Les réfugiés palestiniens en Belgique, une politique d’accueil versatile

Le 4 juin 2021, interpellé par une manifestation devant ses bâtiments, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) a annoncé qu’il suspendait temporairement la notification des décisions de refus aux demandeurs d’asile palestiniens. Malgré une situation au Proche-Orient qui ne fait que se dégrader, le CGRA a tendance à changer régulièrement de politique d’accueil restrictive à l’égard de ces derniers, en particulier des Palestiniens de Gaza, sur la base d’une interprétation restrictive de la Convention de Genève et d’analyses plus qu’édulcorées de la situation à Gaza.

Les réfugiés palestiniens bénéficient d’un statut de réfugiés particulier, celui de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Créé en 1949 avant le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), l’UNRWA était destiné à fournir une assistance aux réfugiés palestiniens dans les pays limitrophes.

 

Exclus de la Convention de Genève

Élaborée en 1951, la Convention de Genève relative au statut des réfugiés contient, quant à elle, un article spécifique pour les réfugiés palestiniens relevant de l’UNRWA, l’article 1D. Celui-ci stipule :

Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations Unies autre que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Ce premier paragraphe organise ainsi l’exclusion des réfugiés palestiniens du champ d’application de la Convention de Genève. Il est suivi d’un deuxième paragraphe qui permet leur inclusion « lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque. »

Pour activer le paragraphe 2 de l’article 1D et bénéficier d’un statut de réfugié HCR, le demandeur d’asile palestinien doit donc prouver que la protection ou l’assistance de l’UNRWA a cessé. Or, comme le souligne le centre d’expertise juridique sur la protection internationale Nansen, « l’UNRWA n’offre aux réfugiés palestiniens aucune protection comparable à la protection que l’UNHCR offre aux réfugiés qui relèvent de la définition générale des réfugiés.» L’UNRWA n’offre en effet qu’une assistance aux réfugiés palestiniens, et donc une protection économique et sociale, mais pas de protection juridique. Par ailleurs, les problèmes récurrents et gravissimes de financement rencontrés par l’UNRWA ces dernières années l’empêchent de mener à bien sa mission d’assistance.

En droit belge, l’article 1D est repris dans l’article 55/2 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Le CGRA fait usage de cet article pour adopter massivement des décisions d’exclusion du statut de réfugié et de protection subsidiaire pour les demandeurs d’asile palestiniens, en invoquant l’existence d’une « protection ou d’une assistance » prodiguées par l’UNRWA. Dans ses motivations, le CGRA soutient ainsi que l’UNRWA continue à remplir sa mission dans la bande de Gaza, et ce, en dépit des opérations militaires et du blocus israéliens mais aussi en dépit de la situation financière catastrophique dans laquelle il se trouve. Outre cette interprétation tendancieuse de l’article 1D, le CGRA se base également sur des informations incorrectes ou incomplètes pour refuser le statut de réfugié aux Palestiniens de Gaza.

 

Des analyses édulcorées de la situation à Gaza

En 2012 déjà, soit 5 ans après le début du blocus imposé par Israël au territoire, les Nations Unies affirmaient que la bande de Gaza serait invivable à l’horizon 2020. En 2021, le blocus produit ses effets depuis déjà 14 ans et les conditions socio-économiques sont catastrophiques. En effet, 1,5 million de personnes, soit 75% de la population, y dépendent de l’aide humanitaire. Et depuis 2020, la pandémie de Covid-19 est encore venue empirer la situation.

Malgré un constat incontestable et largement partagé sur la gravité de la situation socio-économique et humanitaire à Gaza, le CGRA a, plusieurs fois ces dernières années, estimé qu’elle ne justifiait plus la reconnaissance du statut de réfugié à tous les demandeurs d’asile qui en étaient originaires. Pour prendre ses décisions, le CGRA se base sur des analyses, les « Country of Origin Information (COI) Focus », réalisées par son centre d’étude, le Cedoca. Ces analyses sont censées s’appuyer sur des informations diverses dont des consultations d’organisations de la société civile mais elles constituent des ressources internes du CGRA et ne sont par conséquent pas publiées. Certaines d’entre elles sont accessibles aux demandeurs d’asile et leurs avocats parce qu’elles sont annexées aux décisions du CGRA, ce qui nous a permis d’en prendre connaissance.

