« UN PEARL HARBOR ÉLECTRONIQUE » (1989) – JULIAN ASSANGE

JULIAN ASSANGE, UNE VIE
Épisode 3

La petite communauté de jeunes hackers australiens dont Julian Assange fait partie va se retrouver à la pointe du hacking mondial. Son nom, The Realm, vient du nom d’un bar de Melbourne où certains de ses membres aimaient se retrouver. Leurs hacks sont de plus en plus performants et audacieux. Ils jouent de plus en plus au chat et à la souris avec les « admins » des sites qu’ils visitent qui essaient de les piéger, avec la police qui est désormais sollicitée pour empêcher les hacks. En 1989, ils feront « la Une » dans le monde entier. Ils ont été jusqu’à causer ce qui sera qualifié par la presse américaine de « Pearl Harbor électronique ».

Nous sommes le 16 octobre 1989, à la veille du lancement de la sonde spatiale Galileo par la navette Atlantis. Sa mission est de voyager jusqu’à Jupiter et ses lunes afin de les étudier. Au Goddard Space Flight Center Greenbelt Maryland, les équipes sont sur les starting blocs et le décompte est lancé. Des milliards de dollars ont été investis… À l’extérieur cependant, des manifestations ont lieu et la zone de décollage est sécurisée par plus de 200 policiers : le projet est très controversé en raison du fait que Galileo est une sonde à propulsion nucléaire. Un accident lors du décollage pourrait être dévastateur.

Ce matin-là, les équipes de la NASA pénètrent dans leur bureau et allument leurs ordinateurs. L’étrange bannière qui s’affiche sur leurs écrans les plonge dans un état de sidération totale : « Worms against nuclear killers – your system has been officially wanked…». Qu’est-ce que ce message pouvait signifier ? Les ordinateurs étaient infectés par des « vers antinucléaires » ?!! Leur système était « wanked » ?!! (to wank : branler)

Les employés réalisent que leurs ordinateurs sont infestés de « vers informatiques» qui se propagent et se diffusent dans tous les réseaux de la NASA
Les employés réalisent que leurs ordinateurs sont infestés de « vers informatiques» qui se propagent et se diffusent dans tous les réseaux de la NASA et ceux qui y sont connectés, ils tentent de remédier à la situation, sans succès… Bientôt, le département de l’Énergie aux États-Unis, le CERN en Suisse, le RIKEN au Japon sont touchés à leur tour… À leur passage, les vers informent les utilisateurs que leurs fichiers ont été supprimés… Les vers modifient les mots de passe des comptes et les rendent inaccessibles… Ils laissent des messages derrière eux comme : « Remember, even if you win the rat race – you still a rat »[1] ou « The FBI is watching you »[2] ou encore « Vote anarchist »[3]… Les vers seront suivis d’un bogue informatique encore plus sophistiqué appelé OILZ qui termine de semer la panique… Nous sommes à la veille du lancement de Galileo et la NASA n’est plus en contrôle de son système informatique…

Les équipes ont retrouvé leur système informatique indemne, ce qui a permis au décollage de la sonde d’avoir lieu
C’était là, la première occurrence de ce qui sera appelé par la suite hacktivism. Heureusement pour les équipes de la NASA, cette attaque s’est contentée de délivrer un message et de montrer sa puissance avant de disparaître. Au bout d’un temps, les vers se sont désintégrés, les dossiers deleted (effacés) ont réapparu… Les équipes ont retrouvé leur système informatique indemne, ce qui a permis au décollage de la sonde d’avoir lieu.

Huit mois après le hack, Phoenix (18 ans) et Electron (20 ans, photo ci-dessous), tous deux membres du Realm, ont été appréhendés à Melbourne. Leur arrestation a été facilitée par le fait que l’un d’entre eux, Phoenix, a appelé le New York Times pour se vanter de ses exploits. Le procès de Phoenix et Electron a été le premier grand procès australien pour crimes informatiques. Les deux garçons ont plaidé coupable pour ce crime ainsi que pour d’autres hacks. Ils ont été condamnés à des centaines d’heures de travaux d’intérêt général.

