Pour un euro-dividende, revenu de base pour tous les Européens

L’introduction d’un revenu de base versé par l’Union européenne et constituant le socle minimal sur lequel les Etats membres peuvent bâtir leur propres politiques en la matière marquerait un grand pas en avant vers la construction d’une véritable Europe sociale.

Fin avril, faisant suite à la consultation publique impliquant plus de 16 500 participants issus de la société civile, la Commission européenne a rendu publique sa réflexion sur la dimension sociale de l’Union européenne (UE) et a adopté une recommandation en faveur d’un «socle européen de droits sociaux».

S’il faut saluer la volonté de l’institution et de son président Jean-Claude Juncker de renouer avec son droit d’initiative dans le domaine social, cette proposition devra s’accompagner d’autres initiatives si la Commission espère atteindre son objectif d’un «triple-A social» pour l’UE. Un soutien systémique aux systèmes de protection sociale nationaux sous la forme d’un Euro-dividende pourrait offrir une voie complémentaire et ambitieuse pour faire face aux enjeux sociaux, économiques et politiques actuels.

Les réalités sociales d’aujourd’hui, les défis de demain

Dans la prolongation de son livre blanc sur le futur de l’intégration européenne, la Commission a publié sa réflexion sur la dimension sociale de l’UE. Elle y établit la carte sociale actuelle et les facteurs de changement à l’horizon 2025, avant d’évaluer les différents scénarios possibles en matière d’intégration dans le domaine social.

L’analyse présente une image disparate où les différents indicateurs socio-économiques reflètent un revers pour la «machine à convergence» que fut l’UE. Taux d’emploi, taux de pauvreté et dépenses publiques allouées aux politiques de protection sociale (part du budget allouée, sources de financement, degré de couverture pour les différents risques, rôle du dialogue social) sont marqués par des disparités importantes entre Etats membres. La crise et les réponses insuffisantes qui y ont été apportées ont creusé ces divergences et ont affecté particulièrement les personnes aux revenus disponibles les plus modestes. Rappelons que, globalement, près d’un quart de la population de l’UE est en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, un cinquième des jeunes est au chômage dans la zone euro, et les inégalités salariales entre hommes et femmes sont toujours supérieures à 16%.

La Commission identifie également les nouveaux risques relatifs au vieillissement de la population, à l’évolution des structures familiales ou encore au marché du travail. Sur ce dernier point par exemple, les effets combinés du progrès technologique, de la globalisation des échanges et de la croissance du secteur des services impactent la qualité des emplois disponibles, la sécurité de l’emploi, les conditions de travail et la soutenabilité des modèles de protection sociale. La «nouvelle question sociale» implique, selon la Commission, de repenser l’accès à la formation tout au long de la vie, l’accès à l’emploi et la répartition du temps de travail, l’accès à un revenu décent et de «moderniser» les systèmes de sécurité sociale, sous peine de voir les inégalités se creuser davantage, la précarité s’accentuer et de nouvelles formes d’exclusion sociales se développer.

Si les différences entre Etats membres sont importantes, ces défis leur sont communs. La Commission identifie donc trois scénarios possibles pour le futur de l’intégration européenne en matière sociale: 1) la politique sociale est une compétence exclusivement nationale et sa dimension européenne se restreint à la liberté de mouvement; 2) les Etats membres désireux d’une intégration approfondie utilisent la «coopération renforcée» pour harmoniser leurs politiques sociales; et 3) l’ensemble de l’UE des 27 approfondit son intégration dans le domaine social, développe un arsenal législatif et des capacités de redistribution afin de garantir les droits sociaux de tous les citoyens européens.

Si la Commission se contente d’ouvrir le débat et s’en remet aux Etats membres, elle insiste néanmoins sur le besoin à la fois social et économique d’établir une société capable d’offrir de réelles opportunités à chacun et sur l’impératif politique de redonner confiance dans le projet européen.

Un nouveau socle européen de droits sociaux

C’est dans ce cadre que s’inscrit sa proposition en faveur d’un socle européen de droits sociaux, constitué de vingt principes clés regroupés en trois volets: égalité des chances et accès au marché du travail, conditions de travail équitables, et protection et insertion sociales. Formulée sous forme de recommandation, la proposition de la Commission n’a pas de force légale contraignante. Il s’agit donc ici d’inciter les Etats-membres à adopter un certain nombre de principes et de favoriser la coordination des politiques nationales. Le socle est d’ailleurs conçu en priorité pour les pays de la zone euro telle une «boussole» permettant de renouer avec le processus de convergence. Les autres sont libres de l’adopter ou devront sans doute s’y résoudre s’ils souhaitent rejoindre l’union monétaire.