Sur Gaza, il existe plusieurs sujets de COI Focus : la situation sécuritaire et humanitaire, la possibilité de retour à Gaza, ou encore la situation des classes sociales supérieures. A la lecture du COI Focus sur la situation sécuritaire à Gaza de mars 2020, on note que le Cedoca adopte une définition très restrictive du concept de sécurité, ne tenant compte ni de l’insécurité permanente subie par les Palestinien·nes due à l’occupation et au blocus israéliens, ni de celle découlant de conditions humanitaires inhumaines. Selon Nansen, la situation humanitaire à Gaza est tellement catastrophique que les critères retenus pour l’application de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, pour interdire la torture et de traitements inhumains et dégradants, sont remplis. Dans un autre COI Focus (dernier en date septembre 2020), le Cedoca estime que le retour à Gaza est possible moyennant la concomitance – pourtant difficile – de plusieurs circonstances : ouverture du poste frontière de Rafah côté égyptien et côté palestinien, situation sécuritaire dans le Sinaï, tests Covid négatifs à l’arrivée au Caire. Le COI Focus sur les classes sociales supérieures est, quant à lui, destiné à montrer que les dures conditions humanitaires ne sont pas le fait de tous à Gaza, vu l’existence de quelques nantis. Le fait ici de mettre en exergue la situation de ces quelques privilégiés – estimé à plus ou moins un millier – alors que les conditions de vie des 2 millions de Gazaouis se détériorent chaque jour un peu plus est plus que discutable.

Les analyses du Cedoca semblent donc ne fournir qu’une information partielle et partiale de la situation qui prévaut dans la bande de Gaza. Et lorsque les informations qui y figurent sont complètes, le CGRA a de surcroît tendance à n’en retenir que les éléments qui peuvent étayer le rejet de la demande d’asile ou de bénéfice de la protection subsidiaire.

 

Manœuvres scandaleuses du CGRA

Fin 2020, le Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE), habilité à statuer sur les recours introduits contre les décisions du CGRA, a estimé ne pas avoir suffisamment d’informations pour se prononcer et a fini par donner raison à tou·te·s les Palestinien·nes inscrits à l’UNRWA. Des dizaines de Palestinien·nes ont ainsi été reconnu·es comme réfugié·es. Mais les audiences étaient nombreuses. Refusant ll’arrêt du CCE, le CGRA a donc pris l’initiative, à la veille des audiences, de retirer les décisions litigieuses, empêchant ainsi le CCE de statuer valablement dessus. Le recours devenait en effet sans objet, la décision contestée n’existant plus. Ce genre de manœuvre est inédit. Ce refus d’appliquer les arrêts du CCE renforce encore l’impression d’absence d’indépendance politique du CGRA.

Ce comportement abusif est scandaleux et est dénoncé tant par les avocats que par le CCE qui est empêché de jouer son rôle de contrôle juridictionnel. C’est cette volte-face du CGRA qui était dénoncée par les manifestants le 4 juin dernier. La suspension des décisions annoncée à l’issue de la manifestation n’avait donc rien d’une bonne nouvelle, mais relevait d’une manœuvre du CGRA pour éviter ainsi la reconnaissance du statut de réfugié aux Palestiniens.

Espoirs

La reconnaissance du statut de réfugié aux Palestiniens est loin de s’améliorer. Il semble dans un premier temps normal que le CGRA suive la jurisprudence du CCE et reconnaisse le statut de réfugié des Palestinien·nes. Dans un second temps, il est également indispensable que des changements significatifs soient introduits dans les analyses du Cedoca sur Gaza et que l’absence de protection du statut UNRWA soit reconnue à long terme. Si la Belgique n’est pas capable d’imposer une levée du blocus et la fin de l’occupation à Israël, elle se doit au minimum d’accueillir celles et ceux qui les fuient.

Nathalie Janne d’Othée

Paru dans le Bulletin trimestriel de l’Association belgo-palestinienne  – Wallonie-Bruxelles n°88 avril-juin 21

Article original paru le 9 juin 2021 sur Terresainte.net