On reste surpris par l’élection américaine. Un milliardaire indépendant, aux idées sauvages, a battu la candidate institutionnelle la plus subsidiée de toute l’histoire mondiale des démocraties.
Après les volets élection et post-élection, terminons ce tour d’horizon de l’accession de Donald Trump à la présidence des USA. Avec le destin réservé au «libre-échange», à ce commerce mondial qui nous a tant préoccupés avec le TTIP et le CETA.
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Affaires extérieures, commerce intérieur
Avant même d’avoir pris ses fonctions, Trump a fait de l’agitation dans le sens d’une refonte du commerce international en proférant des menaces du style «taxes à l’importation». Dans le secteur automobile, le Mexique est le premier à déguster l’abandon de projets d’usines. Dans le secteur du luxe, le groupe LVMH (vive la qualité «à la française»!) se voit glorifié parce qu’il va implanter de nouvelles usines et étendre celles existantes aux States. Quant à la Chine, qui n’a pas encore été traitée frontalement, elle se voit menacée de «mesures douanières».
Ainsi donc, après avoir voulu dominer un commerce mondial sur le mode multilatéral (Organisation mondiale du Commerce), après avoir forcé des déclinaisons bilatérales, ou à géométries variables (Nord-Amérique avec l’Alena, Pacifique avec le TPP, Atlantique avec le TTIP), les USA vont s’avancer sur la voie du commerce unilatéral. Jouer au coup par coup.
Le nouveau responsable du Commerce international, Lightizer, ancien de la maison Reagan, a été choisi et présenté par le nouveau président de manière transparente: «Il a une grande expérience des accords qui protègent certains des plus importants secteurs de notre économie, et il s’est souvent battu dans le secteur privé pour protéger les Américains de mauvais accords». Cet ardent avocat des intérêts privés a pour tâche de réorganiser le commerce mondial selon la règle non écrite, mais souvent appliquée, du libre-échange orienté. Dans cette noble tâche, il sera assisté par le beau-fils de Trump himself, le sémillant Kushner qui, au passage, pourrait aider le Président à «être celui qui fera la paix entre Israël et les Palestiniens». Notons qu’il avait rédigé un bon discours de campagne sur le sujet.
Sur ce thème justement, on retrouve Greenblatt, promu conseiller au Commerce extérieur, habitué des négociations internationales, spécialiste de l’immobilier, qui estime que «les colonies de peuplement juives construites sur des territoires où les Palestiniens veulent créer leur propre Etat n’étaient pas un obstacle à la paix, et qu’une solution à deux Etats n’était pas viable». Gageons que le chaudron moyen-oriental restera bouillant.
La période précédant l’investiture à Washington est encore marquée par l’affaire des intrusions russes dans la campagne électorale. Sans distinguer un front commun avec la Russie, on peut se demander si Poutine ne sera pas la deuxième sécurité de l’Amérique, ou l’ennemi «en moins», ce qui diminue les efforts nécessaires pour une ligne de défense — attaque qui rapporte peu en termes commerciaux. L’OTAN, jugé inutilement orienté coûteux, surdimensionne le front russe alors que les menaces contre l’Amérique sont vues ailleurs. Les Affaires étrangères sont aux mains d’un dirigeant pétrolier explicitement pro-russe. Par contre, aux Services de renseignement, on découvre Coats, qui a priori a une position très méfiante vis-à-vis de Moscou.
Le chaud et le froid
A ce stade, personne n’a trouvé la moindre ligne de conduite prévisible pour envisager l’avenir du commerce mondial. L’Europe n’a pas encore été ciblée dans les tweet de Trump. Depuis ce 16 janvier, on en sait un peu plus avec un entretien donné par Trump à The Times et Bild, entretien que Le Monde qualifie justement d’iconoclaste. Cette première sortie a suscité nombre de réactions côté européen, sur le ton de la réplique pour la plupart.
Il n’empêche, la seule panique qui semble frapper les autorités d’Europe est un recul du libre-échange. On aurait aimé une réaction plus qualitative venant d’ici, par exemple sur les droits humains, ou sur COP 21 et 22 (climat), ou sur les chances de développement à assurer au travers des échanges commerciaux. Rien… sauf peut-être la crainte que les géants d’Europe soient mis en difficulté par rapport aux géants américains. Gelé, le TTIP ne pourrait renaître que dans la visée d’un commerce penchant plus encore en faveur de l’Amérique, et fermant toujours les perspectives européennes.
Aucun espoir de voir les droits de l’homme concrètement dans l’appréciation des choses, sauf peut-être comme justification de l’une ou l’autre agression militaire.
Le tableau prévisionnel de l’action de Trump sur la scène internationale est a priori bien noir, il sera dessiné au gré d’impulsions soudaines, même si ce «rythme du fou» devra bien un jour se raccrocher à ce qu’on n’osera pas baptiser de «ligne de conduite».
European wishfull thinking
La gauche européenne a tendance à s’effaroucher de cette absence d’horizon, et de la perspective d’endurer des coups qui seront autant d’atteintes aux intérêts économiques du continent et à sa posture morale. Les gouvernements européens se condamnent par avance à espérer que «ce ne sera pas trop grave» car les entreprises américaines ont besoin de nous comme partenaires, à compter sur la sagesse de l’appareil institutionnel américain, à miser sur les garde-fous présentés par les contre-pouvoirs du Congrès. On mise encore sur le respect du droit international, et la loyauté par rapport aux traités, pour dire que Trump n’ira «pas trop loin».
A bon compte, on imputera à Trump la responsabilité de nouveaux maux. Piètre attitude et mauvaise analyse car Trump est le résultat d’une politique de brutalité économique, il n’en est pas la cause politique. Cela fait maintenant 35 ans, en Europe comme aux USA, que l’on enfonce les clous suivants:
– la dépense publique handicape la compétitivité
– la compétition est le lot inéluctable des peuples et leur destin
– la solidarité passe après l’accomplissement matériel de chacun
– la culture et les médias peuvent être médiocres
– il faut s’adapter
L’accomplissement politique de ces préceptes s’accomplit sous nos yeux ébahis, et nous faisons mine d’en souffrir. Le libre-échange n’en est pas un, il masque la prime aux possesseurs de grandes parts de marché mondiales, au détriment des approches économiques maîtrisées. Il ne se perfectionne qu’avec la sollicitude d’appareils d’État délestés du poids de la solidarité et relestés de moyens de contrôle des peuples.
La version caricaturale du nouveau mercantilisme US nous renvoie à la pauvreté de nos propres projets, qui font du commerce l’étalon de nos rêves. La réussite individuelle a mystifié la grande démocratie partenaire. Le virus est contagieux. Il a eu le temps d’incuber.
Six semaines avant l’élection américaine, Charles Michel, expert, faisait cette mâle intervention devant le monde du commerce à New York: «J’oublie sans cesse son nom, mais il y a un candidat à la présidence qui a un jour qualifié Bruxelles de trou à rats. Il aurait souhaité être présent ici ce soir, mais nous avons annulé son invitation». Le 9 novembre, notre Premier devait se fendre de la manière suivante: «Je vous souhaite du succès dans l’exercice de cette fonction de haut rang. Je forme le vœu que vous soyez un Président rassembleur et ouvert au dialogue respectueux. J’espère que la Belgique et les États-Unis continueront à défendre les valeurs communes comme la liberté et la tolérance». L’échine politique est décidément flexible. La valeur libérale reste droite.