Cette note a pour objet d’explorer diverses dimensions des inégalités salariales sur base des données de l’ONSS :
1. L’importance des primes (dites parfois extra-salariales) relativement aux salaires de base.
Pour l’ONSS, « Les primes comprennent tous les montants qui ne sont pas directement liés aux prestations fournies (si tel est par contre le cas, alors ils seront inclus dans le salaire ordinaire). Cela concerne les primes de fin d’année, les cadeaux (en nature, en espèces ou sous forme de chèques cadeaux), les avantages liés aux participations, les primes d’ancienneté, les primes liées aux flexi-jobs… ».
2. Le lien entre le temps de travail et le salaire horaire pour les salarié·es.
On s’est concentré ici sur les salariées à temps partiel dans la mesure où elles représentent la grande partie (77% en 2022) des salarié·es à temps partiel.
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3. L’importance – par genre – des périodes assimilées pour le calcul de la pension.
On entend par périodes assimilées des périodes où un·e travailleur·euses (salarié·e ou indépendant·e) ne dispose pas de revenus professionnels mais qui seront néanmoins prises en compte – avec des règles spécifiques – pour le calcul de la pension.
1. LES PRIMES VERSUS LES RÉMUNÉRATIONS ORDINAIRES
Le tableau suivant propose quelques données globales sur l’importance absolue et relative des primes en 2021 (secteur privé). On peut voir que les primes sont – en moyenne et proportionnellement – plus importantes pour les hommes que pour les femmes, pour les employé·es que pour les ouvrier·ères.
Voici les droites de tendance et les coefficients de corrélation pour les ouvrier·ères et pour les employé·es, pour les hommes et pour les femmes. Les droites montrent comment, en tendance, les primes évoluent quand augmente la rémunération ordinaire. Les coefficients de corrélation indiquent l’intensité de la relation entre ces deux évolutions. Les points représentent les différents secteurs économiques. La classification dite NACE2 distingue une soixantaine de secteurs économiques (les points verts).
L’allure générale des droites indique que les primes augmentent en absolu quand la rémunération croît. Mais elles augmentent aussi en termes relatifs. C’est ce qu’illustre le tableau suivant qui montre qu’en tendance, quand on passe d’une rémunération ordinaire de 25.000 à 50.000 €/an, soit deux fois plus, le pourcentage des primes fait plus que doubler. Par exemple, pour les employé·es, le passage d’une rémunération de 25.000 € à 50.000 € fait que les primes en pourcentage de la rémunération passent de 3,4% à 10,7%.
2. SALAIRE MOYEN (EN ÉQUIVALENT TEMPS PLEIN) ET TEMPS DE TRAVAIL1
Le graphique suivant montre qu’au plus un secteur recourt au travail à temps partiel (axe des abscisses), au plus, en tendance, les salariées qui y sont rattachées auront une rémunération en équivalent temps plein faible (axe des ordonnées).
Illustration : le secteur où il y a le moins de travail féminin à temps partiel (le point à gauche – 8,9%), à savoir le secteur Information et communication, propose un salaire annuel moyen de 53.000 €/an en équivalent temps plein ; le secteur où il y a le plus de travail féminin à temps partiel (32,8% – le point à droite), à savoir le secteur HORECA, offre un salaire annuel moyen de 31.000 €/an en équivalent temps plein, soit 22.000 € en moins par an.
NB : Les données de ce graphique sont reproduites en annexe.
On peut parler ici de double peine : dans certains secteurs, les salariées travaillent moins d’heures pour, en moyenne, un salaire horaire moindre.
3. LES PÉRIODES ASSIMILÉES2
Le tableau suivant estime l’importance absolue et relative des périodes assimilées pour le calcul de la pension pour l’année 2019 (année choisie parce que les crises ont évidemment gonflé les périodes assimilées mais de manière transitoire).
