L’histoire du salaire minimum aux États-Unis

J’ai déjà présenté une étude sur l’histoire des lois du travail aux États-Unis, dans laquelle le salaire minimum prenait beaucoup de place, mais ce billet date de 2015. Je me suis dit que cette semaine, celle de la fête du Travail, se prêtait bien à un retour sur cette histoire, d’autant plus que le salaire minimum fédéral de ce pays n’a pas augmenté d’un seul sou depuis 2015 (il est en fait à 7,25 $ depuis 2009, il y a 14 ans). Je vais donc ici résumer un billet récent de Jasmine Payne-Patterson et Adewale A. Maye intitulé A history of the federal minimum wage- 85 years later, the minimum wage is far from equitable (Une histoire du salaire minimum fédéral – 85 ans plus tard, le salaire minimum est loin d’être équitable) publié le 31 août dernier par l’Economic Policy Institute (EPI).

Objectif : L’objectif des auteur.es est de revenir «sur les 85 ans d’histoire du salaire minimum, sur ses différences entre les États et les municipalités, et sur la manière dont les lois sur le salaire minimum continuent de nos jours à avoir de l’impact sur la justice raciale, économique et de genre».

Le Fair Labor Standards Act (FLSA ou «Loi sur les normes du travail équitable») de 1938 et l’histoire du salaire minimum fédéral des États-Unis : Les débats qui sont à l’origine du FLSA se sont déroulés dans les années 1930 en réaction à la Grande Dépression qui a commencé en 1929 et qui a porté le taux de chômage à plus de 25 %, alors que plus de familles que jamais éprouvaient de graves problèmes pour se loger et se nourrir. D’ailleurs, les premières mesures pour relancer l’économie datent de 1933, mais certaines d’entre elles furent jugées inconstitutionnelles par la Cour suprême en 1935, car adoptées par l’exécutif et non par le Congrès. Cette décision a forcé le gouvernement de Franklin D. Roosevelt à concevoir une loi qui protégerait les travailleur.euses et qui pourrait être adoptée par les deux chambres du Congrès. Les auteur.es ajoutent que la colère des citoyen.nes contre la décision de la Cour suprême a grandement aidé le gouvernement à faire adopter cette loi.

Le FLSA, déposé par la première femme ministre des États-Unis (Frances Perkins, secrétaire au travail de 1933 à 1945), n’a pas seulement instauré un salaire minimum, mais a aussi limité le nombre d’heures de travail par semaine et le travail des enfants. Mais, les débats furent longs et la loi ne fut adoptée qu’en 1938. À la demande des syndicats, cette loi ne s’appliquait pas aux personnes assujetties à une convention collective, car ils craignaient que les employeurs n’acceptent plus de salaires supérieurs à ce minimum. À partir de 1950, ils ont au contraire demandé que le salaire minimum s’applique à tou.tes les salarié.es. Évidemment, les associations patronales ont prétendu que ce salaire minimum allait détruire des emplois, comme elles le disent encore de nos jours. Dans un débat sur cette question, Roosevelt a lancé cet avertissement «Ne laissez pas un chef d’entreprise ayant un revenu de 1000 $ par jour vous convaincre qu’il y aura une catastrophe si vous recevez un salaire de 11 dollars par semaine et que cela aura un effet désastreux sur l’ensemble de l’industrie américaine». Robert Reich et bien d’autres disent sensiblement la même chose de nos jours!

L’évolution du salaire minimum : Le FLSA a amendé a de nombreuses reprises (23) le salaire minimum histoire du salaire minimum aux États-Unis_1depuis son adoption, il y a 85 ans, comme on peut le voir sur le tableau ci-contre. Ces amendements furent annuels de 1974 à 1981 (sauf en 1977), mais ont parfois été distancés de nombreuses années, par exemple de 10 ans entre 1997 et 2007. Ce triste record est déjà battu, car il n’y en a pas eu depuis 14 ans et rien ne dit qu’il y en aura un sous peu, même si le président et son parti en parlent depuis leur élection. On peut aussi voir sur ce tableau que le salaire minimum actuel en dollars constants de 2023 (7,25 $) est à son plus bas depuis 1949 (5,84 $), il y a 74 ans! Bon, cette comparaison a ses limites, puisque les paniers de consommation de ces deux années sont bien différents, mais il demeure que le salaire minimum fédéral actuel est simplement ridicule. D’ailleurs, selon le Bureau of Labor Statistics (BLS), seulement 1,3 % des travailleur.es rémunéré.es à l’heure touchaient ce salaire minimum ou moins en 2022, alors que cette proportion atteignait 15,1 % en 1980 et en 1981 (voir les données du tableau 10 sur cette page), soit proportionnellement près de 12 fois plus! J’aurais aimé que la source que j’ai trouvée remonte avant 1979, car c’est en 1968 que le salaire minimum a atteint son sommet en $ de 2023, avec 12,50 $. Il est probable qu’il y avait alors plus de 15 % des travailleur.es rémunéré.es à l’heure qui touchaient le salaire minimum ou moins. On notera que ce sommet de 12,50 $ est plus élevé de 72 % que le salaire minimum de 2022 (les auteur.es disent plutôt que celui de 2022 est plus bas de 42 %, mais ça revient au même; je préfère toujours parler du changement par rapport au chiffre le plus bas, car ça donne un taux bien plus élevé!).

