On est en demi

Profondeville est un village paisible. La Meuse y fait des méandres, sereine, entre rochers majestueux et maisons bien disposées. Il reste un centre de village, beaucoup s’emploient à le garder vivant. Que faut-il pour cela ? Du bâti bien conçu, des arbres, de la sécurité piétonne, des commerces variés, des services, une maison des associations, un petit centre culturel, un petit café-restaurant de la Gare – notez que cette gare est de l’autre côté de Meuse, il fallait un passeur d’eau pour la rejoindre – et un Grand café Central où la direction ne craint pas les initiatives, musicales notamment.

Ce vendredi, le Central arbore un écran géant de bonne qualité, un DJ fait cracher du bruit à son installation, la place est gentiment ceinturée (camions contre d’éventuels véhicules fous, une sécurité discrète est présente aux entrées du site. El le monde déferle, gentiment, de toutes les générations, des deux sexes, de tous les âges. Connaisseurs et novices s’affrontent en commentaires inutiles mais indispensables, des enfants font un concours de roulé-boulé à la Neymar, on se pousse pour faire une place à qui est en chaise roulante, le temps est merveilleux, entre doux et chaud. Les accoutrements de supporters ne sont pas plus créatifs qu’ailleurs.

La place est comble, formée de gens qui se reconnaissent, se parlent, venant des villages du haut de la vallée, Lustin rive droite, Bois-de-Villers rive gauche, de l’amont (Rivière) et de l’aval (Wépion). Rien que du convivial.

La peur du Brésil

Le match commence après des hymnes nationaux dont on se fiche éperdument (ou pas). Le commentateur télé explique que la tension « monte crescendo » (sic), ce qu’un lettré du coin qualifie de pléonasme, mais une attaque brésilienne réoriente son nez vers l’écran. Les vagues de bruit indiquent le sens des attaques. Celles des Brésiliens font baisser les clameurs. « Ils sont forts mais pas irrésistibles ».

Puis viennent les bonnes phases belges. Sur corner joué plutôt court, Kompany ne touche pas mais deux grands Brésiliens se heurtent et commettent un auto-but. Clameur, les chapeaux volent plus haut que les casquettes, les gobelets se vident en gouttelettes comme une pluie sur la foule, les gens se pincent, ils aimeraient tant y croire. L’équipe de Belgique a la bonne idée de ne pas faire de la résistance. Son esprit est bon, son énergie est ressentie chez tous les supporters. Lukaku se saisit du ballon avant le milieu de terrain, il évite ses gardes rapprochés, deux rouges galopent sur sa droite, il choisit De Bruyne pour faire la bonne passe et lui, puissant, juste, mais très juste, ajuste le gardien. 0-2 à la mi-temps.

Sur l’écran, de belles Brésiliennes désolées, des fanatiques tête basse, et des rouge-jaune-noir drôlement déguisés, hilares.

Chacun retrouve une place pour « souffrir » en deuxième mi-temps. Fellaini est divin de courage, Witsel tient l’avant-poste de la défense, Kompany rassure, Hazard tient la balle, aucun joueur belge n’est à moins de 100% de sa mission. Faute de Meunier, deuxième carte jaune qui le privera de la demi-finale. Courtois effectue de très grands arrêts, il semble incontournable. La défense belge est aidée par les attaquants capables de tenir la balle. Le commentateur explique que certains jouent avec une « facilité dérisoire ». Mon lettré se manifeste à nouveau par un clin d’oeil, il aurait dit déconcertante.

Tite, le coach brésilien, commence à s’impatienter, tandis que le « professeur » Martinez suscite des commentaires élogieux pour sa science du jeu. Tite prend l’option de faire monter Renato Augusto, que personne ne connaît car il jour en Chine et, très rapidement, cet attaquant décroise de la tête pour ramener le score à 1-2. On va encore souffrir. Toutes les forces du « petit pays » s’unissent encore et encore pour tenir devant des Auriverde. Neymar est bien tenu, Coutinho est empêché de tirer de loin, sa spécialité qui a déjà fait mal à d’autres équipes. Et Courtois arrête tout ce qui passe le seuil de la défense, jusqu’au dernier tir de Neymar, ajusté en direction de l’angle du but. Les minutes sont décomptées, c’est fini ! Le morceau était très très gros. Place au suivant, la France, vous connaissez ?

La place de Profondeville se vide en plusieurs heures, la chaussée de Dinant se transforme en un ruban sonore avec la laide musique des klaxons. La soirée fut belle. On reviendra.

Gérard Lambert