Fin mai, un article du journal Ha’aretz[1] – que l’on pourrait qualifier de Monde israélien – jetait l’alarme sur « L’exode des Justes »[2]. A savoir les départs – définitifs et de plus en plus nombreux – d’intellectuels et de militants de gauche israéliens au cours des dernières années. Un phénomène qui doit être considéré comme un aboutissement dramatique de la tragique évolution de la politique israélienne, que l’administration Netanyahu a exacerbée au cours des 11 dernières années. Un phénomène qui devrait nous inciter une fois de plus, mais dans l’urgence, à nous interroger quant à l’attitude de nos dirigeants européens envers cette politique. En effet, « sans sanctions européennes, estime Zeev Sternhell[3], cofondateur de Shalom Arshav (La paix maintenant), ce qui reste de la gauche israélienne ne pourra pas bloquer l’annexion et l’apartheid ».
L’on a parfois entendu dire que la gauche israélienne – en particulier extraparlementaire – a représenté « l’honneur », « l’âme » d’Israël. D’autres lui ont reproché de ne pas avoir pu faire changer les choses dans une société que, rappelons-le, l’on se doit de considérer en sociologue, en historien, comme toute autre communauté humaine. Et cela malgré tout les ressentiments que suscite le conflit israélo-palestinien, l’injustice permanente qui y préside depuis trois-quarts de siècle et, plus encore, l’intransigeance et l’entêtement meurtriers des dirigeants que cette société s’est donnés. Il n’en reste pas moins que, comme l’écrit Goldmann, « ce départ témoigne de l’inexorable dérive de la société israélienne ».
Évolutions oubliées
Qui niera qu’au moins jusqu’à la Guerre froide, le mouvement sioniste recruta ses forces vives à gauche, même si, au sein de celle-ci, la tendance travailliste et social-nationaliste l’emporta assez vite sur une aile volontiers radicale, égalitariste et internationaliste[4] ? Plus, jusque dans les années 1950, le jeune État d’Israël apparut à beaucoup – et se complut à paraître – à gauche comme un État progressiste. Nelson Mandela lui-même ne bénéficia-t-il pas un temps d’un entraînement militaire au pays des kibboutzim ? L’on se rappellera aussi que la droite affirmée israélienne – les ancêtres du Likoud de Netanyahu – ne commença à se développer que dans les années 1930, à la faveur d’une immigration « bourgeosie » centre-européenne fuyant l’antisémitisme à l’Est et le nazisme. Cette image, cette vision d’un Israël « progressiste » ne commença à s’estomper qu’après la guerre de juin 1967, lors de laquelle une majorité de la gauche européenne – ne parlons pas de la droite – prit parti pour le dit « État hébreu ». Cette guerre sanctionna aussi un rapprochement non interrompu depuis avec les États-Unis. 10 ans plus tard, ce fut l’arrivée au pouvoir, de la droite dite « révisionniste ». Celle-ci exprimait il est vrai tout haut ce que la majeure partie de la gauche parlementaire traditionnelle pensait tout bas depuis longtemps, c’est-à-dire l’adhésion, à peine tacite, à la thèse du « Mur de fer » (voir encadré) de Zeev Jabotinski, maître à penser de ce que l’on a appelé le « sionisme révisionniste », doctrine de la droite dure sioniste, puis israélienne, principalement représentée par le parti Herout, ensuite par le Likoud. L’apaisement de la Guerre froide et l’évolution planétaire en faveur du néo-libéralisme, puis l’arrivée massive d’immigrants de l’ex-Union soviétique en déliquescence firent le reste…
En entrant au nouveau gouvernement Netanyahu, le 26 avril dernier, le Parti travailliste, que Zeev Sternhell qualifie de « moribond », aurait « signé son arrêt de mort »[5].Aux yeux de l’opinion d’Europe occidentale, il est vrai, le clivage droite/gauche au sein de la société israélienne, assimilé aux différences entre le discours à l’égard des Palestiniens de la droite dure et celui appelant à « la paix » des travaillistes, occultait une autre réalité : c’était l’establishment ashkénaze qui votait travailliste et le petit peuple, très souvent sépharade et oriental[6], qui avait porté le Likoud au pouvoir en 1977.