«J’ai envie de faire plus que ma part individuelle»

Elle est de ces personnes qui ne se mettent pas en avant, mais dont le sourire, paré d’un vif trait de rouge à lèvres, donne envie de mieux la connaître. «Non, je n’ai rien à raconter», a-t-elle répondu lorsque je lui ai demandé de l’interviewer pour le site de «pour écrire la liberté». Mais je savais qu’Anne De Muelenaere, avec qui je «réunionne» depuis près de deux ans, a quelque chose dans le cœur et dans les tripes. Et j’avais envie de savoir quoi.

A peine sortie de ses études en économie, la jeune Anne prend le chemin des contrats subsidiés dans des associations sans but lucratif comme Justice et paix et le Grip (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité). Ensuite, elle est engagée comme chercheuse au CETRI. Son compagnon, François, objecteur de conscience à l’Université de paix, occupe lui aussi un emploi précaire. Ce qui revient à dire que leurs salaires dépendent des pouvoirs publics et des subsides étroitement attachés à des projets ponctuels.

Au premier bébé

Dame nature, comme on sait, a laissé aux femmes l’honneur de porter les enfants. Quand Coline s’annonce chez Anne et François, la question se pose de pérenniser leurs emplois. Anne décide de passer des examens pour entrer à l’État. Dans le choix proposé figure la Poste qui avait l’énorme avantage de lui permettre de travailler près de chez elle. Et même, cela était assez varié. «J’y ai exercé plusieurs métiers différents avec des responsabilités». En chemin, deux autres enfants rejoignent Coline. Hola! Anne sent qu’il est temps de prendre une pause carrière.

Quelques mois passent. Juste avant de reprendre le boulot, la jeune mère de famille repère un poste aux Facultés de Namur pour un mi-temps dans un projet européen de mise à l’emploi de personnes fragilisées. Cette mission l’intéresse. Et elle ne sera pas déçue. Ce travail lui permettra de voyager tout en expérimentant le fonctionnement des projets européens. Durée: six ans. Ensuite retour à la Poste en 2008. Elle y travaille actuellement à 4/5ème temps.

Trois minutes de télévision

Canal C, dans une courte interview, Robert Polet [1] impressionne Anne qui saisit au vol ses propos. Il expose comment la situation socio-économique lui fait penser aux années d’avant-guerre. Il ne veut pas que ça recommence pour ses enfants et petits-enfants. Anne se sent rejointe dans son indignation personnelle face aux situations d’injustice chez nous et ailleurs. «J’avançais vers plus de maturité et il me manquait quelque chose. On ne peut se contenter de jouir de la vie simplement. Durant mes études, j’avais participé au Mouvement des Jeunes pour la Paix. On menait des actions de protestation contre l’Apartheid en Afrique du Sud ou le surarmement chez nous. Ces actions étaient relayées par les médias et apportaient une bonne sensibilisation à ces problématiques. Mais maintenant ce n’est plus pareil, les journaux ne suivent plus!»

Elle dit vrai. La presse et la radio n’ont commencé à parler sérieusement du TTIP que suite à la manifestation d’octobre 2015 qui visait à bloquer les négociations du TTIP et le processus de ratification du CETA. Il a fallu l’arrestation de 105 personnes, dont 30 activistes espagnols, pour que le problème soit enfin exposé au grand jour!

Le collectif “Flashmob stop TTIP” en action au Parlement européen le 13 octobre 2016

Anne, entrée au Collectif Roosevelt de Namur, participe aux réunions, s’informe, milite.
«Ce qui compte pour moi, c’est d’avoir des résultats concrets dans mes engagements. Certaines personnes s’engagent car elles sont insatisfaites d’une situation ou parce que ça ne va pas au niveau social, parce que les riches sont plus riches et que les politiciens ne tiennent pas parole. Mais au fond, qu’est ce qui pousse les gens à sortir de chez eux?»

Je crois qu’on se dit: «j’ai envie de faire plus que ma part individuelle». Oui, on fait des petites choses pour l’environnement. Par exemple: aller à pied, trier ses déchets, prendre les transports en commun, utiliser l’énergie solaire… Néanmoins, qu’est-ce que je peux faire de plus encore? On est tous reliés aux autres. J’ai une responsabilité par rapport à ce qui se passe autour de moi. Même aller au magasin, c’est se rendre compte que quelqu’un a travaillé pour que je puisse manger ou m’habiller. Personne n’est tout seul. On ne peut profiter de la vie sans s’inquiéter des autres. Si je ne fais rien, c’est pour moi une sorte de lâcheté, mais ce n’est pas réductible à un problème de bonne conscience, c’est une question de rééquilibrage!»

