Pénurie. Ce mot s’affiche dorénavant sur toutes les lèvres. Mais la pénurie qui sévit n’est pas seulement une pénurie de pâtes, de savon ou de papier toilette. C’est une pénurie de masques, de gants, de gel hydroalcoolique, de respirateurs artificiels, de lits en soins intensifs et de personnel soignant… C’est une pénurie d’argent public. C’est une pénurie qui tue froidement des centaines et des centaines de citoyens et qui met en danger la vie du personnel hospitalier. On peut éventuellement se passer de pâtes ou de PQ pendant quelques mois. On ne peut pas se passer d’hôpital ni de médecins au cœur d’une pandémie mondiale. Et pourtant… Pourtant la France ne dispose que de 7.000 lits en soins intensifs avec assistances respiratoires et à l’heure où j’écris ces lignes, plus de 2.000 d’entre eux sont déjà occupés, tandis que le nombre de cas détectés s’élève à plus de 20.000. Sans parler de l’hécatombe au sein du personnel hospitalier qui se sacrifie, faute d’équipement de protection adéquat. Nos médecins sont en train de mourir, 5 d’entre eux ont déjà perdu la vie.
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Un pacte avec le diable
Impossibles à accepter, ces chiffres horrifiants ne sont pourtant pas le fruit du hasard. Ils sont le résultat d’un choix budgétaire fait par les gouvernements successifs depuis les années 80, et consacré dans la fameuse LOLF1 de 2001, sacralisée dans les cours de droit fiscal et les écoles de commerces : le choix de l’austérité qui met à mal tous les services publics, fermant les écoles et les maternités, opérant des coupes budgétaires pharaoniques dans les budgets des hôpitaux, se débarrassant des services jugés « encombrants »… Mais qu’est-ce qui motive ce choix ? Serions-nous devenus assez mégalomanes pour nous croire invulnérables et omniscients, au point de pouvoir nous passer d’hôpitaux, de maternités et d’écoles publiques ? Le sentiment de toute-puissance et d’invincibilité des gouvernants n’est malheureusement pas une explication suffisante. Quant au discours alarmiste des politiques pointant notamment du doigt le fameux « trou de la sécu » et imputant le déficit public aux excès des citoyens, ce n’est qu’un leurre médiatique pour justifier les restrictions budgétaires et réduire l’engagement étatique dans certains secteurs tels que la sécurité sociale ou l’éducation. Mais alors comment expliquer le manque de moyens pour financer un secteur hospitalier digne de ce nom, alors que la France arrive en tête du palmarès de Forbes, avec Bernard Arnaud, devenu l’homme le plus riche du monde en 2020 ? Autrement dit : où passe la thune, le pognon, le blé, le pécule, le fric, l’oseille, la moula… OU VA L’ARGENT ?
Affamer l’État
Ce point est d’une importance capitale pour comprendre l’actuelle crise sanitaire qui sévit en France, mais aussi dans de nombreux autres États européens, tous nourris au biberon de la doctrine néolibérale « To starve the beast »2. Affamer la bête, couper les vivres de l’État, car c’est bien de cela qu’il s’agit : procéder à des allégements fiscaux sur les grandes fortunes et des crédits d’impôt aux grandes entreprises, fermer les yeux sur l’évasion fiscale, autrement dit CRÉER le déficit public, pour ensuite mieux justifier de le réduire en opérant des coupes budgétaire drastiques dans les services publics. Simple, mais efficace. Un maquillage idéal pour dissimuler les milliards d’euros qui disparaissent chaque année, responsables de la baisse des recettes fiscales et servant à justifier qu’il faille « se serrer la ceinture ». Un transfert de ressources publiques vers le privé. Le crime est parfait, savamment orchestré avec la complicité des partis de gouvernement qu’ils soient de gauche, de droite et du centre, car il n’y en pas un pour racheter l’autre. C’est ce crime qui coûte aujourd’hui la vie à des centaines et des centaines de citoyens, par manque de matériel et de personnel soignant.
Une comparaison glaçante
A titre d’illustration, dressons une comparaison édifiante entre le budget du secteur hospitalier en 2020 et le montant de l’évasion fiscale cette année. En France, le budget du secteur hospitalier était plafonné à 84, 2 milliards € , soit une hausse prévisionnelle des dépenses de 2,1% contre 2,3% l’an passé : une « économie » de 800 millions € qui n’a pas manqué de faire bondir le personnel soignant déjà sous tension.