En faisant de l’euro le critère principal de son application, la Commission semble faire prévaloir ses objectifs économiques sur la dimension sociale. Il est clair que des déséquilibres sociaux excessifs, tout comme des déséquilibres économiques excessifs, menacent la viabilité de l’union monétaire et la crédibilité du projet européen. Cependant, alors que le processus de réforme macro-économique (le Semestre européen) a déjà réussi à absorber les questions sociales dans ses procédures au nom du renforcement de la discipline budgétaire, l’on est en droit de se demander si le socle ne vise pas à donner une nouvelle légitimité aux recettes néolibérales de la «nouvelle gouvernance économique» européenne en ajoutant de nouveaux indicateurs sociaux à son tableau de bord.

En outre, le socle de droits sociaux vise à rendre «plus visibles, plus compréhensibles et plus explicites» les droits et principes déjà présents dans l’acquis social européen. D’un point de vue symbolique, l’initiative donne une substance à la citoyenneté européenne, au même titre que la Charte européenne des droits fondamentaux, mais en l’absence d’obligation juridique, le socle risque de se cantonner à un «re-packaging» de principes existants sans véritable effet.

Véritable progrès ou effet placebo, l’avenir le dira. Mais malgré sa faiblesse manifeste, le socle de droits sociaux présente une opportunité considérable d’élargir le débat en avançant d’autres propositions audacieuses pour une «Europe sociale».

Un Euro-dividende pour tous les européens

Un revenu de base partiel versé inconditionnellement à tous les Européens (citoyens et résidents légaux) pourrait ainsi devenir l’instrument politique d’une Europe qui protège et réconcilie les citoyens avec l’idée européenne. Cet euro-dividende, d’un montant modeste (que certains imaginent autour de 200 euros par mois selon le schéma de financement et son éventuel ajustement au coût de la vie dans chaque pays), serait distribué à tous les résidents adultes des États membres de l’UE sur une base individuelle, sans contrôle de ressources ou exigence de contrepartie. L’euro-dividende ne vise pas à remplacer les régimes nationaux de revenu minimum. Il fournit un revenu socle sur lequel les États-membres peuvent bâtir leurs propres arrangements sociaux afin d’assurer une vie décente à tous leurs citoyens.

L’introduction d’un euro-dividende constituerait donc un moyen intelligent de servir les objectifs du socle européen de droits sociaux. Il améliorerait la condition des plus défavorisés qui auraient accès à un revenu inconditionnel complémentaire aux provisions assurées par les modèles de sécurité sociale nationaux, sans entraves administratives ni risque de stigmatisation sociale. Il fournirait un mécanisme de solidarité sous la forme de transferts transnationaux permettant réduire les déséquilibres économiques et sociaux excessifs entre les pays de la zone euro grâce à son effet de stabilisation automatique. La réduction significative des facteurs d’incitation à la migration économique au sein de l’UE, évitant ainsi l’effet négatif d’un exode des cerveaux dans certains pays, pourrait constituer un avantage supplémentaire. Enfin, et surtout, il aurait un effet bénéfique sur la légitimité de l’UE et le soutien de la population au projet Européen.

L’idée d’un euro-dividende pourrait être financée par une TVA européenne ou une réaffectation partielle du Fonds Social Européen par exemple. D’autres sources peuvent être envisagées (taxe carbone européenne, taxe sur les transactions financières, …) mais, à plus long terme, l’idéal serait sans doute de le financer via un impôt européen sur le revenu des sociétés afin de réduire le problème du dumping fiscal à sa source et d’assurer une redistribution équitable de la richesse générée par l’intégration européenne. La proposition peut également être introduite en priorité dans la zone euro et être déclinée de différentes façons en la réservant exclusivement aux enfants ou aux jeunes par exemple.

Les modalités pratiques doivent faire l’objet d’un débat mais ce qui importe c’est que son financement dépende des ressources propres de l’UE, afin d’établir un lien clair entre le budget de l’UE et ses avantages pour les citoyens européens. L’introduction d’un euro-dividende vise à développer un modèle social européen juste, stable et efficace car ce revenu incarne un engagement européen en faveur de la citoyenneté sociale avec une politique de portée et de substance européennes, transparente et facile à administrer.

Du socle européen de droits sociaux au revenu-socle européen, la route est sans doute encore longue. Mais si la politique est l’art du possible et de la persuasion, le temps est venu de proposer une Europe sociale ambitieuse.

François Denuit
Doctorant en sciences politiques à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et à l’Université de Warwick


Article original publié sur VoxEurop et Green European Journal