« Back to the climate » : large front entre les organisations syndicales, les grandes ONG et le monde associatif, la Coalition climat appelle à reprendre le chemin de la rue le 10 octobre à Bruxelles, un mois avant la COP26 qui se déroulera à Glasgow début novembre. Cette manifestation réunira-t-elle autant de monde que celle de décembre 2018, qui avait rassemblé près de 100.000 personnes ? Face à l’évidente et angoissante accélération de la catastrophe climatique, tout doit être mis en œuvre pour que le 10 octobre soit un succès. Mais un succès de quoi, pour revendiquer quoi, dans quelle perspective ? Le flou des réponses à ces questions ne favorise pas la mobilisation.
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RECOMMANDER, PAS REVENDIQUER
Il est douteux que ce texte soit porté véritablement par tous les groupes membres de la Coalition, dont certains sont investis dans des luttes de terrain importantes. Il exprime plus probablement le point de vue des représentant.e.s des grosses structures syndicales et associatives, qui pèsent d’un poids déterminant dans les débats. C’est donc principalement à ces composantes que notre critique s’adresse.
DANS QUEL MONDE, DANS QUELLE EUROPE VIVEZ-VOUS?
DEUX ÉVIDENCES DEVRAIENT CREVER LES YEUX
Comme disait Albert Einstein : « on ne résout pas un problème par les moyens qui ont causé le problème ». Dès lors, deux évidences devraient crever les yeux. La première : on n’arrêtera pas la catastrophe sans casser la logique productiviste. La seconde : pour avoir une chance de gagner, il faut faire de la question climatique un enjeu majeur de la lutte sociale contre l’exploitation et les oppressions. Les préconditions pour ce faire sont 1°) de désigner clairement l’ennemi; 2°) de mettre au centre l’antagonisme entre la logique d’exploitation (du Travail, des peuples du Sud et de la Nature), d’une part, et la logique du prendre soin des personnes et des écosystèmes, d’autre part; et 3°) de construire une stratégie axée sur la mobilisation des dominé.e.s à la base de la société, pas sur celle des dominant.e.s aux sommets. Le Mémorandum de la Coalition fait l’inverse : il dépeint un monde sans adversaires, où le conflit s’évapore dans le consensus pour le « capitalisme vert », et adresse gentiment ses « recommandations » aux responsables politiques du désastre.
CE QUE « LA CRISE EXIGE »…
On l’a dit : la Coalition ne fait que « recommander », elle n’exige rien… Mais elle présente ses « recommandations » comme si celles-ci découlaient des exigences de la situation objective telle qu’analysée par la science(1). « La crise, lit-on, exige une action cohérente et de grande envergure qui remette (sic) le monde sur une trajectoire durable et équitable, garantissant une justice sociale pour toutes et tous et le respect des limites planétaires ». Si on laisse de côté le verbe « remettre » – qui suggère que « le monde » était auparavant (quand?) « sur une trajectoire durable et équitable, etc » – cette entrée en matière peut donner l’impression que le Mémorandum va à la racine des choses. Mais ce n’est pas le cas. Pour s’en apercevoir, il suffit d’inscrire dans une colonne ce que la Coalition recommande parce que « la crise l’exige » et dans une autre… ce qu’elle ne recommande pas.
Dans la première colonne, on notera en particulier : une énergie 100% renouvelable qui reste payable pour tous ; la non ratification du traité UE-Mercosur ; des indicateurs alternatifs au PIB ; le respect de la loi de sortie du nucléaire ; « une politique permettant aux pouvoirs publics de prendre eux-mêmes des initiatives en matière de création d’entreprises » ; la fin de l’extension de capacité des infrastructures routières et aériennes ; l’intégration des émissions grises à la comptabilité carbone de la Belgique(2) ; un impôt sur le patrimoine des grandes fortunes ; l’obligation pour la finance d’abandonner les investissements dans l’économie fossile ; l’obligation pour l’industrie de financer sa propre transition grâce au principe pollueur-payeur – qui, selon le texte, « permettra d’éviter la socialisation des pertes et la privatisation des bénéfices » (comment?) ; la suppression des subsides aux fossiles ; une vision systémique tenant compte de la réalité intersectionnelle, notamment sur la base du genre, de l’origine ethnique ou de la position sociale ; l’accès pour tous et toutes à une mobilité pauvre en carbone et bon marché, voire gratuite ; un système alimentaire équitable, sain, respectueux de l’environnement, qui « évite » (sic) le recours à des « pratiques destructrices pour les sols (emploi des pesticides et engrais chimiques) » ; un cheptel réduit d’au moins 60% d’ici 2050 et un « élevage écologique, entièrement lié au sol » ; etc, etc.