Avec des gens généreux et intelligents

«C’est devenu impératif de m’engager. J’ai eu la chance de rencontrer des gens généreux, intelligents et qui ne sont pas matérialistes! Cela donne une grande bouffée d’air. Et surtout, j’ai envie d’une meilleure société pour mes enfants!»

C’est à ce moment que Pour.press, diffuse son premier journal de masse. Anne y connait déjà quelques personnes de l’équipe. Elle les rejoint et participe à la diffusion du journal auprès de ses collègues d’abord, puis dans les groupes de paysans-artisans et même partout où elle va. Sans oublier les trains où elle noue des conversations lors de ses navettes Namur-Bruxelles. «La diffusion du journal POUR sur le TTIP, dit-elle avec un sourire jusqu’aux oreilles, c’était un vraiment beau coup d’éclat avec 170.000 exemplaires dans la francophonie!»

La démocratie n’existe pas vraiment!

Anne De Muelenaere a de la suite et de la pugnacité dans ses convictions. «J’ai potassé le bouquin Contre les élections de David Van Reybrouck.  On y apprend que la démocratie élective est en réalité élitiste! Qu’il faudrait la réinventer et la revitaliser, notamment grâce au tirage au sort. Le sentiment d’injustice est le problème qui m’occupe le plus, avec les dangers de violence, de frustration, d’insécurité qu’elle entraîne. Je suis pacifiste de longue date, et comment mieux combattre tous ces déséquilibres sinon par une réelle démocratie? Les gens ne sont pas idiots. Si on leur donne le temps de réfléchir, d’entendre des experts, alors les craintes à propos du réchauffement climatique, du racisme, de l’immigration peuvent trouver des remèdes! On l’a bien vu au Parlement wallon où les députés se sont informés sur le TTIP et le CETA. Ils ont mûrement réfléchi, s’aidant de beaucoup de consultations diverses. Les solutions modérées et de bon sens émergent alors. En résumé, si on appliquait davantage la démocratie, on pourrait mieux s’en sortir!»

Pour le droit de ne pas respecter les règles des puissants et des riches

«L’information sur ce qui se passe d’antidémocratique doit toucher davantage de monde, insiste Anne. Pas seulement les gens qui ont fait des études et connaissent les grandes lignes de la politique. C’est peut-être une illusion, et je me pose beaucoup de questions sur l’efficacité des actions contre les injustices. Mais il faut que les gens réalisent qu’ils peuvent bouger, qu’ils disposent d’une parcelle de pouvoir. Pour les soutenir, il faut des médias indépendants comme Pour.press.

Mais je crois aussi que les actions de désobéissance civile ou «d’action directe» ont leur utilité.

Ainsi, coller des vignettes Stop CETA sur les feux rouges, ça peut intriguer et susciter des questions chez tout le monde. On a le droit de ne pas respecter les règles des puissants et des riches quand la société n’est pas juste. Et donc, on doit rendre plus visibles les mouvements de contestation et sortir des sentiers battus afin de déranger efficacement les politiques qui ne nous prennent pas au sérieux. J’aime bien aller aux manifs quand elles sont créatives. Ainsi, nous avons chanté au Parlement européen pour contrarier la réception de Cecilia Malmström qui accueillait BusinessEurope (vidéo ci-dessous). C’était assez drôle, nos chants à tue-tête parmi tous ces fonctionnaires européens et ces lobbyistes. Des images pareilles posent question au grand public. De même, nous étions nombreux à faire le piquet à l’entrée du Parlement wallon lors du vote contre le CETA  pour montrer à nos hommes politiques qu’on les soutenait dans leur prise de position. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple, et il ne suffit pas de voter tous les quatre ans et ensuite laisser carte blanche aux élus. C’est indispensable de se mettre ensemble, faire des choix, rejoindre un truc collectif pour avoir plus de poids, et que ça bascule!»


[1] membre de Roosevelt et de la rédaction de Pour.press
e