Chronique brésilienne - partie 3
Après avoir analysé le contexte politique et médiatique brésilien qui a permis l’élection de Bolsonaro à la présidence, et après avoir dévoilé les clés de voûte de sa stratégie électorale (les évangélistes et WhatsApp), nous tenterons dans cette 3ème chronique de décrire les conséquences prévisibles de son élection sur la société brésilienne et sur le reste du monde.
A vrai dire, et même si Bolsonaro n’entrera en fonction qu’au 1er janvier prochain, les effets de son élection sur la vie des brésiliens se font déjà sentir ; elles ont immédiatement entraîné un clivage de la société en deux groupes qui s’affrontent, ainsi qu’un profond malaise chez tous ceux qui ont tenté de s’opposer à son élection. Dans les États du Sud et du Sud-Est du Brésil, qui sont les plus prospères, Bolsonaro a récolté 70% des voix. Il est dès lors difficile pour les démocrates de ces régions de se dire que, dans leur vie quotidienne, ils côtoient des gens dont deux tiers n’ont pas hésité à voter pour quelqu’un qui prône le retour à la dictature.
Mais, outre ce malaise, les conséquences sur la vie sociale se sont manifestées dès le lendemain de l’élection. A Porto Alegre, des étudiants de plusieurs écoles secondaires avaient convenu que, si Bolsonaro était élu ce fameux dimanche 28 octobre, ils amèneraient le lendemain à l’école un T-shirt noir arboré du slogan “Pour la défense de la démocratie“. Lors de la récréation, ils ont passé ce T-shirt au-dessus de leur uniforme pour le brandir tous ensemble dans la cour. La réaction fut fulgurante. Apprenant la nouvelle, de nombreux parents sont venus interpeller les directeurs d’école et ont réclamé la punition des étudiants et la démission des professeurs qui avaient toléré cette action, et qui ne pouvaient qu’être à l’origine de celle-ci. Plus grave, ils ont exigé qu’on bannisse des bibliothèques scolaires tous les livres qui “font de la politique“.
Escola sem Partido
Il faut savoir que depuis 2015 une série de propositions de loi ont été déposées au parlement brésilien visant à supprimer toute discussion politique dans les écoles et d’interdire toute formation à la sexualité. Ces propositions sont soutenues par un mouvement appelé “Escola sem Partido” (École sans parti) qui s’oppose à ce qu’il appelle un “endoctrinement idéologique” des élèves par leurs enseignants et qui veut donner des armes aux élèves pour se défendre contre leurs professeurs. Ce mouvement est porté par les évangélistes et soutenu par Bolsonaro et son prochain ministre de l’éducation nationale. La porte-parole du mouvement, une institutrice élue députée fédérale par le parti de Bolsonaro, a commencé une campagne pour que les élèves enregistrent des vidéos de leurs cours et dénoncent les enseignants doctrinaires.
Le conseil brésilien des Droits de l’Homme et le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme ont déclaré que ces propositions de loi constituaient une menace pour les droits de l’homme au Brésil, et le Procureur Général de la République les a déclarés anticonstitutionnels. Ils ont donc été abandonnés, mais le mouvement “Escola sem Partido” a repris vigueur depuis l’élection de Bolsonaro et de nouvelles propositions de lois sont en discussion au parlement. L’idée d’une école apolitique passe mal auprès de la génération qui était à l’école sous la dictature. Ils rappellent que chaque matin, en arrivant à l’école, il fallait assister au lever du drapeau et chanter des chansons à la gloire des militaires au pouvoir.
Pendant deux décennies, le Brésil n’a effectué aucun travail de mémoire sur la dictature, avant que les manuels scolaires ne soient révisés pour enfin en parler. Le résultat est qu’aujourd’hui toute une génération de Brésiliens ne connaît rien de la dictature militaire et que ce sont souvent leurs enfants qui doivent leur en parler. Mais ces manuels risquent de se trouver rapidement bannis des écoles.
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Michel Gevers,
correspondant de POUR au Brésil