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Pourquoi cette détérioration depuis 2012 ?
La reconnaissance unanime de ces droits a commencé à évoluer en 2012, lorsque le syndicaliste britannique Guy Ryder a été nommé directeur général de l’OIT. Ce dernier s’est engagé à réformer cet organisme des Nations unies afin de lui conférer une plus grande autorité pratique dans la protection internationale des droits des travailleurs dans le monde entier.
Le fonctionnement de l’OIT repose sur un système tripartite, articulé autour d’un dialogue social constant entre les représentants des 187 États membres et, au travers d’associations internationales, le patronat (les entreprises) et les syndicats (les travailleurs) du monde entier. En juin de chaque année, l’organisation organise la Conférence internationale du travail et, depuis la session de 2012, le patronat conteste l’idée que la Convention 87 de l’OIT garantit implicitement le droit de grève, ce qui était pourtant le cas depuis 64 ans.
L’organisation fait donc l’objet d’un boycott de la part des employeurs, car le principal mécanisme permettant de veiller au respect des principes normatifs de l’OIT, à savoir la Commission de l’application des normes (CAN), est paralysé : chaque fois que des travailleurs signalent des violations concrètes du droit de grève dans un pays (c.-à-d. une violation implicite de la Convention 87), le patronat nie le principe même (que ce droit est reconnu par l’OIT), et toutes les procédures de plainte sont suspendues. La situation en est arrivée à un point tel que cela fait 13 ans que l’OIT n’est même plus en mesure d’élaborer ses rapports annuels sur la situation mondiale des droits des travailleurs. La Confédération syndicale internationale (CSI) propose le sien depuis 2014, mais sans la reconnaissance tripartite implicite dont bénéficiaient ceux de l’OIT.
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Comment l’offensive contre le droit de grève se fait-elle sentir ?
Quinze ans d’attaques préméditées ont fini par détériorer le droit de grève partout dans le monde. Selon les données de l’Indice CSI des droits dans le monde de 2025, le droit de grève a été mis à mal dans 131 pays (soit 87 % des 151 pays étudiés dans le rapport), soit 44 pays de plus qu’en 2014, année où l’indice avait étudié 119 nations. Par ailleurs, le droit des travailleurs à négocier collectivement leurs conditions de travail a été gravement restreint ou est inexistant dans 121 pays (soit 80 %, c’est-à-dire 34 pays de plus qu’en 2014).
La tendance qui se dessine est claire : examiné par région, en 2025, le droit de grève a été violé dans 95 % des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, 93 % des pays d’Afrique, 91 % des pays d’Asie-Pacifique, 88 % des pays d’Amérique et 73 % des pays d’Europe, région où (même si elle est celle où ce droit est le plus ancré en principe) on observe une tendance croissante à l’obstruction juridique et à la criminalisation des grèves de la part des gouvernements de droite, ainsi qu’à la stigmatisation sociale des grévistes eux-mêmes.
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Quels sont les moyens utilisés par les États pour restreindre politiquement ce droit ?
L’Europe, qui, au cours de la dernière décennie, a connu la plus forte détérioration des droits du travail de toutes les régions du monde, tente de plus en plus de limiter juridiquement la portée et les conditions dans lesquelles il est permis de déclencher une grève.
Ces revirements politiques, d’influence néolibérale, visent à établir une définition excessivement large de ce qui est considéré dans chaque pays comme des « services essentiels », de manière à neutraliser, dans la pratique, le recours à la grève dans un nombre croissant de secteurs du travail. L’OIT stipule que les « services essentiels » sont uniquement « les services dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne ». Pourtant, un nombre croissant de parlements légifèrent pour étendre cette définition à des secteurs tels que les transports, l’éducation et la santé, tout en élargissant la proportion de services minimums à assurer à un point tel que la capacité de perturbation sociale qui sous-tend la force de la grève en tant que moyen de pression est pratiquement éliminée.
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De quelle manière cela affecte-t-il concrètement le droit de grève ?
« Ce qui fait le succès éventuel d’une grève, c’est sa capacité à perturber le système économique », explique à Equal Times l’historien français Stéphane Sirot, spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales. « Donc, si vous adoptez une législation dont l’objectif est de faire en sorte qu’une grève perturbe le moins possible, c’est un peu comme si vous lui déniez son droit d’existence, au fond, parce que la lettre juridique permet la grève, mais elle a tendance à la tuer dans son esprit », continue-t-il.
Cette situation s’aggrave encore davantage en raison des règles qui donnent le ton de cette offensive conservatrice contre les droits des travailleurs, à l’instar de la Loi sur les grèves (niveaux de service minimum) adoptée au Royaume-Uni en 2023 et sur le point d’être abrogée aujourd’hui. Elle permet d’obliger les travailleurs de certains secteurs stratégiques à ignorer une grève, même s’ils en sont les initiateurs, sous peine de licenciement. Elle permet également de réprimer les protestations et les manifestations syndicales et de remplacer les grévistes par d’autres employés temporaires.
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Comment défendre ces droits face à l’offensive néolibérale ?
Politiquement, la réponse tient à la capacité des classes travailleuses à prendre conscience de la situation et à voter pour des partis qui défendent leurs droits en tant que travailleurs. Socialement, en n’oubliant pas que l’union fait la force : si les travailleurs n’unissent pas leurs forces et ne se soutiennent pas mutuellement dans un esprit de solidarité, il leur sera impossible de se défendre contre les abus.
D’un point de vue juridique, malgré l’opposition du patronat international, au sein de l’OIT, les représentants des travailleurs et d’une grande partie des 187 États membres (y compris ceux de l’UE et des États-Unis, avant Trump) ont voté pour porter l’affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, sous la forme d’une demande d’avis consultatif, afin qu’elle se prononce (et fasse ainsi jurisprudence) sur la question de savoir si les droits de grève et de négociation collective sont protégés ou non par les conventions de l’OIT. La procédure est en cours.
Un avis négatif aurait pour conséquence de renforcer la volonté du patronat de négocier un protocole spécifique sur la grève (inexistant jusqu’à présent) qui limiterait la protection internationale de ce droit, telle qu’elle était implicitement reconnue par toutes les parties jusqu’en 2012. En cas de réponse positive de la CIJ, le patronat serait à court d’arguments pour continuer à boycotter l’OIT de l’intérieur, même si, sur le plan politique, l’opposition néolibérale continuera son bras de fer avec les droits des travailleurs acquis dans tous les pays.
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