Le réseau des acteurs de la transition prend de la vitesse. Avec le Festival Maintenant !, la semaine Transition Now, Youth for Climate et bien d’autres rassemblements, la dynamo durable d’une société en volonté de partage et d’authenticité se met enfin à tourner.
Sous la voûte charpentée de l’Arsenal à Namur, autour d’une douzaine de tables, près de 50 jeunes et moins jeunes discutent, s’exclament, rient et notent leurs propos sur de grandes feuilles blanches. Peu avant cette assemblée, une enquête en ligne avait été lancée par Transition Now sous la question : « Que faut-il mettre en place pour accélérer la transition écologique et solidaire ? ». Alors, ce 25 mars, dans les locaux de l’Université de Namur, l’inspiration ne manque pas pour développer les thèmes proposés par les transitionneurs : revitaliser la démocratie, garder le climat sous la barre de 1,5°C, renforcer la cohésion sociale, préserver le vivant, partager les richesses, remettre de cohérence dans le quotidien mais aussi garantir l’accès aux soins de santé et au bien-être, améliorer l’accessibilité aux services et à la mobilité, développer des systèmes alimentaires durables, réorienter l’éducation, impliquer les acteurs associatifs, de l’éducation et de la recherche. Ouf ! Fameux programme que cette agora où se sont croisés les réflexions, les expériences et les projets de nouvelle économie.
La loco est en route
Tout a commencé avec Maintenant !, le Festival des Initiatives citoyennes de Transition pour créer le monde de demain qui s’est tenu à Ottignies/Louvain-La-Neuve en septembre 2018. Lancé par des citoyens et une quinzaine de partenaires, ce grand moment festif dura 5 jours avec au programme films, musiques, spectacles, ateliers et agoras autour de 5 thèmes liés à la transition écologique, économique et sociétale. « Le Mouvement des villes en transition, avancent les organisateurs lors du lancement de ce festival au parfum particulier, est déjà actif dans plus de 150 localités belges où des citoyens veulent construire d’autres modèles économiques, plus locaux, éthiques, respectueux de l’humain et de l’environnement. »
Revenons maintenant aux nombreuses rencontres de l’action Transition Now qui, du 13 au 25 mars 2019, a été lancé par des associations environnementales, des collectifs citoyens, des ONG Nord-Sud, opérant dans des champs divers de la transition, fédérations ou réseaux regroupant un grand nombre de membres. Animées par la conviction qu’il faut agir avant qu’il ne soit trop tard, ces journées ont proposé quelques 25 activités où se sont rencontrés les transitionneurs. Dans les colonnes de Pour.press du 15 avril, Alain Adriaens fait une mise au point intitulée « La trahison de la transition » : « Ayant assisté à la Rencontre Entrepreneur∙euse∙s et futurs entrepreneur∙euse∙s de la transition, je peux attester que la soixantaine de personnes présentes préparent avec le plus grand sérieux la mise en œuvre d’entreprises ayant des structures juridiques et des modèles économiques à même de garantir la stabilité de projets pour lesquels le profit des actionnaires n’est pas envisageable mais bien le respect des coopérateurs et l’intérêt de la société dans laquelle ils entendent s’insérer. Pas étonnant que l’on observe la présence d’acteurs plus anciens de l’économie sociale comme SAW-B. Ces rencontres laissent des traces et, grâce à Internet, les réseaux et échanges de bonnes pratiques se mettent en place. »
Pauline, 24 ans, figure montante de la génération climat
Pour comprendre le monde, Pauline Steisel a étudié l’économie pendant 5 ans. Démarche avant tout intellectuelle, mais elle a compris que « ça ne tournait pas rond. On parlait d’un être humain rationnel, qui pensait de manière utilitariste, évoquaient des externalités à régler en un jour mais non des ressources limitées de la planète ! Or je lisais de plus en plus d’articles sur l’économie sociale et solidaire. »
Parallèlement passionnée par l’éducation primaire et nourrissant l’envie de fonder une école alternative, la jeune étudiante s’intéresse à l’économie collaborative et la pédagogie, notamment selon les principes avancés par Alexander Neill à l’école de Summerhill. Ayant acquis une bourse d’études, Pauline se rend au Brésil pour y faire un master. Université très académique, mais sa promotrice a l’esprit ouvert et parle volontiers de monnaie complémentaire et de villes en transition. Sao Paulo en est une mais à l’Université on n’y croit pas trop. Pauline connait le portugais et s’enrichit de rencontres et de voyages dans le pays. À son retour, elle cherche un emploi. « Mon instinct me disait qu’il fallait que j’approfondisse encore mes connaissances, et j’ai découvert le Schumacher College au Royaume-Uni, à Totnes pour y étudier l’écologie profonde. J’y ai suivi un second master en un an. On nous enseignait à accompagner les communautés dans la transition écologique avec les outils adéquats. Ce fut une année extraordinaire. Je voyais du positif, des solutions et un nouveau monde émerger. Revenue en Belgique en août, j’ai respecté l’adage “Quand tu sors de Schumacher College, tu fais ce que tu as envie de faire et tu crées ton emploi”. Avec deux amis on a lancé une coopérative, in.Seed. »
Objectif Terre en interdisciplinarité
In.Seed crée et accompagne des nouveaux lieux d’émergence pour des projets privés et diverses organisations et institutions. Avec Juan Thibaut, architecte diplômé d’un master en architecture et développement durable à la KULeuven et Arthur Michelet, bio-ingénieur, voyageur et entrepreneur, Pauline Steisel qui se présente ecological design thinker, rassembleuse et à l’écoute… l’équipe ne manque pas d’atouts. Elle vise « une approche systémique et holistique pour un problème donné, intégrant des notions d’ingénierie, de sociologie, de psychologie de l’habitat, d’urbanisme, d’écologie et d’art ».
