Réduction du temps de travail : l’Espagne et la Finlande montrent la voie

La nouvelle réalité est que la pandémie façonne notre vie quotidienne et change le travail. Le télétravail et le droit à la déconnexion sont les deux principaux problèmes auxquels sont confrontés les gouvernements du monde entier. L’UE est appelée à rédiger une législation pour relever les défis d’aujourd’hui, en sauvegardant les droits du travail et en protégeant les travailleur∙euse∙s contre les comportements arbitraires des employeur∙euse∙s, tout en encourageant l’esprit d’entreprise à croître en termes de durabilité.

Certains gouvernements de l’UE s’orientent déjà dans cette direction, obligeant d’autres États membres à accélérer leur rythme. Dès l’automne 2020, le gouvernement progressiste espagnol de Sanchez-Iglesias a décidé de réduire les jours de travail hebdomadaires de 5 à 4, réduisant en conséquence le temps de travail hebdomadaire. Le projet de loi est prêt, la participation des syndicats étant active et la Commission suivant de près les développements, afin de voir par elle-même comment elle évoluera au niveau européen.

En fait, le gouvernement local de Valence est allé plus loin que tout autre gouvernement régional en Espagne au niveau du dialogue institutionnel, ayant développé une collaboration intéressante avec le centre de recherche britannique Autonomy, qui traite des questions de l’emploi. Le premier programme pilote de réduction du temps de travail avait déjà été développé en 2015, le gouvernement local ayant développé un modèle de travail ambitieux et progressif, non seulement pour lutter contre le chômage, mais pour s’attaquer plus largement aux problèmes structurels qui le provoquent.

Le programme mis en œuvre parvient à combiner les résultats d’une recherche pluriannuelle avec la politique mise en œuvre, pour être transposé en une proposition législative spécifique qui couvrira les besoins de chaque région.

Des développements similaires ont lieu en Finlande où, depuis la mi 2020, le gouvernement de Sanaa Marin travaille à un plan de réduction des heures de travail, répondant à une demande constante de l’espace politique progressiste. Le groupe de travail gouvernemental s’appuie largement sur les conclusions du comité de Paavo Liponen, l’ancien Premier ministre du pays, qui, pour la première fois en 1996 et en 1999, a promu la mise en œuvre pilote des 6 heures de travail par jour. Les résultats furent encourageants : augmentation de l’indice de productivité et d’efficacité dans les évaluations internes des syndicats, mais aussi de la psychologie des travailleur∙euse∙s eux∙elles-mêmes. Les résultats furent similaires en Suède, qui avait testé le même modèle au milieu de la même décennie.

Cependant, il existe deux obstacles principaux qui retardent la mise en œuvre généralisée d’un tel modèle de travail qui peut être associé à la revendication collective actuelle du droit à la déconnexion. Le premier est la résistance de nombreux employeur∙euse∙s qui prônent plus d’heures de travail et des salaires plus bas. La deuxième raison est le coût direct pour une entreprise de la réduction des heures, du maintien du même salaire et en même temps de l’embauche de nouveau personnel pour couvrir les heures de travail restantes. Cela signifie des coûts plus élevés pour l’entreprise, des «expositions» financières plus importantes et par conséquent un risque d’investissement plus élevé.

Afin de changer le travail quotidien et le modèle actuel, un effort systématique est nécessaire, afin de former les corrélations idéologiques et politiques appropriées, d’une part, et d’avoir une coopération fructueuse de tous ceux impliqués dans la question du travail : les employeur∙euse∙s, les employé∙e∙s et les syndicats, les partis politiques et les institutions de la société civile, jusqu’aux centres de recherche et la communauté universitaire et scientifique qui définiront théoriquement et de manière approfondie les principales questions de travail. Toutes les parties sont conscientes que la crise économique que nous traversons et la récession que nous attendons ne peuvent pas être abordées avec les mêmes outils qui l’ont provoquée, indépendamment du fait que différentes approches soient développées pour déterminer quelle est la meilleure et la plus efficace « recette » pour surmonter la crise.

Les gouvernements espagnol et finlandais reconnaissent les difficultés de passer à un nouveau modèle de travail en termes de durabilité, la proposition d’une semaine de 4 jours allant dans la bonne direction, car elle cible également la question des inégalités. Les inégalités qui sont au cœur des problèmes structurels du modèle actuel, en termes de coûts de main-d’œuvre, de rémunération, d’opportunités, d’égalité des sexes, d’empreinte environnementale. Des questions fondamentales qui doivent être examinées sous un autre angle. Si nous voulons apporter des réponses convaincantes, les inégalités concernent et affectent les modes de consommation, la qualité de vie, la santé mentale, les relations humaines dans leur ensemble et notre évolution en tant qu’espèce humaine.

Nous avons atteint un point où un changement de modèle est nécessaire. La question n’est donc pas de savoir si nous allons changer de direction, mais dans quelle direction et dans quelles conditions.

Dimitris Rapidis*

* Dimitris Rapidis est politologue et spécialiste de la communication.

L’article est inclus dans le 36ème Bulletin des développements européens de l’Institut des politiques alternatives ENA à Athènes, Grèce