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En Covidie, ces indices boursiers et leurs statistiques se sont brutalement tus. Garants du nirvana pour les terriens, ils sont désormais myopes et muets alors que les Covidiens et les Covidiennes ont pourtant besoin de leur main invisible pour se débarrasser du Covid-19 qui empêche de travailler, de consommer, de voyager, de faire du tourisme, de spéculer, de faire de l’évasion fiscale et d’accumuler en bourse. Où sont donc les réactions de représailles des marchés alors que le covid-19 fait exactement ce que les marchés et leurs indices n’aiment pas ? Comme le disent les Ivoiriens, Cac 40, Dow Jones, Bel 20 &Co… ont-ils enfin trouvé « garçon », c’est-à-dire un adversaire sérieux ? Les marchés ne sont-ils des dieux que sur les Hommes et non sur les virus ? N’est-ce pas parce que les virus les ignorent et que les Hommes en font des vaux d’or ?
Bref, les Covidiens et les Covidiennes sont abandonnés à eux-mêmes, aux covicides, c’est-à-dire aux morts massifs et dégâts du covid-19. Sont-ce des restes muets de la politique en suivant Michel Foucault ?
Alors que Cac 40, Dow Jones, Bel 20 &Co… ont détruit l’hôpital public, clochardisé les travailleurs sociaux, dévalorisé le service public, détricoté le code du travail et la solidarité comme valeurs sociétales, seules leurs victimes sont au front, au chevet d’une société laminée par les indices boursiers à préserver. C’est l’ironie du sort…
En conséquence, la Covidie a découvert de nouvelles statistiques. Ses médias parlent toujours de phase ascendante de la courbe, du pic de la courbe, du point d’inflexion de la courbe, de la zone plateau de la courbe et de la phase descendante de la courbe, mais il s’agit désormais d’expressions élégantes, savantes, formelles et insensibles pour désigner des tombereaux de cadavres en direction des cimetières. Alors que le ton fut généralement plus grave et plus alarmiste chez les terriens lorsque Cac 40, Dow Jones, Bel 20 & Co… plongeaient en bourse, la Covidie se caractérise par le fait que la courbe décrite n’est pas celle de simples symboles (argent, actions, richesses) qui montent et descendent, mais celle des centaines de milliers de vies humaines qui s’évaporent tant à sa phase ascendante, à son pic, à son point d’inflexion, à sa zone plateau et qu’à sa phase descendante. Contrairement à la courbe des indices boursiers où les phases ascendantes et le pic font gagner des choses aux spéculateurs et actionnaires (de l’argent notamment), ces mêmes phases sont en Covidie celle où on perd le plus de vies humaines alors que les phases plateau et descendante de la courbe ou les terriens perdent le plus de choses, correspondent à celles où la Covidie perd de moins en moins de vie humaine mais continue à en perdre. Il apparaît ici comme l’amorce d’un nouvel indicateur statistique en Covidie. Cet indicateur témoigne de la violence du système économique néolibéral et illustre ce que nous savions déjà, à savoir une corrélation négative entre la vie des êtres humains et les indices boursiers. Qu’est-ce qui rend le Covid-19 plus meurtrier ? C’est la pauvreté, les inégalités et le recul de l’État-providence que renforce le capitalisme total des actionnaires. C’est le démantèlement des systèmes de santé publics par des théories et méthodes de management axées sur ce que Alain Supiot appelle « la gouvernance par les nombres », c’est la santé des Cac 40, Dow Jones, Bel 20 & Co…, jugée primordiale à celle des sociétés. C’est une Afrique aux systèmes agricole, sanitaire, énergétique et éducatif liquidés pour le remboursement de la dette, les équilibres macroéconomiques et financiers, sans oublier les bons chiffres du libre-échange. Autant ce sont les plus pauvres qui ont désormais pour cimetière le ventre de la méditerranée parce que les pays européens veulent avoir de bonnes statistiques en matière de politique migratoire et les pays africains de beaux chiffres dans le cadre de l’ajustement structurel, autant ce sont ces priorités qui rendent les vies si fragiles que le Covid-19 n’a plus qu’à achever le travail des statistiques terriennes sur les Covidiens.
Et là on découvre qu’il faut 60% d’infectés dans une population pour qu’elle développe une immunité collective. La grande contradiction est que le confinement empêche la contamination et donc retarde sans cesse le seuil des 60% de la population infectée. Et ce retard des infectés grâce au confinement permet au système de santé de ne pas imploser et d’être toujours en capacité de soigner les Covidiens et les Covidiennes qui sont infectés et malades. Il y a donc ainsi un conflit entre l’objectif d’une immunité collective et celui d’assurer la fonctionnalité du système de santé par le confinement.
Et si on exploitait un tel seuil pour résoudre la question sociale, notamment la pauvreté dans les sociétés capitalistes ? Et si on décrétait qu’il faut que 60% de la population active s’enrichisse pour atteindre un enrichissement collectif, une immunisation collective contre la pauvreté ? Si on constatait que cet enrichissement collectif est incompatible avec le confinement de la pensée économique dans le néolibéralisme où seul l’enrichissement a une explication et pas la paupérisation ? Si une infection collective au Covid-19 permet d’atteindre une immunité collective une contagion collective à la solidarité ne peut-elle pas permettre une société moins inégalitaire, la nôtre où les 10% les plus riches possèdent plus de la moitié du PIB mondial ? N’est-ce pas là le plus grand virus à combattre une fois déconfinés ?[/wcm_restrict]
Thierry AMOUGOU* – avril 2020
* Macroéconomiste hétérodoxe du développement et évaluateur certifié des politiquespubliques, Thierry Amougou est professeur à l’UCLouvain. Il est membre du Centre d’études du développement (CED) et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire « Démocratie, institutions, subjectivité » (CriDis) au sein de l’Institut IACCHOS (Institute for the Analysis of Change in Historical and Contemporary Societies).).