L’importance de l’esclavage dans l’Atlantique pour l’économie des Pays-Bas au XVIIIe siècle

Pendant longtemps, les historiens néerlandais ont considéré a priori que l’importance de l’esclavage dans l’Atlantique pour l’économie des Pays-Bas avait été marginale. Dans un article publié le 26 juin 2019 dans la revue d’histoire économique et sociale néerlando-flamande TSEG / Low Countries Journal of Social and Economic History, les auteurs montrent que cette supposition est erronée.

En 1770, les activités reposant sur l’esclavage représentaient tout de même 5,2 % du produit intérieur brut (PIB) de la République des Pays-Bas. Pour la province de Hollande, pourtant la plus prospère et le plus puissante des Provinces-Unies, ce pourcentage allait jusqu’à 10,36 %. Ce résultat provoqua un débat passionné dans les médias, mais fut largement accueilli comme une correction importante à l’image dominante que les Pays-Bas avaient eue de leur propre passé esclavagiste.

Les chiffres obtenus sont le résultat d’une grande étude sur l’importance de l’esclavage atlantique pour l’économie néerlandaise dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Cette étude fut lancée en 2014 et réalisée par l’Institut international d’histoire sociale d’Amsterdam (IISG), l’Université libre d’Amsterdam (VU) et l’Université de Leyde (UL). Elle comportait trois volets. Le premier portait sur la traite à partir des villes de Middelbourg et de Flessingue, sur l’île de Walcheren en Zélande (Gerhard de Kok). Le second, toujours en cours, devait analyser la chaîne de valeur internationale du sucre et du café produits par les esclaves (Tamira Combrink). Le troisième était axé sur le rôle des banques et des assurances concernées par l’esclavage (Pepijn Brandon et Karin Lurvink). La synthèse devait proposer au final un chiffrage solidement étayé du poids des activités esclavagistes atlantiques dans le PIB.

 

Des estimations conformes à la réalité ?

À l’étranger également, on avait tenté de mesurer le poids de l’esclavage, ou du commerce colonial en général, dans les économies nationales. Surtout en Grande-Bretagne, acteur majeur du commerce triangulaire au XVIIIe
siècle, un débat académique approfondi eut lieu pendant des dizaines d’années, avec des points de vue allant de la conviction que l’esclavage était l’une des principales sources de richesse de la révolution industrielle jusqu’à l’idée selon laquelle le commerce colonial ne signifiait finalement pas grand-chose pour le développement de l’économie nationale. Aucun débat de fond analogue n’eut véritablement lieu dans les autres pays européens. La plupart des historiens économistes acceptèrent les conclusions des auteurs britanniques, à savoir que l’importance économique de l’esclavage avait été limitée. Une telle attitude s’expliquait avant tout par la tendance à aborder la question du poids économique de l’esclavage sous le seul angle des revenus générés par la traite, et non par le commerce, bien plus important, des marchandises produites dans les plantations.

Les négociants des Pays-Bas avaient pleinement anticipé l’émergence d’un marché de consommation de masse du sucre et du café

La tendance à la minimisation prévalut également aux Pays-Bas. Ces dernières années toutefois, l’intérêt suscité par le passé esclavagiste progressa fortement, tout comme aux États-Unis, en Angleterre ou en France. Dans ce contexte, la question se posa donc de savoir si ces estimations approximatives de l’importance économique de l’esclavage correspondaient à la réalité. Par ailleurs, l’évolution des études consacrées à l’histoire économique des Pays-Bas permit de poser un certain nombre de questions à cet égard. De nouvelles données sur l’ampleur du commerce atlantique soulignèrent le fait que les négociants néerlandais aussi avaient pleinement anticipé l’émergence d’un très important marché de consommation européen du sucre et du café produits par les esclaves dans le monde atlantique. Dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle, le commerce atlantique éclipsa même le commerce des épices de la Compagnie des Indes orientales (VOC) à partir de l’Asie, pour lequel l’esclavage était aussi pratiqué, du reste, à grande échelle. En affinant les évaluations existantes concernant le volume total de l’économie des Provinces-Unies, Jan Luiten van Zanden et Bas van Leeuwen permirent d’étudier de manière sectorielle et bien plus précise l’importance des échanges commerciaux transatlantiques.

Une contribution considérable

Pour plus de clarté, nous présentons dans une annexe en anglais, téléchargeable avec notre article en néerlandais sur le site www.tseg.nl, le mode et la base de calcul des nombreuses évaluations effectuées. Notre article sera également publié en anglais l’an prochain. Nous nous contentons pour l’instant de résumer les résultats les plus significatifs :

– Avec 5,2 % du PIB de la République des Provinces-Unies, voire plus de 10 % du PIB de la province de Hollande, l’esclavage dans l’Atlantique a fourni une contribution non pas marginale mais considérable à l’économie néerlandaise en 1770. Sur la base d’extrapolations, nous pouvons également voir que 1770 était une année représentative de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Pour un grand nombre d’années, le pourcentage était plus élevé.

– Les pourcentages indiqués sont fournis dans leur grande majorité (à plus de 70 %) par les sociétés de négoce international ou d’armement. En 1770, plus de 19 % (en valeur) de toutes les marchandises entrant ou sortant des ports néerlandais étaient produites dans les plantations d’esclaves de l’Atlantique.

– Ce n’est pas la traite, mais le commerce des marchandises produites par les esclaves qui représentait la plus grande source de revenus pour l’économie des Pays-Bas. La traite des esclaves ne représentait que le premier élément d’un système économique beaucoup plus vaste, alimenté ensuite chaque année par le travail des esclaves dans les plantations.

 

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Pepijn Brandon et Ulbe Bosma, traduction Philippe Riby


 

Publication partielle autorisée par la Revue Les Plats Pays.
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