Portraits de cinq des « pères fondateurs »

Toussaint Louverture (+/- 1743-1803)

Noir créole affranchi, chef militaire autodidacte devenu général en chef[1], souvent victorieux, d’une armée d’esclaves révoltés, François-Dominique Toussaint, dit « Breda », puis « Louverture », s’est, en moins d’une décennie, mais de façon éphémère, élevé à la tête de Saint-Domingue. Il est vu aujourd’hui non seulement comme l’un des principaux héros de l’indépendance d’Haïti, mais comme une personnification de l’universalité des valeurs de la Révolution française et plus comme l’une des grandes figures de la lutte anticolonialiste et abolitionniste et de l’émancipation des Noirs.

Interrogations

Divers historiens ont tenté de s’éloigner de ces visions parfois quelque peu hagiographiques et se sont interrogés, sur base de faits avérés, sur les motivations et les engagements réels de Toussaint Louverture. Ils réfutent notamment la rumeur d’une naissance africaine de Toussaint[2] et constatent qu’il a bénéficié d’un statut relativement favorable. Esclave sur la plantation (habitation) de Breda, dans le Nord de l’île[3], il y était toutefois domestique, cocher, et y bénéficia d’une liberté de mouvements (« liberté de savane ») avant même son affranchissement[4]. Une fois affranchi, on le retrouve en 1779 à la tête d’une habitation produisant du café et comptant 13 esclaves.

C’est sur la base de cette situation relativement confortable que certains historiens s’interrogent sur les convictions de Toussaint vis-à-vis de la Révolution française et du soulèvement de 1791 : d’aucuns, aussi, mettent en doute son engagement initial dans la révolte de 1791 dans le Nord. D’autres, s’ils admettent cet engagement précoce, le décrivent même comme relevant d’une action de « provocation » en faveur des royalistes ! M. Covo concède d’ailleurs que les abolitionnistes attribuaient la brutalité du soulèvement aux manigances des royalistes[5]. Ceux-ci auraient soutenu, voire suscité, l’insurrection afin d’effrayer les partisans d’une autonomie de l’île et de les convaincre de rester sous la protection de la France. Rappelons ici que les insurgés de 1791 montraient effectivement des sympathies pour le roi de France et la monarchie[6]. Dès le début, ils proclamèrent leur loyauté au roi et à la religion[7]. Biassou se serait proclamé « vice-roi » en attendant la libération de Louis XVI et, après l’exécution du roi, lui et ses compagnons déclarèrent allégeance au roi d’Espagne, Charles IV… Et l’on verra qu’il en fut de même pour Toussaint Louverture à l’époque où il servait l’Espagne. D’aucuns soulignent que, même lorsque son autorité prédominera à l’Ouest, il réintroduira de nombreux « symboles » de l’Ancien Régime. Enfin, nombre de « successeurs » de Louverture (voir leurs « portraits » ci-dessous) ne cacheront pas leur fascination pour le régime monarchique…


By Paul Delmotte

Professeur de Politique internationale, d'Histoire contemporaine et titulaire d'un cours sur le Monde arabe à l'IHECS, animé un séminaire sur le conflit israélo-palestinien à l'ULB. Retraité en 2014.