Les gilets jaunes rendent visibles les tensions de la représentation démocratique

Le mouvement des gilets jaunes donne une visibilité forte à une tension qui traverse nos sociétés démocratiques aujourd’hui. Ses modes d’actions témoignent du manque de légitimité accordée par certains citoyens aux processus électoraux. La revendication en faveur du Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) exprime pour sa part des attentes démocratiques fortes. Alors, pro- ou anti-démocratiques les gilets jaunes ?

 Ce qui rassemble les gilets jaunes malgré leurs comportements électoraux éclectiques, c’est « le sentiment que le gouvernement ne respecte plus la souveraineté populaire, qu’il est en rupture avec les intérêts du peuple » affirme Yann Le Lann, qui a coordonné l’enquête du collectif Quantité critique[1].

D’un côté, le mouvement incarne donc bruyamment ce sentiment ce qui se manifeste silencieusement dans les chiffres de l’abstention : 57% en France lors des élections européennes de 2014, 87% en Slovaquie et 10% en Belgique où le vote est obligatoire. Les votes blancs et nuls s’y élevaient néanmoins à plus de 10% à l’occasion des élections communales d’octobre 2018, mais seulement 2% à Lasne, la commune la plus riche de Wallonie. La lassitude et la passivité électorales ne semblent pas équitablement réparties.

De l’autre côté, par ses revendications, le mouvement des gilets jaune illustre aussi la diffusion des principes contenus dans la Déclaration universelle des droits humains. Dans l’espace public, nous pouvons tous nous attendre, individuellement et collectivement, à être traités comme des êtres « libres et égaux en dignité et en droits ». Nous nous représentons donc comme des êtres capables de déterminer les règles à suivre. Nous nous sommes constitué un système d’attentes démocratiques qui pèse sur nos interactions avec autrui. Et celui-ci se diffuse aujourd’hui jusque dans des institutions qui ne sont pas démocratiques, au premier rang desquelles se place évidemment l’entreprise capitaliste[2].

Comment expliquer ces tensions au sein d’un mouvement qui semble à la fois enclin à la résignation et à l’enthousiasme démocratique ?

Capitalisme et démocratie

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Julien Charles


[1] https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/24/le-mouvement-des-gilets-jaunes-est-avant-tout-une-demande-de-revalorisation-du-travail_5401713_3224.html .
[2] Isabelle Ferreras, Critique politique du travail. Travailler à l’heure de la société des services, Paris: Les Presses de Science Po, 2007; Julien Charles, La participation en actes. Entreprise, ville, association, Paris: Desclée de Brouwer, 2016; Julien Charles et Isabelle Ferreras, « La citoyenneté au travail. Enjeu pour les organisations et la sociologie », in Travail et care comme expériences politiques, éd. par Matthieu De Nanteuil et Laura Merla, Louvain-la-Neuve: Presses Universitaires de Louvain, 2017, 165‑78.
[3] J. Charles, La participation en actes.
[4] Mathieu Berger et Julien Charles, « Persona non grata. Au seuil de la participation », Participations 9, no 2 (2014): 5‑36.
[5] Julien Charles, Récupération populiste du populaire, Nivelles, CESEP, 2017.
[6] Thomas Coutrot, Travail et bien-être psychologique. L’apport de l’enquête Conditions de travail – Risques psychosociaux de 2016, Document d’Études n°217 (Paris: DARES, 2018).
[7] Loïc Blondiaux et Yves Sintomer, « L’impératif délibératif », Politix 15, no 57 (2002): 17–35.
[8] Mathieu Berger, « Répondre en citoyen ordinaire. Enquête sur les “engagements profanes” dans un dispositif d’urbanisme participatif à Bruxelles » (Thèse pour le doctorat de sociologie, Université Libre de Bruxelles, 2009).
[9] Berger et Charles, « Persona non grata. Au seuil de la participation ».
[10] https://observdebats.hypotheses.org/
[11] Jean-Baptiste Devaux et al., « La banlieue jaune. Enquête sur les recompositions d’un mouvement », La Vie des idées, 30 avril 2019, https://laviedesidees.fr/La-banlieue-jaune.html.
[12] Benoît Coquard, Qui sont les gilets jaunes et que veulent-ils?, Contretemps. Revue de critique communiste, 23 novembre 2018, https://www.contretemps.eu/sociologie-gilets-jaunes/.
[13] Raphaël Challier, « Rencontres aux ronds-points. La mobilisation des gilets jaunes dans un bourg rural de Lorraine », La Vie des idées, 19 février 2019, https://laviedesidees.fr/Rencontres-aux-ronds-points.html.
[14] Art. 3, Loi du 3 juillet 1978 sur le contrat de travail.
[15] Alain Deneault, De quoi Total est-elle la somme? Multinationales et perversion du droit, Montréal, Ecosociété, 2017.
[16] Julien Charles, Paul Hermant, et Myriam Van der Brempt, Éprouver l’égalité. Pratiques et enjeux démocratiques de l’insertion socioprofessionnelle au CESEP, Nivelles: CESEP, 2018.