Dans quelle mesure Julian Assange (qui avait 18 ans à l’époque) ou d’autres membres du Realm ont-ils été impliqués dans cette attaque ? Personne ne le sait. À ce jour, on ignore encore qui a codé le programme des Worms. On remarque néanmoins que dans un documentaire de la télévision suédoise, WikiRebels, Julian y fait plusieurs allusions à sa responsabilité.

La communauté de hackers est désormais entrée dans le collimateur des États
La communauté de hackers est désormais entrée dans le collimateur des États. Un processus de criminalisation du hack se met en route. Des lois sur le hacking se créent pour combler le vide juridique. Les jeunes hackers tomberont les uns après les autres dans les mains de la police…

Julian a assisté au procès de Phoenix et Electron. Le dernier jour du procès, après que le juge ait remis sa sentence, Julian s’est approché de Phoenix pour le féliciter. Phoenix qui ne l’avait jamais vu en vrai lui a demandé si il le connaissait : « Do I know you ? ». Julian lui a répondu : «Sort of. I’m about to go through what you did, but worse. »…[4]

Voilà. C’était le troisième épisode de cette série qui raconte la vie de Julian Assange et qui, nous vous le promettons, vous emmènera au cœur du réacteur de notre monde pour vous en révéler les petits secrets bien gardés… Demain, nous découvrirons comment les hacks de Julian étaient encore plus audacieux que celui-ci…

Belgium4Assange

Texte écrit par Delphine Noels,
Avec la collaboration de Marc MolitorPascale Vielle et Bogdan Zamfir

Le 4 janvier 2021 sera une date historique : à Londres, la justice britannique rendra son verdict dans le procès d’extradition de Julian Assange. Quels sont les enjeux de ce procès ? En quoi nous concernent-t-ils directement ? Difficile d’avoir les idées claires à ce sujet tant la mésinformation et la désinformation ont été grandes.

A partir du 1er décembre et jusqu’au 4 janvier, Belgium4Assange diffusera quotidiennement un épisode de WANTED, série Facebook qui raconte la vie de Julian Assange en 34 épisodes.

 

[1] « N’oubliez pas : même si vous gagnez la course des rats, vous restez un rat. »
[2] « Le FBI vous surveille. »
[3] « Votez anarchiste »
[4] « Je vous connais ? (…) En quelque sorte. Je suis sur le point de subir ce que vous avez fait, mais en pire. »…

Sources

Cette Worm attack de la NASA est racontée dans le détail dans le livre Underground, Juliette Dreyfus & Julian Assange, Canongate Books Ltd, 2012.

The most dangerous man in the world, Andrew Fowler, Skyhorse Publishing, 2011.

Article de journal, Hack to the Futur, paru en mai 2003 : https://www.theage.com.au/national/hack-to-the-future-20030525-gdvriu.html.

Article du New York Time paru suite à l’autodénonciation de Phoenix : https://www.nytimes.com/1990/03/21/us/caller-says-he-broke-computers-barriers-to-taunt-the-experts.html.

Autre article concernant l’attaque de la NASA : https://www.muckrock.com/news/archives/2019/may/14/nasa-wank-worm/

Documentaire WikiRebels : https://www.youtube.com/watch?v=NGQSkcLyrbo.

The curious origins of political hacktivism, Julian Assange. Counterpunch.org: https://www.counterpunch.org/2006/11/25/the-curious-origins-of-political-hacktivism/.

 

Pour en savoir plus

L’Utopie déchue, Une contre histoire d’Internet, Felix Tréguer, Fayard, 2019.

Lien vers un documentaire sur The Realm : https://www.youtube.com/watch?v=fbmB8rOIilc.

Il existe aussi un film de fiction : In the Realm of the Hackers, Kevin Anderson, (Film Australia, 2002, 55 minutes).

Un livre sur la traque des jeunes hackers : Hackers: The Hunt for Australia’s Most Infamous Computer Cracker, Apro, Bill; Hammond, Graeme, Five Mile Press, 2005.

Ecouter aussi en podcast les épisodes 47 & 48 de Malicious Life, https://malicious.life/episode/episode-47/

À propos de Galileo: https://www.wikiwand.com/fr/Galileo_(sonde_spatiale).

 

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