Les premiers esclaves africains Outre-Atlantique
Moins de 15 ans après que Christophe Colomb l’ait découverte, une première révolte d’esclaves secouait l’île d’Hispaniola, en 1506. Il est vrai que dans le demi-siècle qui suivit l’arrivée des Espagnols, la population amérindienne indigène des Taïnos allait disparaître : sur les 400.000 Tainos vivant initialement sur l’île, seuls 60.000 étaient toujours en vie en 1508 et seulement quelques douzaines en 1535[1]. Cette hécatombe démographique allait poser un problème de main d’œuvre aux conquérants. Les premiers esclaves africains transportés outre-Atlantique arrivèrent à Saint-Domingue en 1503 et en 1517 et le premier moulin de canne à sucre dans le Nouveau Monde y fut établi en 1516. Au tout début de l’année 1445, une bulle du Pape Nicolas V avait autorisé le roi du Portugal à réduire en esclavage, les « Sarrasins, païens, et autres ennemis du Christ ». Les Rois catholiques (Ferdinand d’Aragon (1452-1516) et Isabelle de Castille (1451-1504) avaient accepté dès 1501 que les colons des Caraïbes y amènent des esclaves africains, puis, en 1517, Charles-Quint avait autorisé la traite à destination d’Hispaniola. Les conditions de vie et de travail de ces esclaves allaient déclencher deux révoltes au cours du seul XVIe siècle. La première eu lieu en 1522 : des esclaves wolofs[2] travaillant dans une plantation de canne se soulèvent contre l’amiral Don Diego Colon, le propre fils de Christophe Colomb. De nombreux insurgés fuirent dans les montagnes où ils formèrent des communautés maronnes[3] indépendantes, repliées dans les montagnes. L’on signale aussi les révoltes menées par un certain Padrejean en 1676, et par François Mackandal en 1757.
Au moment de la Révolution française, l’on comptait à Saint-Domingue entre 450.000 et 600.000 esclaves pour entre 70 et 80.000 « libres », dont 30.000 affranchis et descendants d’affranchis[4].
POUR lance un “Dossier décolonisation” au sein duquel nous analyserons, durant plusieurs mois, le fonctionnement de nos sociétés occidentales sous le prisme décolonial. Chaque mercredi, nous vous proposerons un nouvel article ou vidéo qui participera à approfondir ce sujet plus que jamais d’actualité. |
[1] Jonathan Hartlyn, The Struggle for Democratic Politics in the Dominican Republic, p.24, The University of North Carolina Press, 1998, in Wikipedia.
[2] Langue parlée en Mauritanie, au Sénégal et en Gambie.
[3] Du mot espagnol cimarron, « indompté », désignait du bétail échappé (!) avant de s’appliquer aux esclaves fugitifs.
[4] Manuel Covo, La révolte qui ébranla le monde, in L’Histoire, n° 415, septembre 2015.
* Les noms suivis d’une * font l’objet d’un « portrait » (voir ci-dessous).
[5] Fondée par le frère de l’Amiral, Bartholomé Colomb.
[6] Elle y y créa en 1654 la première ville coloniale française, Petit-Goâve, d’où partiraient les raids, extrêmement rémunérateurs des flibustiers français contre La Jamaïque britannique (1694) et Carthagène l’espagnole (1697)
[7] Ce traité mettait fin à la guerre dite de la Ligue d’Augsbourg (1688-97) qui opposait la France à cette Ligue constituée de l’Espagne, de la Suède et du Saint-Empire, alliés à l’Angleterre, aux Provinces-Unies et à la Savoie. Suite à la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), ce fut au demeurant un petit-fils de Louis XIV, Philippe V qui monta sur le trône d’Espagne (1716-1746).
[8] Rebaptisée en 1936 Ciudad Trujillo en l’honneur du dictateur Rafael Trujillo, la ville retrouve son nom après son assassinat en 1961.
[9] En 1806, Ferrand bénéficia d’un renfort de 900 soldats, mais l’escadre française qui les avait amenés fut envoyée par le fond par la Royal Navy.
[10] V. Saint-Louis, art. cit., p.170.
[11] Cet attachement à l’hispanité s’illustre, le 1er décembre1821, par une pétition demandant l’unification de l’Haïti espagnol avec la Grande-Colombie.
[12] La Grande-Colombie incluait les actuels Venezuela, Équateur, Colombie et Panama. Elle perdurera jusqu’en 1831.
[13] Les Haïtiens, qui ont associé l’Église catholique romaine aux maîtres d’esclaves français qui les avaient exploités avant l’indépendance, ont confisqué tous les biens de l’Église, ont déporté tout le clergé étranger et ont rompu les liens du clergé restant avec le Vatican. L’université de Saint-Domingue, la plus ancienne de l’hémisphère occidental manquant à la fois d’étudiants et d’enseignants, il fallut la fermer, ce qui entraîna une régression culturelle massive.
