Les travailleurs doivent se libérer

Conférence de Bernard Friot

« La prise de pouvoir des travailleurs sur leur travail et sur leur outil de travail, seule réponse à la montée des périls écologiques et démocratiques. »
Cette conférence propose une lecture originale des représentations du travail, pour nous permettre de réfléchir autrement à un certain nombre de réalités actuelles.

Bernard Friot, sociologue et économiste français, est professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, et membre de Réseau Salariat, une association d’éducation populaire qui réunit des travailleuses et des travailleurs de tous horizons.

Organisée par les Abattoirs de Bomel/Centre culturel de Namur, PAC régionale de Namur et Point Culture Namur, la conférence est suivie d’un débat avec le public.

Réalisation: Victor Seghin

Les 5 premières minutes de la conférences sont en accès libre,
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Retranscription de la conférence “Les travailleurs doivent se libérer” de Bernard Friot

Je voudrais partir d’une anecdote récente, il se trouve que je retape une maison dans la vallée de la Roja, qui est aujourd’hui tristement célèbre puisque c’est un des lieux où en France nous dépensons 100 000 € par jour pour entretenir des gendarmes qui font la chasse aux migrants. Et ils font pas que la chasse aux migrants, c’est une vraie armée d’occupation. Vous avez des checkpoints, alors dans le sens Italie-France, dans le sens France-Italie on s’en fout, mais dans le sens Italie-France, vous ne pouvez pas faire 10 kilomètres sans avoir trois gendarmes qui vous arrêtent et qui ouvrent votre coffre au cas où il y aurait un migrant dedans, on ne sait jamais quand même… Et ça depuis 3 ans hein. Et puis régulièrement les trains sont arrêtés dans cette vallée de la Roja, la SNCF souhaite supprimer la ligne donc ça l’arrange. Les trains sont arrêtés régulièrement dans les gares, et puis montent trois gendarmes qui demandent à tout les passagers leurs papiers. Comme ça. Dès fois qu’il y aurait des migrants… Dans le train. Et alors quand ça m’est arrivé septembre dernier, quand les trois pantors sont arrivés devant moi, je me suis levé, je voulais pas faire un acte privé, parce qu’un acte privé j’étais embarqué hein, je voulais faire un acte public, sachant que ces gendarmes sont très impopulaires, parce qu’une armée d’occupation c’est quand même assez impopulaire. Armée d’occupation, par exemple, la maison qu’on retape, sa porte a failli être enfoncé par trois gendarmes qui sont arrivés un jour qui ont tapé, jusqu’à ce qu’un de mes fils descendent à toute vitesse, il y aurait peut-être des migrants… Et ils ont pas besoin d’autorisation judiciaire. Hop là, ils enfoncent les portes. Une exaspération de la population – pas assez puisqu’on les tolère encore, enfin les gilets jaunes nous en débarrassé pendant trois semaines là, on les a plus vu, on se disait pourvu que ça dure – et donc je me suis levé et j’ai parlé fort. J’ai dit que je voulais pas montrer mes papiers etc. Et eux, sachant qu’ils sont peu populaires ont pas insisté. La réponse de l’un d’eux a été : « on fait notre travail. » Voilà. Quand quelqu’un vous dit « je fais mon travail », ça veut dire, je sais que je fais de la merde, mais je le fais quand même.

Et nous acceptons cette réponse, parce que c’est une réponse, qu’en tout cas dans ma génération, on est prêt à faire aussi si on est interrogé sur la légitimité de ce qu’on fait. Je fais mon travail… Et je voudrais partir d’une réflexion à laquelle je n’avais pas été attentif avant que, lors d’une soutenance de thèse de philo en septembre aussi, ce texte soit mis sous mes yeux dans la thèse, un texte de Marx et Engels dans « L’idéologie allemande » où ils disent ceci : « le capitalisme est un mode de production qui est indifférent à l’utilité sociale de ce qui est produit puisque ce qui est produit est produit pour mettre en valeur du capital quelle que soit son utilité sociale. Et du coup par ricochet, les travailleurs sont aussi indifférents à ce qu’ils produisent. C’est-à-dire qu’un des méfaits principal du capitalisme ça a été que finalement, en tant que travailleurs organisés, je ne dis pas « en tant que travailleurs pris individuellement », on va y venir, mais en tant que travailleurs organisés, les syndicats, les partis des travailleurs n’ont pas eu comme projet de changer le travail. De définir le travail. Il y a eu une acceptation de la définition capitaliste du travail. Il y a eu une acceptation des conditions dans lesquels on travaille. Il y a eu en revanche mobilisation pour conquérir des droits dans le cadre de ce travail qu’on ne maitrise pas.