Les exemptions : On a sûrement remarqué que les auteur.es et moi parlons du nombre de personnes qui touchent le salaire minimum «ou moins». Il peut sembler étrange que des salarié.es soient payé.es moins que le salaire minimum, mais il semble, selon les auteur.es, que la grande majorité de ces cas sont dus aux exemptions. Ces exemptions s’appliquent au salaire des patrons (ce qui ne change pas grand-chose…), mais surtout aux emplois agricoles, domestiques et du secteur des autres services. En fait, ces emplois ne sont pas seulement exclus de l’application du salaire minimum, mais aussi des autres dispositions de la FLSA, les rendant vulnérables à l’exploitation et incapables de bénéficier des droits de base des travailleur.euses, vivant trop souvent un cercle vicieux de pauvreté et d’inégalités salariales. D’ailleurs, des enquêtes dans le milieu agricole ont permis de constater de nombreuses violations des droits de ces travailleur.euses, notamment par des vols de salaire (notamment le non-paiement des heures supplémentaires) et du logement inadéquat (voir cet autre document de l’EPI).

En faut, le salaire minimum actuel est tellement bas que, parmi les maigres 1,3 % des salarié.es rémunéré.es à l’heure qui touchaient le salaire minimum ou moins en 2022, la grande majorité gagnaient moins que le salaire minimum, soit 882 000 sur 1 023 000 (ou 86 %), alors qu’en 1980, les personnes gagnant moins que le salaire minimum représentaient moins de 40 % du total, ou 3 087 000 personnes sur 7 773 000 (voir les données du tableau 10 sur cette page). Cela signifie aussi que seulement 141 000 personnes touchaient exactement le salaire minimum en 2022, soit 0,18 % des salarié.es rémunéré.es à l’heure (moins qu’une personne sur 500!).

L’impact racial du salaire minimum : Lors de son adoption, un bon nombre des industries exemptées de la FLSA étaient celles où y travaillaient les plus fortes proportions de Noir.es. Heureusement, les amendements à la loi ont graduellement réduit ces exemptions, notamment en 1966. Ces amendements ont donc bénéficié davantage aux travailleur.euses noir.es. Par contre, les amendements de 1966 ont permis aux employeurs de déduire les pourboires du salaire minimum, ce qui a nui davantage aux Noirs et encore plus aux Noires. En outre, l’indexation insuffisante du salaire minimum nuit aussi plus aux personnes noires et est un des principaux facteurs qui expliquent qu’elles soient payées entre 10 % et 15 % moins que les travailleur.euses blanc.hes ayant les mêmes caractéristiques.

Le salaire minimum des États : Le fait que les États, les villes et les comtés peuvent adopter un salaire minimum supérieur à celui du gouvernement fédéral a fait augmenter grandement les écarts salariaux entre les États, surtout pour les emplois exigeant le moins de compétences. D’ailleurs, 30 des 50 États de ce pays, en plus du District de Columbia (ville de Washington), ont adopté un salaire minimum plus élevé que celui du gouvernement fédéral, dans cinq cas plus du double que les 7,25 $ du gouvernement fédéral, avec des sommets de 17,00 $ dans le District de Columbia (voir cette page pour tous les salaires minimums des États) et de 18,69 $ à Seattle.

Une nouvelle loi? : Un projet de loi a été déposé cette année qui porterait le salaire minimum fédéral à 9,50 $ cette année et à 17,00 $ en 2028, puis l’indexerait en fonction du salaire médian par la suite. Cet autre document de l’EPI présente les caractéristiques de ce projet de loi et les bienfaits que son adoption apporteraient, notamment pour les travailleur.euses noir.es, mais aussi pour l’ensemble de la société.

Et alors…

Même si cette histoire semble ne pas nous toucher directement, je trouve intéressant de la connaître et de la faire connaître. En plus, ses leçons peuvent et doivent nous porter à éviter de vivre dans une société aussi inégale et aussi peu respectueuse de ses concitoyen.nes les plus démuni.es. À nous d’y voir!

 

Mario Jodoin,
7 septembre 2023, sur l’étude “Une histoire du salaire minimum fédéral – 85 ans plus tard, le salaire minimum est loin d’être équitable”, de Jasmine Payne- Patterson et Adewale A.Mage, EPI, Economic Policy Institute.


Autorisation de Mario Jodoin de publication intégrale de l’article.
A LIRE sur le sujet du salaire minimum aux Etats Unis, de Mario Jodoin, sur son blog, la présentation en français de différentes etudes récentes en anglais.
●”Le respect du  salaire minimum aux USA et au Royaume Uni”, 18 avril 2024, Anna Stanburg, IZA – Institut of Labors Economics, en accès libre.
●”La hausse des salaires des bas salarié.e.s aux USA”, 28 mars 2024, Elise Gould et Katherine de Courcy, EPI – Economic Policy Institute, en accès libre.
●”La hausse du salaire minimum à 20 dollars dans la restauration rapide en Californie”, 09/2024, Michael Reich et Denis Sosinsky, IRLE-Institut for Research on Labor and Employment, en accès libre.

By Mario Jodoin

Mario Jodoin est économiste, fonctionnaire pendant 38 ans, aujourd'hui pensionné d'un Ministère Fédéral canadien, devenu l'agence Service Canada, où pendant 20 ans il a été économiste du marché du travail. Il est membre depuis 15 ans de la commission de l'économie, de la fiscalité et de la lutte contre la pauvreté de Québec-Solidaire, parti de la gauche québécoise, fondé en 2006 et réunissant trois groupes de gauche (Union des Forces Progressistes, Option Citoyenne et Option Nationale), disposant de 12 sièges sur 125 au Parlement du Québec et dénommé "la seconde opposition". Il est chercheur associé à l'IRIS (Institut, progressiste et indépendant, de Recherches et d'Informations SocioEconomiques, Montréal, Canada). Il intervient ou est sollicité dans le débat socio-économique au Québec. Il est proche du mouvement syndical canadien et québécois. Il anime le blogue québécois, économique et social, en langue française, JeanneEmard.