Pour échapper à un mariage forcé avec un vieillard polygame, et pour vivre son rêve de devenir chanteuse, Semira Adamu, 20 ans, s’enfuit du Nigéria, et puis du Togo où le vieil homme, violent et tyrannique (une de ses trois femmes a déjà succombé sous sa brutalité), la retrouvera. Le 25 mars 1998, elle parvient à prendre un avion pour Berlin, avec une escale à Bruxelles. Là, on l’arrête et on l’enferme immédiatement au 127bis. Elle introduit une demande d’asile aussitôt déboutée. La Convention de Genève ne prévoit pas la protection des femmes victimes des persécutions patriarcales. Une demande de régularisation, des pétitions, des parrainages prestigieux, des garants, rien de fera changer l’Office des étrangers d’avis.

Pourtant, rien ne changera. Les rafles, les arrestations, les incarcérations, les expulsions violentes se poursuivront. Il y a 20 ans. 20 ans que cette politique mortifère prétend résoudre la « crise des migrants ». 20 ans qu’on meurt aux frontières de cette Europe autiste, dans les mers, dans les déserts, sur les routes. 20 ans que des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes tentent de survivre dans la peur, le dénuement absolu, le nouvel esclavage du travail au noir… Avec en contrepoint, une organisation autonome des sans-papiers qui se construit.
Pour ce sinistre anniversaire, le gouvernement nous offre en cadeau la mort de Mawda Shawri, enfant kurde de 2 ans morte d’une balle de 
Qui sont les gagnants de cette politique absurde ? L’extrême droite en Europe, les multinationales qui continuent de piller l’Afrique, les régimes corrompus qui touchent les dividendes du pillage et des sous-traitances de cette politique de fermeture sur leur territoire, les réseaux professionnels de trafiquants d’êtres humains.
Entre septembre et octobre de cette année, de nombreux événements vont commémorer l’assassinat de Semira. Rassemblements, débats, concerts, expositions, projections… dans le souci d’un devoir de mémoire indispensable, mais aussi de parler d’aujourd’hui, des luttes des migrants et de leurs soutiens en 2018.
Serge Noël
[1] 11 août 1998. Cinquième tentative d’expulsion de Sémira Adamu. Voici ses mots :
« Une fois l’avion prêt à partir, ils m’ont transportée à l’intérieur ; j’ai commencé à crier, ils m’ont forcée à m’asseoir et ont attaché la ceinture de sécurité mais j’ai réussi à défaire les liens autour de mes mains et ensuite à détacher la ceinture et à me lever en criant. Ils m’ont rassise. À ce moment, je n’étais qu’avec deux agents de Sabena Security. J’ai ouvert la ceinture pour la deuxième fois, me suis levée mais ils m’ont à nouveau assise. Je l’ai ouverte une troisième fois, j’ai dû me battre vraiment durement, et j’ai commencé à frapper dans les choses près de moi. Les passagers étaient déjà debout, certains demandaient qu’on me sorte de l’avion, ce qu’ils ont dû faire finalement. »