NB : Ces données
- doivent être considérés de manière très prudente dans la mesure où il s’agit d’estimations nécessitant parfois des hypothèses “héroïques” ;
- concernent les travailleur·ses statutaires affilié·es à l’ONSS à l’exception des fonctionnaires (“statutaires”) ;
- une des originalités de ces estimations est d’être calibrées en périodes équivalent temps plein.
On voit (tableau suivant) que la part des périodes assimilées est plus importante pour les femmes que pour les hommes3.
Comme, en plus, la hauteur moyenne des rémunérations et des allocations sociales est moins élevée pour les femmes (voir tableau suivant), on visualise mieux ce qui, concrètement, alimente la dynamique des inégalités en matière de pensions entre les hommes et les femmes.
TROIS CONCLUSIONS MAJEURES
- Les primes salariales augmentent avec les rémunérations ordinaires. Donc, plus un revenu en équivalent temps plein est important, plus, en tendance, les primes – qui s’ajoutent à la rémunération ordinaire – seront conséquentes. D’une manière générale, et c’est la raison pour laquelle on s’est attaché à étudier leur répartition en fonction de la hauteur du salaire, ces primes contribuent moins aux recettes publiques ; cela veut dire que, proportionnellement, les salaires élevés parviennent à contribuer moins.4
- Plus un secteur recourt au travail à temps partiel, au plus, en tendance, les salariées qui y sont rattachées auront une rémunération en équivalent temps-plein (ETP) faible. On peut parler ici de double peine : les salariées travaillant moins d’heures ont un salaire horaire moindre.
- Les femmes salariées ont, on le sait, des rémunérations et donc des prestations sociales en moyenne moins élevées que celles des hommes salariés ; elles ont aussi, en moyenne, proportionnellement plus de périodes assimilées pour le calcul de leur (future) pension. Il y a donc ici aussi une double peine quant au montant de la (future) pension.
Peut-on corriger ces inégalités ? Oui, bien sûr, mais les solutions ne sont pas évidentes, tant les inégalités salariales sont profondément inscrites dans des évolutions de long terme et des écarts intersectoriels structurels (entre secteurs prospères et d’autres qui le sont moins, entre les ouvrier·ères et les employé·es, entre les femmes et les hommes, entre le secteur privé et le secteur public, entre fonctions, etc.).
Fondamentalement, on n’a plus de débats aujourd’hui, et donc moins encore de pistes de solutions, pour redistribuer mieux les retombées des gains de productivité importants obtenus dans certains secteurs (plus) performants. Rendre la liberté de négociation dans ces secteurs comme le souhaite le front syndical est certes le bienvenu pour les salarié·es concerné.e.s mais, sans corrections, ne fera qu’augmenter encore les inégalités salariales. Ceci dit, on peut à tout le moins faire rentrer toutes ces primes dans le salaire mensuel, pour garantir une plus juste contribution (via les cotisations sociales et l’IPP) aux politiques publiques.
Philippe Defeyt
(Pour Le Collectif InES)
RÉFÉRENCES
1 Voir le tableau en annexe qui rappelle quelques grandeurs relatives au travail à temps partiel des salarié·es.
2 Les détails méthodologiques peuvent être obtenus auprès de Philippe Defeyt (philippe.defeyt@skynet.be)
3 Ces données sont confortées par des travaux récents de Conseil Central de l’Economie. Voir : Éléments factuels sur le système de pensions belge
4 Pour partie, cela ne sera peut-être plus le cas longtemps, dans la mesure où, dans sa note au Kern du 16 juin 2023, le Ministre des finances propose ceci : « La pratique plaide depuis longtemps pour un traitement harmonisé des avantages de toute nature pour l’application de l’impôt des personnes physiques et de l’ONSS. Il est donc proposé d’harmoniser les avantages forfaitaires de toute nature, à l’exception de ceux relatifs aux véhicules de société (…) » Mais, en tout état de cause, il restera des primes qui seront globalement moins contributrices aux finances publiques et engendreront donc des inégalités.