[14] 76.000km2, la deuxième des Antilles en superficie après Cuba et la 22ème plus grande île du monde. Elle est partagée entre deux pays : Haïti (36%2 de la superficie,11 millions d’habitants) et la République dominicaine (64% , 10 millions d’habitants) – Wikipédia
[15] Les boucaniers étaient des marins déserteurs, des colons appauvris, des naufragés, des esclaves marrons ou des flibustiers à la retraite qui se livraient à la chasse, au fumage de la viande (sur des grils, des boucans, pour la conserver à la mode des Amérindiens) ou au commerce des peaux, vivant sur la « réserve de viande des Caraïbes » que constituaient les îles de La Vache ou de la Tortue ou la côte nord-est de Saint-Domingue après le retrait des Espagnols au début du XVIIe qui y avaient abandonné nombre de bœufs et de cochons redevenus sauvages.
[16] Plus tard appelée Cap-Henry, actuellement Cap-Haïtien.
[17] Obtenu après la montée sur le trône d’Espagne de Philippe V, petit-fils de Louis XIV.
[18] Compagnie nantaise qui approvisionnait Saint-Domingue en esclaves.
[19] Le révolte des Indiens Natchez éclata en raison des craintes d’expropriation de terres en faveur des plantations de tabac que ces nouveaux esclaves allaient cultiver. Tabac et esclaves étaient propriétés de Crozat…
[20] Dans son ouvrage La nature et la cause de la richesse des Nations.
[21] A la veille du soulèvement des esclaves, Saint-Domingue intervenait pour moitié dans la production mondiale de coton et de café.
[22] Les esclaves, à 60% Kongos, étaient un demi-million à Saint-Domingue, pour 30.000 Blancs et quelque 20.000 affranchis (Pétré-Grenouilleau, La révolte des esclaves de Saint-Domingue, in L’Histoire, n°339, février 2009.
[23] Issus de l’union d’un blanc et d’une noire. Notons que le terme mulâtre est emprunté au portugais mulato (mulet).
[24] Frédéric Régent, La France et ses esclaves, Pluriel, 2012.
[25] Aux États-Unis, e. a. en Géorgie, les propriétaires esclavagistes auront la précaution de séparer leurs esclaves d’une même ethnie. Ce qui facilitera l’adoption par ceux-ci de l’anglais et du christianisme.
[26] Selon Anna Maria Oliveira, ministre angolaise de la Culture, participation à la Table ronde internationale de Port-au-Prince (8 au 10 décembre 1997). O. Pétré-Grenouilleau note que cette origine commune soudera les rangs des révoltés de 1791 (L’Histoire, n°415, septembre 2015). Plus, beaucoup étaient des soldats faits prisonniers et vendus aux Européens, ce qui accroîtra la valeur militaire des révoltés (L’Histoire, n°415, septembre 2015).
[27] La partie espagnole comptait quelque 15.000 esclaves (pour 25.000 blancs et 65.000 métis). La partie française en comptait, selon le recensement de 1788, 405.464 sur une population totale de 455.000 habitants (Charles Frostin, « L’intervention britannique à Saint-Domingue en 1793 », in Revue française d’histoire d’outre-mer, vol. 49, 1962.
[28] Source principale de ce chapitre : Frédéric Régent, Ni esclaves, ni Blancs, in L’Histoire, n°353, mai 2010.
[29] https://www.youtube.com/watch?v=UZOTvErNuNw .
[30] M. Covo, art. cit.
[31] Mesure qui allait inspirer Louis XIV en 1694 pour financer la Guerre de la Ligue d’Augsbourg, toutefois éphémère : elle fut retirée en 1696.
[32] Un édit de Louis XIV de 1685, tout en reconnaissant l’égalité des affranchis devant la loi, notait toutefois que ceux-ci « devaient le respect » à leurs anciens maîtres et, qu’en cas de vol, ils étaient soumis aux mêmes peines que l’esclave… En 1720, le port de vêtements trop riches fut prohibé aux « libres de couleur » ; en 1733, ils ne pouvaient pas accéder au rang d’officier ; en 1773, il leur fut interdit d’adopter le patronyme de leur ancien maître si celui-ci étant un blanc, de porter des armes ou de se faire appeler « Sieur » ou « Madame » (F. Régent, art. cit.).
[33] F. Régent, art. cit.
[34] En Guadeloupe, 59% des affranchissements effectués par des maîtres blancs concernaient des femmes esclaves et leurs enfants.
[35] Toussaint Louverture lui-même en avait 13…
[36] Depuis 1771, la loi coloniale reconnaissait une « différence de nature » entre Blancs et Noirs, et privait les « libres de couleur » de droits politiques, ce qu’on appelait le « préjugé de couleur ».
[37] M. Covo, art. cit.