L’ascension de La France insoumise

La France, comme beaucoup d’autres pays européens, a connu un déclin historique des anciens partis ouvriers. Cependant, l’essor de La France insoumise a permis le renouveau d’une gauche dynamique ancrée dans la mobilisation populaire.

Les nombreuses crises qui affligent la présidence d’Emmanuel Macron témoignent d’une profonde agitation au sein des institutions françaises. Selon de nombreux observateurs, le principal bénéficiaire de cette situation serait le Rassemblement national, le parti d’extrême droite de Marine Le Pen, qui recueille aujourd’hui un fort soutien dans les sondages. Pourtant, la gauche française a démontré à maintes reprises qu’elle ne pouvait être écartée. L’été dernier encore, l’alliance du Nouveau Front populaire (NFP) a déjoué les pronostics en arrivant en tête des élections législatives.

La force radicale de gauche France Insoumise a joué un rôle décisif dans ce succès et dans le radicalisme du programme du NFP. Son candidat à la présidence, Jean-Luc Mélenchon, a été de loin le candidat de gauche le plus populaire lors des deux derniers cycles électoraux, et le mouvement a établi une présence beaucoup plus durable dans les mouvements de protestation et les institutions que les autres forces radicales de gauche européennes.

Dans une interview, Clémence Guetté, députée de La France insoumise, et Antoine Salles-Papou, de l’Institut La Boétie, ont expliqué la stratégie du mouvement, son ancrage dans la mobilisation populaire et la possibilité d’une refonte des institutions de la Ve République. Cette interview a été initialement publiée en italien, dans Teiko.

 

Teiko – Commençons par remonter dans le temps et replacer l’évolution de votre mouvement dans son contexte historique. Quelle était la situation sociale et politique qui a donné naissance à La France Insoumise ? Quelles ont été les forces clés qui ont contribué à la création du mouvement, et comment ont-elles influencé sa structure et son idéologie ?

Clémence Guetté – La France Insoumise a été créée en février 2016 pour promouvoir la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidence. Sa forme exacte n’était pas encore définie à ce moment-là. Le contexte français, européen et mondial nous aide à comprendre, après coup, pourquoi cette initiative a réussi : elle est née à la croisée de multiples cycles de luttes sociales et politiques ; elle est apparue comme un moyen de sortir de l’impasse de l’époque, de faire avancer la cause de la rupture.

Quels étaient ces cycles ? Tout d’abord, il y a eu une longue succession de mouvements sociaux français contre les réformes néolibérales. On peut simplifier en commençant par les grèves massives contre le plan d’Alain Juppé [visant à réduire les prestations sociales] à l’hiver 1995. Le gouvernement « pluraliste de gauche » composé de socialistes, de communistes et de verts [de 1998 à 2002] — même s’il a abouti à certaines privatisations et autres réformes néolibérales — n’en a pas moins été remarquable dans le contexte de la social-démocratie européenne. Tout d’abord, il s’agissait d’une alliance du Parti socialiste tourné vers la gauche, et non vers le centre. Ensuite, le mouvement ouvrier a obtenu une réduction du temps de travail, une avancée unique en Europe à l’époque.

Dans les années 2000, plusieurs mobilisations impressionnantes contre les réformes néolibérales ont eu lieu, avec des grèves, des occupations d’universités et des manifestations de rue massives. En 2003, une grande grève a eu lieu dans l’éducation nationale contre la réforme des retraites de François Fillon. En 2006, le projet de loi sur le « contrat première embauche » a été contesté, puis finalement retiré par Dominique de Villepin. En 2010, la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy a été combattue par 3,5 millions de travailleurs et d’étudiants au plus fort de la lutte, selon les estimations des syndicats. Et nous n’avons même pas mentionné les plus grandes mobilisations contre l’autonomie financière des universités et les réformes de l’éducation nationale, etc. Même si bon nombre de ces mouvements sociaux ont été vaincus, les victoires ont été assez fréquentes : en 1995, 2006 et 2008, par exemple.


By Jacobin

Jacobin, magazine trimestriel nord-américain de gauche radicale, basé à New York, dispose également d'éditions européennes.