Ecologie : les fausses bonnes idées

Sous la « pression de la rue », ou plutôt sous la « pression de la prise conscience citoyenne », les responsables politiques et autres décideurs se sentent obligés de proposer des mesures qui répondent à la nécessité de lutter contre les menaces climatiques. Hélas, toujours prisonniers de la pensée ancienne dans laquelle ils ont évolué depuis des décennies, ils défendent des options qui ne sont qu’« emplâtres sur jambes de bois » ou, pis, gaspillent les moyens des pouvoirs publics, bien trop rares en une époque où les plus fortunés ne participent plus guère aux efforts collectifs.

Quand nos ministres se sentent obligés de réagir face aux interpellations des citoyens sur ce qu’ils font ou vont faire pour lutter contre le changement climatique, ils font toujours preuve d’une confiance injustifiée dans la technologie. Lorsqu’ils répondent à l’action Wake up your ministers (« Réveillez vos ministres ») lancée par l’association ActForClimateJustice, ils citent souvent des technologies de pointe, affublées du préfixe smart qui, depuis que nos téléphones sont devenus smartphones, voudrait faire croire que la seule intelligence qui vaille est artificielle. C’est oublier que ce que Einstein a dit avec pertinence: « On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré ». En effet, il est de plus en plus évident que l’impasse environnementale est en grand partie due à la généralisation de technologies industrielles qui épuisent les ressources naturelles et génèrent des pollutions devenues ingérables. En particulier, plusieurs scientifiques (Philippe Bihouix ou Guillaume Pitron) ont publié des livres très argumentés qui montrent que la généralisation des technologies du numérique se heurteront vite au manque de certains métaux ou de terres rares et que leur extraction génère beaucoup de gaz à effet de serre. L’intérêt pour la low-tech n’a pas encore atteint certains esprits toujours séduits par le mirage des high-tech.

Errements dans la politique de mobilité

Tout le monde en convient : nos voitures émettent des quantités vraiment excessives de CO2. Que proposent dès lors les cerveaux colonisés par deux siècles de productivisme ? Non pas de prendre des mesures pour réaliser un transfert modal du transport en véhicule individuel vers les transports en commun, vers le vélo, vers la marche à pied (et vers une révision de l’hérésie de l’étalement urbain qui multiplie les distances inutiles). Non, tous les moyens gigantesques de la publicité sont mobilisés pour promouvoir la voiture électrique. Les pouvoirs publics sont tout à coup généreux et plein de fric : ils vont jusqu’à offrir 5.000€ au remplacement d’un véhicule thermique par un véhicule électrique. Si c’est un plus pour l’air de villes, sur le plan énergétique, ce sera seulement un déplacement de la consommation d’énergie primaire de la voiture vers les centrales  productrices d’électricité. Et ce ne sera d’aucune aide pour les embouteillages dont on dit pourtant qu’ils génèrent des millions d’heures de perdues et des coûts économique gigantesques (sans compter les investissements toujours plus lourds pour élargir les égouts à voitures).

Parfois, les pouvoirs publics consentent quand même à investir quelque peu dans les transports en commun et, ô désespoir, là aussi, les recettes du passé gâchent les moyens consentis. Ainsi, à Bruxelles, tous ceux qui réfléchissent à une mobilité réellement intelligente (pas smart) s’indignent des choix inspirés du siècle passé pour les transports pour ce qui est du développement du réseau de la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB). Reprenons donc ici le très juste communiqué et la pétition que lance un collectif d’associations[1].

N’éventrons pas Bruxelles !

On n’a qu’une vie et qu’une planète. Dans la situation actuelle de congestion du trafic et de pollution, Bruxelles peut-elle se payer le luxe d’attendre 2030, de dépenser 2 milliards d’euros, d’éventrer la ville (8 ans de chantier rien que sur l’avenue de Stalingrad, afin d’y construire une station de métro malgré la proximité immédiate de trois stations existantes), et de perturber la vie des usagers des transports en commun (liaisons de trams nord-sud perturbées à court terme, supprimées à long terme)… tout cela dans l’espoir dérisoire de diminuer le nombre de voitures de 0,6 % dans 10 ans ?! Le projet de métro 3, tel que conçu par la STIB et la Région bruxelloise sans études sérieuses ni véritable débat public, date d’un autre temps.