… ET CE QUE « LA CRISE » N’EXIGE PAS
C’est ainsi, par exemple, que « la crise » n’exige pas et que la Coalition ne recommande pas : de comptabiliser les émissions des transports internationaux par mer et par air – en augmentation rapide du fait de la mondialisation des chaînes de valeur capitalistes ; de bannir la capture-séquestration du carbone, en particulier la bioénergie avec capture et séquestration du carbone (BECCS) – une technologie d’apprenti-sorcier qui menace à la fois la biodiversité et l’alimentation humaine ; de renoncer à la 5G, grosse consommatrice d’énergie dont le déploiement est voulu par les géants du numérique ; d’arrêter la production d’armes, activité nuisible par excellence, ni même d’en comptabiliser les émissions ; de dénoncer le projet gouvernemental de compenser le nucléaire par de nouvelles centrales au gaz qui émettront de grandes quantités de CO2 ; de renoncer au « mécanisme de rémunération de capacité » promis aux entreprises propriétaires de ces centrales (notez bien que, par son silence sur ce point, la Coalition contredit deux des recommandations générales formulées par ailleurs dans son Mémorandum : la suppression des subsides aux fossiles, et l’obligation pour l’industrie de financer elles-mêmes sa propre transition…); de soutenir les collectifs citoyens qui s’opposent à cet investissement climaticide dans le gaz… et les autres, qui luttent contre la construction par INEOS d’une nouvelle usine de plastiques dans le port d’Anvers, ou contre l’implantation d’AliBaba à Liège, ou contre l’extension de l’usine Clarebout de frites surgelées à Frameries, etc…
UN GREEN NEW DEAL FORT PEU SOCIAL
À travers le titre de son Mémorandum, la Coalition suggère que ses recommandations s’inspirent de la proposition de Green New Deal avancée aux Etats-Unis par Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders. Or, ce n’est pas exact. Bien qu’insuffisant à nos yeux (il ne rompt ni avec la dynamique d’accumulation ni avec la domination impérialiste du Sud global), le Green New Deal de la gauche étasunienne a un énorme mérite : il unit étroitement des réformes environnementales à des réformes sociales antilibérales précises et substantielles – par exemple, la hausse des salaires, la gratuité de la santé et la fin du système qui oblige les jeunes de milieux modestes à s’endetter jusqu’au cou pour aller à l’université. Il est frappant que la Coalition évite soigneusement toute recommandation de ce genre. Selon elle, « la crise » n’exige pas : d’augmenter la part des salaires au détriment de celle des profits (le mode de vie extravagant des riches est pourtant responsable de la plus grande partie des émissions de CO2) ; de réduire collectivement le temps de travail sans perte de salaire (afin de produire moins tout en partageant les richesses) ; d’en finir avec les statuts précaires (qui favorisent la surexploitation du travail et des ressources) ; d’exiger le droit d’élire un conseil d’entreprise et un comité de sécurité-hygiène dans les PME… Au lieu de cela, le Mémorandum formule un triple objectif fort ambigu : consommer « moins, mieux, autrement ». Mais qui consommera moins ? Et comment certain.e.s pourront-ils consommer légitimement plus ?
MARCHÉ DU CARBONE : NON, MAIS OUI QUAND MÊME?
Le texte commence par affirmer que « les marchés internationaux du carbone ont montré dans le passé qu’ils étaient insuffisants (c’est un euphémisme, mais soit…) et qu’ils présentent des dangers du point de vue du développement durable et des droits humains ». Le recours à ces marchés doit donc « être évité », selon la Coalition. Cette déclaration semble radicale à première vue, mais il faut y regarder de plus près.
