Chypre – Les oligarques russes et bien d’autres, comme des poissons dans l’eau : grâce aux Big Four

1- Il n’y a pas de paradis fiscal à travers l’Europe !

Il n’y a pas de paradis fiscal à travers l’Europe.<span class="su-quote-cite">Pierre Moscovici</span>
C’est le 09 novembre 2017 que Pierre Moscovici tenait ces propos alors qu’il exerçait les fonctions de Commissaire Européen  aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière depuis novembre 2014. La présidence de la Commission Européenne était, elle, exercée par un certain Jean-Claude Juncker[1], un expert « incontesté « de la lutte contre l’évasion fiscale, lui qui a exercé les plus hautes fonctions au Luxembourg en tant que Premier Ministre pendant presque 19 années[2] et comme Ministre des Finances pendant 20 années[3] ; et qui s’est notamment illustré en déclarant dès son entrée en fonction de Président de la Commission européenne en 2014 qu’

il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens.<span class="su-quote-cite">Jean-Claude Juncker</span>
Jean-Claude Juncker, l’homme des paradis fiscaux, nommé à la tête de l’Europe
Sa réputation était telle que la députée européenne Eva Joly, dont on ne peut pas prétendre qu’elle appartient à ceux dont l’on dit qu’ils sont à l’extrême gauche de l’échiquier politique tant ce dernier s’est déplacé droite, a écrit un livre paru en avril 2016, à propos de cette éminence européenne, intitulé «Le loup dans la bergerie » et sous-titré « Jean-Claude Juncker, l’homme des paradis fiscaux, nommé à la tête de l’Europe ».

 

2- Il n’y a que des « trous noirs fiscaux ».

En janvier 2018,Pierre Moscovici précisait [4] :

Certains pays européens sont des trous noirs fiscaux (…) A l’évidence beaucoup de pays de l’Union européenne (UE) sont des lieux où l’optimisation fiscale agressive trouve sa place. Je cherche comment répondre à cela.<span class="su-quote-cite">Pierre Moscovici</span>

Et rajoutait avec une mansuétude qui ne vaut sans doute que pour les puissants :

Si vous vous apercevez que les flux fiscaux vont vers tel ou tel pays qu’on connaît : l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Malte, Chypre (…), dialoguons sur la manière de résorber les choses.<span class="su-quote-cite">Pierre Moscovici</span>

Les paiements effectués par les entreprises belges vers une trentaine de paradis fiscaux qui se sont élevés à 383 milliards en 2020 (déclarés en 2021, l’équivalent de 84% du PIB, dont le contenu n’est toujours pas dévoilé par les Autorités) n’incluent pas les paiements vers ces paradis fiscaux transformés en trous noirs. Pierre Moscovici le sait très bien lorsqu’il procède à cette déclaration sur l’appréhension des flux financiers vers de tels pays qui, de facto, ne sont pas déclarés (sauf en Belgique, mais non suivis), ni traqués.

Pierre Moscovici récidivait en mars 2019[5] alors qu’il était interrogé sur son action contre les paradis fiscaux. Il déclarait alors que les Pays-Bas et le Luxembourg n’étaient pas considérés par l’Union européenne comme des paradis fiscaux, parce que ce ne sont pas des paradis fiscaux, tout simplement !

Et de se lancer dans la définition de ce qu’est un paradis fiscal :

Un paradis fiscal, qu’est-ce que c’est? C’est un pays qui ne respecte pas les règles de bonne gouvernance internationale. On ne peut pas dire ça des pays de l’Union européenne.<span class="su-quote-cite">Pierre Moscovici</span>

Puis rajoutait à l’attention de ceux qui étaient en désaccord avec lui :

Que ça vous plaise ou pas, il n’y a pas de paradis fiscal dans l’UE, mais sans aucun doute des pays qui encouragent à l’excès l’optimisation fiscale.<span class="su-quote-cite">Pierre Moscovici</span>
Pierre Moscovici, un authentique socialiste – c’est lui qui le dit
Pierre Moscovici, un authentique socialiste – c’est lui qui le dit – est depuis devenu, le 03 juin 2020, Premier Président de la Cour des comptes de France, nommé par Emmanuel Macron, Président de la République. Il a donc tout loisir de perpétuer son combat contre « les trous noirs » afin de contribuer à l’équilibre des comptes nationaux qu’il a cependant plombé de 10.000 euros en décidant de pilonner le premier tirage du tout dernier rapport annuel de la Cour des comptes, considérant que deux photos de son auguste portrait   n’étaient pas suffisamment à son avantage.

Les citoyens sont donc priés de prendre pour argent comptant ce qu’ont décidé leurs élites dirigeantes, que ça leur plaise ou non, faute de quoi ils pourraient bien vite être taxés, c’est le cas de le dire, de n’être que des anti-européens primaires, voire des populistes.

 

3- Union Européenne et OCDE unanimes pour nier l’existence de paradis fiscaux dans l’Europe des 27.

