Un héritage empoisonné – Film d’Isabelle Masson-Loodts

Ce jeudi 13 décembre à 20H, dans le cadre du Festival du cinéma d’ATTAC, sera diffusé le film d’Isabelle Masson-Loodts : Un héritage empoisonné, au cinéma Aventure, à Bruxelles.

Isabelle Masson-Loodts est archéologue, auteure et journaliste. Dans son documentaire aux images superbes, elle nous emmène sur les traces de la première guerre mondiale en France et en Belgique. A travers ses multiples rencontres, recherches et interviews, nous allons de découverte en découverte.

Nous apprenons que les vestiges de cette tuerie de 14-18 sont toujours présents sur les terres ayant servi de champ de bataille. Des millions d’obus ou de grenades, dont un tiers n’ont pas explosé, ont truffé la terre. Il a fallu des années pour que l’agriculture reprenne lentement ses droits. Aujourd’hui on découvre régulièrement des bombes, obus et grenades dans le sol. Il y a encore maintenant des victimes de la première guerre mondiale ! Certains territoires de la ligne de front restent pollués car à l’époque on vidait tout simplement le contenu des bombes chimiques sur le sol, dans le cadre de ce qu’on appelait le « désobusage ».

Aujourd’hui, c’est une société privée qui travaille à détecter ces engins de mort et le service de déminage du Ministère de la Défense belge se charge de les neutraliser.

En  1971, à l’occasion d’un dragage en Mer du Nord, on a trouvé par hasard au large de Knokke, sous un banc de sable nommé le Paardenmarkt, une « décharge » de 3 millions d’obus dont un tiers sont chargés de toxiques. Trop dangereux de les traiter ! On les laisse donc sous quelques mètres de sable, en les surveillant et en interdisant la zone à la pêche et aux gros bateaux.

En France, suite aux recherches concernant la première guerre mondiale, on a re-découvert qu’il y avait eu dans les années 1920 un énorme complexe industriel de récupération et de destruction de munitions. Ce complexe, géré par une entreprise privée a fonctionné dans le département de la Meuse, près du petit village de Muzeray. La population de la région, décimée et pauvre, n’a pu empêcher cette installation qui a détruit là 1,500,000 obus chimiques et 300,000 obus explosifs provenant d’un peu tous les champs de bataille, y compris de Belgique. L’existence de cette usine avait été quasiment oubliée par les habitants de la région.

A nouveaux de dangereux déchets

Aujourd’hui cette région de la Meuse est à nouveau confrontée à un problème de traitement de déchets encore plus dangereux. Il s’agit de l’enfouissement de déchets nucléaires hautement radioactifs à 500 mètres de profondeur sur le site de Bure. De nouveau, on choisit une zone très peu peuplée (82 habitants à Bure, 4 habitants au km² dans la zone). L’Agence Nationale de Gestion des Déchets Radioactifs, l’ANDRA avance dans son projet. Elle a fait construire un énorme laboratoire. Elle rachète les terres agricoles environnantes ainsi que les bois. Elle arrose depuis des années les mairies du coin avec des dizaines de milliers d’euros. Elle organise des concours artistiques, des classes vertes, etc. pour se concilier les populations. « La conquête du sous-sol passe aussi par la conquête des esprits ». Mais malgré les pressions, les habitants continuent à s’opposer à ce chantier pharaonique (des kilomètres de galeries). Beaucoup de personnes, de France ou d’ailleurs, les soutiennent. L’argument de la stabilité géologique du sous-sol est contesté par des spécialistes. La région possède par contre un potentiel de géothermie qui ne pourra pas être utilisé si le projet aboutit.

Après ses recherches sur les traces de la première guerre mondiale, Isabelle Masson-Loodts s’interroge sur les capacités de notre mémoire. Si l’on a pu oublier en moins de 100 ans, l’existence des armes laissées dans la nature après 14/18, comment peut-on se fier au fait que les déchets nucléaires resteront sans danger pour les générations futures ? Ceux-ci ont une durée de vie de plusieurs centaines de milliers d’années. C’est vertigineux ! Quant on sait qu’une civilisation dure tout au plus quelques milliers d’années, comment faire passer les informations aux générations et aux civilisations qui suivront ? Elles auront d’autres langues, d’autres repères graphiques et picturaux. Peut-être auront-elles des moyens technologiques plus évolués mais peut-être pas. Dans ce cas nous leur laisserions un héritage vraiment malfaisant !

Selon Michaël Anderson, chercheur en psychologie de l’université d’Oregon qui a étudié les mécanismes de l’oubli motivé : nous avons une propension à oublier sélectivement les faits qui remettent en cause nos convictions profondes. D’après Jean-Claude Ameisen, « nous aurions tendance à oublier les événements qui s’accompagnent d’émotions négatives, dont ceux de nos actes de malhonnêteté »

Alors, comment être certain que l’avertissement concernant les déchets traversera le temps ?
Il n’existe pas de moyen sûr de transmettre l’information. « L’oubli et le mensonge vont souvent main dans la main » comme le dit Henning Mankel.
En se focalisant sur le problème de la mémoire, le film d’Isabelle Masson-Loodts est surtout un appel à l’humilité et à l’honnêteté.

Anne De Muelenaere