On ne s’est pas payé la France en demi, on aurait dû, pourtant, puisqu’on s’était fait le Brésil.
La science du foot s’était propagée dans toute la population comme une flamme sur une végétation sèche, le peuple retenait son souffle, les superlatifs manquaient, l’art du pronostic s’exposait à tous les comptoirs. Les experts psychologues, sociologues, historiens, statisticiens, convoqués par les médias, exposaient le sens d’une ferveur. Pour ne rien dire d’intéressant, mais pour dire une parole experte.
La petite finale nous a été réservée le 14 juillet, contre les Anglais. L’équipe belge a bien joué, nous sommes sur la troisième marche du monde. Où que nous allions en vacances, nous serons bien reçus, et même félicités, sauf en France peut-être, où nous serons taquinés.
Chez eux:
Car il restait en détail à venir le 15 juillet, c’est la France qui gagne. Champs-Elysées, banlieues, terroirs à fromages et saucissons, plages sablées, le foot a gommé les variations géographiques. Macronisme, unité nationale, ferveur populaire, le foot a gommé les variations sociales. Les Français ne devaient plus rien demander de plus que leur propre fierté. Quelle sacrée paix pour tous les pouvoirs, quel pied (!) pour le politique!
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Du Bellay, dont on connaît les premiers vers, devrait être lu plus loin. Car derrière la glorification vient l’exigence, et là, la France a failli. On était au temps de la Renaissance. Car derrière la France qui gagne, se cache la France qui cogne. L’Elysée de la parade unitaire s’avère être un nid de barbouzes affidés du Président. On verra ça par ailleurs. Mais ouf!, l’accident industriel qui a suivi la victoire française va éviter aux médias hexagonaux de « la ramener » durant la prochaine décennie.
Chez nous:
Par un envahissement de la Grand-Place, le peuple a fêté ses Diables en s’affublant de casquettes qui serviront quand il faudra remettre un plafond en couleur, de tridents en plastique qui iront inexorablement à l’incinérateur, de maquillages rouge-jaune-noir qu’on aura perdus à la prochaine victoire. Le grand magasin Carrefour (c’est français après tout) retire la Brabançonne de ses fonds musicaux, les cannettes Belgium redeviennent Jupiler, les rois du BBQ restent fidèles à Devos & Lemmens, sauce andalouse ou mayonnaise. Nous avons la gloire relative, et c’est bien comme ça.
Chacun rentre à la préoccupation de son jardin asséché, la NVA est contente que la fièvre footballistique va retomber, la chasse aux indésirables peut recommencer, le Roi Philippe prend l’équipe de foot comme exemple pour le pays. « En cherchant ce qui rassemble, nous réussissons à exploiter pleinement toute la richesse de nos différences. Nos fragilités peuvent alors être transformées en force. Un esprit d’unité n’ignore pas les différences, il les accueille. Fonder un résultat sur un tel esprit, le rend encore plus beau. »
Courtois (Thibautje, 2 mètres sous la toise) est nommé meilleur gardien du monde, Hazard (Eden, ça ne s’invente pas) a haussé sa valeur marchande, De Bruyne (Kevin, l’homme aux kluten) a respecté les consignes, et Martinez est reconnu comme le manager qu’il nous fallait.
Le Croate Modric est nommé meilleur joueur du tournoi. J’aurais choisi Perisic, autre Croate, formé à Sochaux, où on n’en voulait pas trop, puis à Roulers (sic) et Bruges, monnayé en Allemagne et jouant à Milan. Ce fut pour moi l’homme du courage et de la qualité.
On ne va pas oublier que tout cela s’est BIEN passé en Russie, le pays que nous sommes censés n pas aimer.
Gérard Lambert