Les peuples premiers

Une expo et un livre, Les peuples premiers,
racontés par J.P. Dutilleux

Est-ce parce qu’il montait à la crête des arbres quand il était petit que Jean-Pierre Dutilleux est parti loin de son pays pour aller en Amazonie découvrir les « peuples premiers » ainsi appelés car ils n’ont encore eu aucun contact avec notre civilisation. C’était il y a près de 40 ans et, revenu à Malmédy, sa ville natale, l’explorateur expose de splendides clichés dans les combles astucieusement aménagés du Malmundarium. Dès l’entrée, un voyage commence avec ce petit tour du monde tribal qui, en photographies, objets insolites et vidéos, permet, presque « pour de vrai », de rencontrer quelques 12 ethnies isolées d’Asie, d’Afrique et d’Amazonie.

Jean-Pierre Dutilleux est cet ethnologue et photographe qui a fait connaître Raoni, un des chefs de la tribu Kayapos du Brésil, pour que le monde et particulièrement les chefs d’État, prennent conscience de la déforestation entraînant une situation épouvantable, au bord de la survie, de peuplades vivant en forêt amazonienne. Avec le chanteur Sting, il a mis en place une campagne mondiale qui a permis la mise sur pied d’un vaste territoire protégé pour cette tribu. Mais il y a toutes les autres peuplades, menacées pour la plupart, alors que leur culture et leur vie devraient être protégées de la confiscation de leur territoire, des maladies apportées par la civilisation et la pollution industrielle avec l’exploitation de leurs sols.

Dans son livre Sur la trace des peuples perdus paru en 2015, l’ethnologue dit ceci : « Ils ont beaucoup à nous transmettre et pourtant nous ne prenons pas le temps de recenser leurs savoirs extraordinaires, nous les traitons de primitifs, nous nous emparons de leurs terres, de leurs forêts, de leurs rivières, de leurs montagnes et des richesses qu’elles contiennent. Il faut garder une trace de leur passage, non seulement pour la mémoire de l’humanité tout entière mais aussi pour leurs propres descendants, qui auront ainsi une trace de leur passé. Cela constitue une partie essentielle de mon travail et de celui de mes collègues ethnographes et anthropologues. » (p.48)

Journal de bord d’un aventurier

Le livre raconte les découvertes, par J.P. Dutilleux, de 18 tribus dont certaines remontent aux années 80. D’emblée, on est saisi de curiosité pour cet explorateur qui, en 1975, affronte les Asmats, tribu cannibale d’Indonésie, grands amateurs de sperme et de cervelle humaine. Et tout le long de ce récit autobiographique (l’auteur évoque même sa petite amie !), on se rend compte de la difficulté et des dangers de communiquer avec ces tribus farouches qui, lance en main, parlant une langue inconnue, sont prêtes à en découdre pour peu qu’un geste ou un regard maladroit les effraye ou leur insupporte. Et l’explorateur ou l’aventurier (on hésite sur le terme !) avec une curiosité insatiable, ne ménage pas sa peine car il a affronté des tornades, failli se noyer ou mourir de soif sous des chaleurs torrides. Il a marché (ou roulé) dans des déserts de Madagascar et d’Afrique de l’Est, au cœur du Nouveau-Mexique, en passant par la forêt équatoriale du Congo, le long des vallées de Nouvelle-Guinée, jusqu’au plus profond de l’Amazonie.

Si le récit n’a pas la rigueur d’un ouvrage scientifique, on y apprécie le style naturel avec des anecdotes, historiettes, partages d’émotions personnelles, sens du suspens et humour qui rendent la lecture à la fois plaisante et intéressante. Mais des questions, sur les méthodes de travail et même la véracité des faits racontés avec spontanéité, laissent un peu interrogateur.

On en retient, en refermant le livre, une forte impression, en droite ligne avec la réflexion de l’auteur : « Ces derniers peuples premiers vivent dans un environnement qui suffit à leurs besoins. Leurs cultures et leurs technologies se sont arrêtées dans le temps, leurs modes de vie restent inchangés car ils n’ont besoin de rien de plus, rien de moins. »

Une leçon que l’exposition au Malmundarium et la lecture du livre[1] nous invitent à suivre.

Godelieve Ugeux


[1] Dutilleux Jean-Pierre. Sur la trace des peuples perdus, 2015, Editions Hugo Doc.
Source de la photo d’illustration: www.ardenneweb.eu