Comparé à cela, en France les compteurs de l’évasion fiscale indiquent une perte de recettes fiscales de 100 milliards € chaque année… Pas besoin d’être un génie pour comprendre que cette somme permettrait largement d’améliorer la situation de la fonction hospitalière, en acquérant du matériel de qualité et en plus grand nombre, en rémunérant décemment le personnel et en créant des postes supplémentaires. Le problème n’est donc pas le manque de ressources, mais leur captation par les plus riches. Autrement dit, les gens ne meurent pas seulement du coronavirus. Ils meurent du désinvestissement de l’État dans les services publics, de la perte du sens de l’intérêt général, et de la soumission coupable à l’évasion fiscale.
Le temps des assassins, mais quels assassins ?
Michel Onfray l’écrit lui-même dans sa tribune « Voici le temps des assassins » dans laquelle il ne mâche pas ses mots, pointant un doigt accusateur vers les bénéficiaires de l’évasion fiscale : « Tout citoyen français qui dispose d’un compte en Suisse ou dans un quelconque paradis fiscal doit être tenu pour responsable de la mort de qui n’aura pas pu bénéficier d’un respirateur hospitalier, responsable et coupable. » À ces derniers s’ajoute également la responsabilité de ceux qui l’organisent concrètement:avocats fiscalistes, experts-comptables, réviseurs d’entreprises … Ces intermédiaires sont les piliers de l’évasion fiscale. Sans eux rien n’est possible car ce sont eux qui élaborent les montages juridiques et financiers qui permettent de contourner le fisc.
Autrement dit, des gens sont en train de mourir faute d’assistance respiratoire, parce qu’une poignée d’individus ont élaboré des stratégies permettant la fuite des plus riches particuliers et grandes entreprises vers les paradis fiscaux, affamant ainsi les services publics. Il n’y a pas de paradis sans enfer, et aujourd’hui, l’enfer est là, sous nos yeux. Nous avons tous une part de responsabilité, parce que depuis des décennies, nous ne voulons pas admettre que cette situation est le fruit de nos choix politiques et de notre incapacité à réagir face à la fuite des ressources fiscales. Nous préférons nous réfugier dans un cocon (ou un cercueil) de confort et de naïveté, allant même jusqu’à trouver des justifications à ceux qui creusent tranquillement la tombe de notre société. Nous sommes victimes de notre propre aveuglement. Alors, profitons de cette épreuve pour ouvrir les yeux et pointer du doigt les responsables de l’évasion fiscale !
Depuis quelques semaines déjà en Belgique, Attac a entamé une campagne visant à encourager un maximum de citoyens et d’associations à déposer une plainte déontologique contre ces véritables agents du pillage des États auprès de leurs ordres professionnels respectifs : dorénavant, la société civile dispose d’une arme contre l’évasion fiscale en ciblant ses organisateurs, alors qu’attendons-nous pour tirer ?
Comment porter plainte ?
Rien de plus simple: il suffit de cliquer sur l’un des trois liens suivants:
– Porter plainte contre Thierry Afschrift devant l’ordre des avocats.
– Porter plainte contre Arnaud Jansen devant l’ordre des avocats.
– Porter plainte contre Guy Ollieuz devant l’ordre des Experts-Comptables (IEC) et Conseils Fiscaux.
Chaque personne physique plaignante peut soit s’en tenir à ce texte volontairement très simple ou au contraire l’enrichir comme il l’entend. La seule obligation qui s’impose à tous est de joindre une copie de sa carte d’identité et de l’expédier en recommandé avec accusé de réception. Compte tenu des conditions actuelles de confinement, cette démarche est accessible en ligne via la plateforme du site TBC-post qui permet d’envoyer des courriers depuis chez soi.
Pensons à l’Après : qui payera le coût de cette crise sanitaire si les plus grandes fortunes continuent de se défiler ? Si nous survivons, la note sera salée… Au bout d’une semaine de confinement à suivre anxieusement l’évolution de la situation devant notre poste de télévision, nous ne manquons assurément plus d’information, d’énergie ou de temps pour nous décider à porter plainte. La seule chose dont nous manquons encore peut-être, c’est du courage. Mais si vous êtes arrivés à la fin de cet article, c’est que vous n’en êtes certainement pas dépourvus ! Alors n’hésitons plus.
Scandola BRANQUET
1La Loi Organique relative aux Lois de Finance (1er août 2001) est le texte déterminant le cadre juridique des lois de finances. On peut l’assimiler à une « constitution financière ». Largement inspirée du concept de nouvelle gestion publique (New Public Management), la LOLF repose sur une logique de performance (résultats) plutôt que de moyens, ce qui a largement contribué à aggraver les coupes budgétaires dans les services publics.
2Littéralement « affamer la bête ». Idéologie conservatrice américaine mise en œuvre aux États-Unis dans les années Reagan quand les fortes baisses d’impôts ont servi de justification à de drastiques baisses de dépenses publiques. Elle a valu à son théoricien le plus célèbre, James McGill Buchanan, de se voir décerner le Prix Nobel d’économie en 1986.