Non seulement le trio – chacun avec le statut d’indépendant – conseille mais nourrit plusieurs projets, à commencer par créer Le germoir des Fontaines, une maison de la transition à Wavre et aussi L’Arbre qui pousse qui est un incubateur de la transition pour accompagner des projets. Ensemble, ils et elles relèvent le défi de rassembler différentes possibilités de la transition actuelle. A l’image d’un arbre au milieu d’une forêt grouillante d’initiatives et de potentiel comme le centre de méditation bouddhiste, des initiatives de fermes ou d’habitats groupés. « En fait, explique Pauline Steisel, nous avons trouvé facilement de la clientèle. On est arrivé au bon moment. Il y a eu le Festival Maintenant ! [cité plus haut] où nous avons été organisateurs, et aussi toute une série de personnes qui ne savaient par où commencer pour se lancer. Notamment des jeunes qui ont un rôle de visionnaire de la transition et incarnent un important changement de génération. »
Ouvert et pragmatique, le Réseau Transition
Pauline Steisel travaille pour le moment avec cette asbl reconnue par les pouvoirs publics où elle a rejoint une équipe de 5 salariés et deux stagiaires, elle-même étant en statut indépendant. Elle a commencé ce travail comme coordinatrice de la semaine Transition Now où elle a organisé le forum ouvert aux jeunes entre 10 et 25 ans. « Le plus frappant, dit-elle, c’est qu’ils sont super conscients du fait que tout le monde sait que ça ne va pas et que rien ne bouge. Pourquoi on n’apprend pas à l’école le développement personnel ou l’apiculture, demandent-ils ? Beaucoup se sentent seul, personne ne veut changer avec eux. »
Le travail actuel de Pauline est d’engranger la récole de toutes les découvertes de la semaine Transisition now pour présenter le bilan et un manifeste avec 11 mesures phares en rapport à l’enquête (150 réponses) et suite à l’Agora du 25 mars. Quand le bilan de chaque événement sera fait, il est prévu d’écrire l’histoire de la transition en Belgique. Ensuite ?
« Ensuite, dit la jeune transitionnaire, j’ai décidé de me focaliser sur la transition intérieure, dans le sens où j’ai envie, moi, de vivre le changement. Je suis plus heureuse dans une vie simple et proche de la nature, en lien avec amis et famille. Je n’essaie pas de convaincre qui que ce soit. Seulement rayonner et cela fera parler en positif ou négatif. Le changement doit venir du cœur. Et s’il y a des moments de découragement, la méditation, le yoga, passer du temps avec ma famille et mes amis sans toujours parler de transition, cela me fait du bien. Oui, une vie privée est possible. Je ne me sens pas militante, mon engagement se trouve dans ma manière de vivre et de faire des choix. J’apprends à dire non et, même si cela m’intéresse, ne pas vouloir être tout le temps partout. Choisir mes combats, être confortable avec ça et pas sur tous les fronts. Je ne manifeste pas, même si je trouve cela utile. J’ai une vision d’un autre monde et je n’ai pas envie de retomber dans le monde que j’essaie de changer et d’utiliser les mêmes processus. » Et elle conclut : « Transition Now c’est la convergence de tous les acteurs de la transition qui ne se parlaient pas. En politique, en entreprise, comme citoyen, chacun a sa vision et maintenant, ils deviennent non concurrents et avancent ensemble malgré leurs différences. Voyez Youth for Climate, ce mouvement mondial de jeunes pour que les pays se mobilisent face au réchauffement climatique. Tous, nous regardons vers le politique et on leur dit : “Nous on fait plein de choses, il s’agit que vous agissiez aussi” ».
Pauline Steise et Godelieve Ugeux