D’abord, il n’est question ici que des marchés internationaux du carbone : la condamnation n’inclut donc pas le marché européen des droits. Or, c’est peu dire que ce marché est « insuffisant » également! Pour rappel : les entreprises du Système Européen d’Echange de Quotas d’Emission (ETS en anglais) ont reçu leurs quotas gratuitement et en excès par rapport à leurs émissions, ce qui leur a permis d’en revendre une part avec profit. Ensuite et surtout, les auteurs/trices du texte savent pertinemment que les décideurs politiques auxquels ils s’adressent n’ont pas la moindre intention « d’éviter » le recours aux marché du carbone. C’est même le contraire : le marché du carbone est un élément clé de ce « Green Deal » européen que la Belgique « se doit de soutenir » pour devenir « un leader responsable ». En vérité, sur ce point en particulier, la stratégie « réaliste » du Mémorandum se montre totalement… irréaliste.
PUITS DE CARBONE : OUI AUX « PROJETS VERTUEUX » ?
Du coup, la Coalition elle-même s’assume comme « leader responsable ». Citation :
JUSTICE NORD-SUD : GARE AU GLISSEMENT !
La question du financement de la politique climatique dans les pays du Sud est un autre point révélateur. On sait que les pays dits « développés » se sont engagés a verser cent milliards de dollars par an dans un Fonds vert destiné à aider le Sud à faire face au défi climatique. La Coalition le rappelle et demande que la Belgique contribue à hauteur de 500 millions par an, au minimum. Bien. Le texte souligne aussi que cette somme ne peut pas être prise sur les budgets de l’aide au développement. Très bien… Mais, en même temps, le Mémorandum appuie l’Union européenne dans sa volonté de taxer aux frontières les marchandises produites dans des pays qui « ne tiennent pas compte du prix du carbone », et demande (pardon: « recommande ») que les revenus de cet « ajustement aux frontières » soient versés… au Fonds vert pour le climat. Or, dans ce cas, une partie du financement destiné à aider le Sud viendrait du Sud, pas du Nord!
Le texte ajoute que la taxe carbone aux frontières de l’UE permet de « protéger nos entreprises (sic!) contre une forme de concurrence déloyale »… Pardon ? « Protéger nos entreprises » ? Les patrons applaudiront cette recommandation protectionniste. Surtout que, en parallèle, rien n’est prévu pour protéger les petit.e.s producteurs/rices du Sud contre la concurrence déloyale d’entreprises du Nord, en particulier dans l’agrobusiness et l’industrie de la viande, qui ruinent les paysans et les éleveurs africains en inondant les marchés de produits de mauvaise qualité à bas prix… Un des slogans clés des manifestations pour le climat a toujours été « What do we want? » – « Climate justice ! » – « When do you want it ? » – « Now! »(3). Avec sa logique pseudo-réaliste, le Mémorandum risque d’amener la Coalition à renier ce positionnement internationaliste fondamental.
DÉMOCRATIE PAR LA BASE OU GOUVERNANCE PAR LE SOMMET ?
La Coalition est un front. Lui reprocher de ne pas être anticapitaliste serait pédant, « ultimatiste » et ridicule. Le problème n’est pas là. Le problème est que le mouvement climat ne peut, à notre avis, éviter de prendre très clairement position sur une série d’exigences que l’on peut résumer comme suit : justice climatique Nord-Sud, donc au moins 65% de réduction des émissions dans l’UE en 2030 ; 1,5°C de réchauffement maximum, sans dépassement temporaire, sans technologies dangereuses (telles que la BECCS et le nucléaire), sans compensation carbone ; dans la justice sociale, la justice Nord-Sud, la démocratie et le respect de la biodiversité. Or, c’est précisément sur ces exigences-là que le Mémorandum se tait. Comme elles impliquent notamment de lutter partout contre les productions et les projets inutiles ou nuisibles, le Mémorandum choisit de se taire aussi sur ces luttes. C’est cohérent avec sa stratégie : en effet, on ne peut pas à la fois participer aux luttes anti-productivistes à la base et conseiller au sommet les pouvoirs qui gèrent le productivisme. Il faut choisir.
