile d’y revenir.

Et c’est presque un devoir, mais un devoir devenu très naturel, d’être contente de ce que je reçois. C’est la porte ouverte à d’autres contentements. C’est ce que je souhaite à tous mes lecteurs et lectrices. Se vouloir content∙e de vivre sur une terre époustouflante de beauté et trouver du bonheur à lutter pour que chaque personne puisse la contempler en paix.


Vous pourrez trouver le roman Une heureuse colère dans la boutique de www.pour.press

Godelieve Ugeux a mené sa carrière professionnelles dans le secteur de la formation pour adultes en démarche vers l’emploi à Liège et à Namur. L’écriture et le journalisme sont ses hobbies préféré. (POUR a la grande chance de la compter parmi ses rédacteur.rice.s)
Elle est aujourd’hui retraitée. Investie dans les conseils d’administration d’Interface3.namur, de l’ACRF-Femmes en milieu rural et à Couples et famille, elle participe également à un groupe d’Amnesty international et dans divers projets à Ohey. Grand-mère de neuf petits-enfants, elle se veut active sur le terrain de la transition en même temps que mettre sa plume au service des initiatives innovantes et généreuses dans un nouveau paradigme d’économie bénéficiant au Nord comme au Sud.