Déjà, je regrette

Je n’en suis pas encore aux remords. Mais déjà je regrette. Durant la campagne électorale américaine, il m’est arrivé, à l’approche de l’échéance de novembre 2016, de souhaiter la défaite de Clinton. Après tout, cette «globaliste» hautaine et belliqueuse n’était-elle pas inattentive à tous les problèmes du peuple américain? N’était-elle pas la candidate des secteurs les plus profitables de l’économie, celle qui entend faire les lois partout dans le monde et défaire les secteurs étatiques?

A prendre Trump seulement comme un révélateur populaire du pouvoir excessif des multinationales, à le voir comme le candidat des Etats oubliés ou dévastés par le capitalisme, à ne pas le prendre au sérieux tant sa parole électoraliste était primaire, à ne pas analyser sa gestuelle tant elle était ridiculement mussolinienne, bref, à m’être trop laissé aller aux plaisirs d’une aventure politique qui ferait du bien à l’anti-américanisme, n’ai-je pas apporté un début de caution à un pouvoir innommable, grave, dangereux et directement menaçant?

J’ai bien alerté sur les première dérives potentielles en rédigeant trois articles Trump, le monde à la merci de l’immédiateté. Une ignare à l’Education, un belliqueux à la Défense, un fasciste à la Stratégie, un pétrolier aux Affaires étrangères, un beau-fils pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien, je décrivais bien tout cela.

C’était trop léger. Il manquait dans ces articles l’essentiel, à savoir que le nouveau pouvoir américain table sur les bas instincts de la population, sur sa haine de l’autre, sur sa passion pour la sécurité active (les armes)… Le nouveau pouvoir table sur la «réalité alternative» à diffuser au peuple. Il s’agit de la nouvelle appellation du mensonge d’État, que les médias seront sommés d’avérer et de diffuser largement.


Du côté des gouvernements, et singulièrement en Europe, on table sur les équilibres des institutions US, à savoir sur l’incapacité dans laquelle le président se trouve de faire «n’importe quoi». Mais rien n’est moins certain. Car la société américaine, si elle est vivante, et manifeste pour défendre les droits, est aussi mûre pour la suppression de droits.

Le défilé grotesque présenté à l’investiture du nouveau président aurait dû être mieux décrit et présenté pour ce qu’il était, une suite d’allégories des bas instincts ranimés par le nouveau président.

Déjà, il faut présenter un bilan:
• détricotage immédiat de la politique de santé
• réouverture des chantiers pour l’énergie fossile
• attaque contre les associations qui défendent les droits des femmes
• mise en œuvre du mur de séparation avec le Mexique
• interdiction d’entrée des ressortissants de sept pays arabes

Donc, premier bilan de deux semaines d’action présidentielle: C’EST PARTI!

C’est parti pour la confrontation permanente. Les manifestations pacifiques sont harcelées par des «bikers for Trump».

C’est parti pour la discrimination directrice. Le peuple de Trump contre les populations hispano ou arabophones.

C’est parti pour le changement des valeurs. L’identification doit remplacer l’ouverture.

Les avertissements démocratiques, qu’ils viennent d’Amérique ou d’ailleurs, n’auront qu’un effet, contraire à l’effet escompté. Redoubler la production de décrets absurdes, ubuesques ou fascistoïdes.

Des juges vont s’opposer à des applications de décrets Trump, en contrepoids temporaires, des parlementaires velléitaires vont se manifester, des fêlures vont apparaître… et on en aura peur car le risque de violence est bien présent, et potentiellement très destructeur. Bannon, le conseiller stratégique, vient d’être nommé au Conseil de Sécurité. On relira utilement son pedigree.

Certains en sont déjà à réfléchir à la «procédure d’impeachment» pour interrompre le carnage annoncé. Qui aura la force de mettre en branle un processus aussi compliqué? Probablement les grands opérateurs économiques qui ont besoin des ouvertures sur les marchés, qui rechignent à l’idée de voir se développer des protections contre l’expansion des marchés, probablement les «marchés» qui vont voir s’accumuler les menaces sur les cours de la Bourse. Probablement les principaux soutiens de Clinton, celle-là même qui a usé toute son énergie de campagne et toute sa capacité politique contre Sanders.