Pour améliorer la mobilité douce, il existe des solutions plus efficaces, plus rapides, plus respectueuses du tissu urbain et moins ruineuses pour les finances publiques ! Une pétition lancée par huit associations et comités d’habitants de différents quartiers demande de remettre à plat le projet de métro 3 en ce sens. Il ne s’agit pas de mener un débat idéologique sur le métro, mais de revoir de toute urgence un projet obsolète dont la balance entre bénéfices et retombées néfastes est négative.

Au même moment, est parue dans la presse une carte blanche signée notamment par le vice-président de la commission régionale de la mobilité, le responsable académique de l’Observatoire de la mobilité de la Région Bruxelles-Capitale, et le secrétaire honoraire de l’Union internationale des transports publics. Pour eux, le métro 3 est, en résumé, “un projet très coûteux pour un gain environnemental et une réduction de la congestion dérisoires ; des stations très profondes donc peu adaptées à des déplacements intra-urbains relativement courts; des incertitudes techniques et financières liées à un sous-sol mal connu et défavorable; un processus d’étude et de décision partial, qui a éliminé trop rapidement les alternatives, tant en surface (trams améliorés) qu’en souterrain (infrastructures moins profondes ou lignes de métro ailleurs dans Bruxelles).”

Malgré les vives critiques, la Région compte délivrer le permis de manière imminente, afin d’éviter que son projet soit revu après les élections du mois de mai. La situation est donc urgente. Mais il est encore temps de changer de cap. Il n’est jamais trop tard pour arrêter de mal faire…

On peut donc déplorer que l’on s’entête à perpétuer les recettes d’une autre époque, on consacre des sommes considérables à enterrer les transports publics (pour faire place, en surface, aux flots de voitures ?). Au contraire, on prolonge un métro alors quel’on sait qu’un réseau enterré n’est adéquat que pour une ville de plus de 3 millions d’habitants et que Bruxelles n’en compte que 1,2 million. Tout aussi désolant est le constat que les dominants ne veulent absolument pas toucher à l’hérésie que sont les voitures de société, dites aussi voitures-salaire. Là, on accepte que 600.000 privilégiés reçoivent annuellement un cadeau collectif de près de 3 milliards d’€ qui les incite à rouler encore et toujours. On accepte la gratuité pour les nantis et on la refuse pour les transports en commun qu’utilisent les plus modestes.

Plus largement, l’incompétence écologique des représentants politiques de certains formations politiques est affligeante. Ils disent vouloir devenir écolos mais n’on jamais lu Ellul, Charbonneau, Gorz ou Illich. Ils sauraient alors que si une technologie peut avoir des avantages à un certains degré d’utilisation, lorsqu’elle se développe pour des raison de profits, elles passe par un optimum et puis devient conte-productive. On calcule ainsi que la vitesse généralisé d’un automobiliste en ville est de moins de 10km/h alors que cela d’un cycliste est de 12 à 15km/h. Et on ne compare pas ici les nuisances que l’un produit et que l’autre subit.

C’est vrai : il faut maintenant sortir des slogans sympathiques mais un peu creux (« Il faut sauver la planète») et passer aux mesures concrètes et efficaces. Mais il faudra pour cela rééduquer ceux qui croient encore aux illusions du progrès quantitatif et technologique… Ou alors,les remplacer par d’autres, plus jeunes, ayant développé une véritable conscience écologique.

Alain Adriaens


[1] Association des commerçants Stalingrad-Lemonnier (Stalem), Atelier de Recherche et d’action Urbaines (ARAU), Comité d’habitants Saint-Gilles Midi/Zuid/South, Forest-Inter-Quartier, Inter-Environnement Bruxelles (IEB), Mobilité 55, Pavé dans les Marolles, Sauvez le square Riga.