Nous participerons à la marche pour le climat du 10 octobre. À l’heure où la planète brûle, s’abstenir serait stupide, voire criminel. Mais nous ne souscrivons pas au Mémorandum technocratique de la Coalition climat, et dénonçons sa subordination à ce qui est « acceptable » par les ami.e.s politiques au gouvernement. Comme Greta Thunberg, nous pensons que « la crise climatique et écologique ne peut tout simplement plus être résolue dans le cadre des systèmes politiques et économiques actuels »(4). Avec d’autres, nous manifesterons contre le capitalisme vert du Green Deal européen, contre les mégaprojets inutiles et nuisibles, contre la « compensation carbone » et les technologies d’apprentis-sorciers. Nous manifesterons pour une écologie rebelle, pour une écologie d’en-bas, pour une alternative sociale et écologique antiproductiviste, féministe, internationaliste. L’alternative de civilisation dont l’humanité à un urgent besoin progressera par l’organisation démocratique et la convergence des luttes à la base pour la défense des territoires et des droits sociaux, partout sur la planète, pas par des « recommandations » taillées sur mesure de la realpolitik.
Daniel Tanuro
Source : gaucheanticapitaliste.org/coalition-climat-entre-voeux-pieux-et-silences-complices/
Rejoins-nous ce 10 octobre dans le PEOPLE POWER bloc : https://fb.me/e/1tGxglj0a
Bloc à la marche climat du 10/10/2021Nous sommes une convergence de mouvements citoyens et de groupes d’activistes réuni.e.s par nos luttes contre des (méga)projets et les entreprises inutiles et nuisibles qui menacent partout, en Belgique et ailleurs, la nature, l’agriculture, le climat et notre santé. Nous appelons à rejoindre le bloc “People Power” lors de la marche climat du 10 octobre pour y affirmer que ne pouvons plus nous contenter de recommandations consensuelles et de plaidoyers institutionnels. Nous ne pouvons plus nous satisfaire des “rehaussements d’ambitions” et des objectifs abstraits en matière de CO2.
Nous appelons à construire un réseau de luttes locales et à impulser un mouvement de résistance réelle, capable d’établir un véritable rapport de force en vue d’arracher la terre et les gens au ravage industriel et marchand. Marcher ne suffit pas. Nous n’avons d’autre possibilité que de nous organiser et nous opposer aux nouveaux projets et infrastructures qui dépendent des énergies fossiles, à la venue d’entreprises sales dans nos territoires, à la construction de nouvelles routes, au bétonnage de terres agricoles, aux extensions d’aéroports, aux pollutions.
Nous ne pouvons nous résigner à vivre encore des années de reculs sociaux et d’inaction face à l’urgence écologique. Nous nous insurgeons contre une politique de croissance économique infinie sur une planète finie. Nous ne pouvons pas nous permettre plus de pollution et d’émissions de CO2. La catastrophe climatique n’est pas une vague perspective future. Elle met à mal dès aujourd’hui les populations les plus pauvres de la planète en Belgique et partout dans le monde. Nous nous rassemblons parce que les projets nuisibles contre lesquels nous luttons ont été approuvés pas à pas par les politicien.ne.s au pouvoir. Des politicien.ne.s de toutes les couleurs: depuis la NVA qui donne le feu vert à l’usine de plastique d’Ineos jusqu’à Ecolo/Groen qui subsidie des centrales au gaz fossile, en passant par le gouvernement wallon qui accueille Alibaba à Liège et poursuit le développement des aéroports. C’est maintenant qu’il faut agir pour nous éviter de franchir des seuils d’emballement climatique inarrêtables. Loin des fausses solutions productivistes —injustes, dangereuses et inefficaces— (géo-ingénierie, OGM, agro-carburants, marchés carbone, plantations d’arbres, mécanismes de compensation, nucléaire etc.), des alternatives existent et sont expérimentées par des millions d’individus, d’organisations, de collectivités locale sen lutte dans les domaines les plus divers. Elles ouvrent le chemin à ce qui devrait s’imposer: le passage à une société et à une économie dans laquelle le bien-vivre pour tous et toutes passe avant l’accumulation de la richesse par une minorité. Qu’attendre d’une énième COP ou d’un catalogue de promesses électorales ? Seul un basculement radical permettrait d’enrayer le réchauffement climatique, l’extinction massive des espèces et de répondre à l’urgence sociale. Il ne nous reste aujourd’hui plus d’autre voie que de mettre toutes nos forces dans la bataille pour stopper le désastre en cours. En solidarité avec les luttes menées partout sur la planète, prenons notre sort en main plutôt que de laisser le système aveugle qui détruit notre planète et ses peuples en décider. Nos revendications sont concrètes:
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