J’ai souvent la très nette impression de me sentir plongé dans un monde cauchemardesque où la réalité n’a plus de raison d’être, où elle se transforme en un gigantesque mensonge, où la perception des événements que me donnent mes sens et mon intelligence ne peut s’exercer, n’est autorisée, ne peut passer qu’au travers les filtres d’une subjectivité égocentrique, égotique et hédoniste imposée par les oukases des spin doctors de la croissance, de la consommation et d’une fabrique des émotions les plus superficielles.
Qu’il s’agisse du climat, de la finance, de la démocratie, du « vivre ensemble », le Titanic paraît bien foncer sur l’iceberg, bien visible, qui va le détruire et tout le monde débat de la manière de ranger les transats sur les ponts. Il y a de quoi devenir fou ![1] L’imbécillité règne en maître et les foules se prosternent pour l’adorer, surtout depuis que la déesse bêtise s’est faite chair en s’incarnant dans Donald Trump et rameutant ses semblables.
Heureusement, des phares viennent percer la nuit et réchauffer le cœur. Le prix Nobel de la Paix décerné récemment à Nadia Murat et Denis Mukwege est de ceux-là. Il n’est pas le seul. Le récent rapport du GIEC relance et conforte ces milliers d’initiatives qui jaillissent localement, partout dans le monde, et toutes ces ONG qui travaillent avec acharnement pour construire une terre plus conviviale. Il accélère à point nommé une prise de conscience, déjà très large, sur la trajectoire sociétale mortifère et sur la nécessité urgente de changer radicalement de direction. Les jeunes savent qu’ils paieront chèrement le « non-agir » et exigent le changement.
Je voudrais donc rompre quelques lances en faveur de cette belle lutte contre le réchauffement climatique. Loin d’être pénible, ce combat est une formidable opportunité pour les entreprises, pour les entrepreneur(e)s qui osent rêver et ont la volonté de réaliser leurs rêves, pour les citoyens, les pouvoirs publics, les administrations, les politiques… Bref, un beau défi à la créativité de toutes celles et de tous ceux qui veulent et qui osent réenchanter le monde. La bataille implique nécessairement une prospérité partagée[2] avec une nouvelle vision de la gouvernance qui soit libérée d’un impératif de croissance à tout prix et orientée vers la défense du bien commun, notion qui est d’ailleurs à redéfinir, car elle est différente du bien-être collectif et n’est pas la somme des intérêts particuliers.
Elle pose à cet effet 3 questions essentielles qui nécessitent un débat approfondi.
- Comment arriver à une prospérité partagée dans une société plurielle alors que la politique reste basée sur l’image, l’émotion, les sondages ?
- Comment équilibrer les intérêts des individus et le bien commun ?
- Comment transformer l’État en partenaire de cette évolution? Par quels mécanismes ?
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Alain Tihon
[1] Par exemple, Nicolas Hulot démissionne, réactions en surface, quasi rien sur le fond. L’enjeu du réchauffement climatique et de ses conséquences est absent des interviews de rentrée des Présidents des partis traditionnels en Belgique francophone (CDH, PS et MR) données dans le Soir en août 18.
[2] Prospérité = d’une part, la satisfaction des besoins matériels de base pour tous et, d’autre part, la capacité pour les hommes et les femmes de mener une vie personnelle et collective épanouissante dans le respect de la prospérité des autres et des limites qu’impose la finitude de la planète
[3] Prosperity without growth, JacksonTim, Earthscan, 2009, London
[4] cf. le chapitre sur le référentiel opérationnel dans La main invisible, Alain Tihon, 2016, Tihon Alain, éditeur
[5] Mouvement de la transition (http://www.retrouversonnord.be/les_mouvements_de_la_transition.htm). cf. également le chapitre sur le référentiel culturel dans La main invisible, op cit.
[6]Registre de transparence (https://ec.europa.eu/info/about-european-commission/service-standards-and-principles/transparency/transparency-register_fr), Powerbase (http://powerbase.info/index.php/Main_Page), Spinwatch (http://spinwatch.org/), SourceWatch (https://www.sourcewatch.org/index.php/SourceWatch), Project censored (https://projectcensored.org/), Corporate Europe Observatory (https://corporateeurope.org/) …
[7] Price Waterhouse Coopers (PwC), Ernst & Young (EY), KPMG et Deloitte.
[8] Il a présidé à la révolution néolibérale en proclamant la liberté des capitaux, du commerce, la diminution des impôts et la privatisation de l’État.