Selon l’OCDE, il n’y aurait quasiment plus de paradis fiscaux dans le monde
Une telle décision « démocratique » dont il ne faut pas oublier que tous les États, à travers leurs dirigeants successifs, l’ont avalisée, a donc pour conséquence que ni Chypre dont on va parler plus loin, ni Malte ,ni le Luxembourg, ni les Pays-Bas, ni l’Irlande, ni la Belgique ne sont donc plus, pour ces édicteurs de normes, des paradis fiscaux. L’OCDE, Organisation pour la Coopération et le Développement Economique, s’est évidemment alignée sur de diktat européen (il n’y a pas non plus de paradis fiscaux aux Etats-Unis !). Selon l’OCDE, il n’y aurait quasiment plus de paradis fiscaux dans le monde puisque selon sa dernière liste publiée, seuls Anguilla, le Guatemala et Trinité & Tobago sont considérés comme des paradis fiscaux.

Ces producteurs de normes, qui se voudraient experts en sémantique, ont même fait disparaître de leurs jargon l’expression “paradis fiscaux”
Ces producteurs de normes, qui se voudraient experts en sémantique, ont même fait disparaître de leurs jargon l’expression “paradis fiscaux” en le remplaçant par « Etats qui n’appliquent pas substantiellement et effectivement le standard de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique en matière d’échanges d’informations ou des Etats à fiscalité inexistante ou peu élevée ».
C’est bien connu, n’est-ce pas, la fiscalité n’est pas un sujet politique
On est ainsi sûr que le citoyen lambda s’y retrouvera ; même les plus accommodants auront quelque mal à ne pas se demander comment les notions de substantiel et d’effectif sont appréciées ! Comme si l’utilisation d’un langage abscons devait venir au secours de la négation de l’évidence en la travestissant, histoire de faire croire au même, citoyen contribuable captif, que les questions d’évasion fiscale ne sont pas accessibles au commun des mortels et que tout ça doit être pris en main par des spécialistes, des experts, des vrais experts soit-disant indépendants et évidemment à l’abri de toute influence idéologique car c’est bien connu, n’est-ce pas, la fiscalité n’est pas un sujet politique.

 

4- Chypre, prétendument sous observation des institutions de l’UE.

Chypre, comme Malte et bien d’autres pays en dehors de l’Union européenne, a fait commerce de sa citoyenneté
Chypre est membre de l’Union européenne[6] (UE) depuis presque 19 années (le 01 mai 2004) et de la zone euro depuis près de 15 années (le 01 janvier 2008). Chypre a donc satisfait aux nombreuses  conditions à remplir pour adhérer à l’UE et s’est certainement retrouvée à dialoguer (sans doute sans relâche) avec les Institutions Européennes, comme dit Pierre Moscovici, pour changer ses lois et règlements qui font d’elle un paradis fiscal parmi tant d’autres, quoi qu’en disent ceux qui sont chargés de lutter contre l’évasion fiscale. A regarder la situation de Chypre à ce jour, il semble bien que ces dialogues n’aient pas existé ou qu’ils furent des dialogues de sourds ! Tant d’années à siphonner les recettes fiscales des pays membres de l’UE et d’autres sans déclencher quoi que ce soit de significatif de la part des autorités de l’Union ne permet pas de prendre au sérieux ceux qui considèrent que de tels pays respectent, comme ils disent, les règles de bonne gouvernance internationale. Le citoyen contribuable captif aura lui le choix entre remettre en cause les dires de ces responsables ou les règles en question, à moins qu’il n’arrive à la conclusion que ce sont les deux qui doivent être contestés. Sans rentrer dans les détails, on ne doit pas oublier que Chypre, comme Malte et bien d’autres pays en dehors de l’Union Européenne, a fait commerce de sa citoyenneté[7], jusqu’à un passé très récent, dont on dit qu’un terme y aurait été mis, sans pour autant que les faits le prouvent. Cette question des passeports et visas dorés fera l’objet d’un prochain article.

Le Nord de l’île est considéré par des observateurs (autres que l’UE) comme « une petite Sicile »
D’autres raisons auraient dû inciter les Institutions européennes à observer de près ce qui se passe à Chypre en matière financière et administrative. Chypre refuse en effet de contrôler la frontière entre le Nord et le Sud de l’île. Or le Nord de l’île est considéré par des observateurs (autres que l’UE) comme « une petite Sicile[8] ». Jeux d’argent, mafia, drogue, blanchiment d’argent et trafic y sont très présents, la République turque de Chypre étant devenue l’arrière-cour du blanchiment d’argent turc. Les relations entre les organisations mafieuses des deux côtés de Chypre sont plutôt cordiales, contrairement à leurs administrations. Elles se soutiennent et coopèrent suffisamment en cas de problème. À partir des années 1990, avec le transfert des casinos et des banques offshore, le nord de Chypre est devenu l’épicentre du blanchiment d’argent. La situation est similaire dans le sud de Chypre, selon l’auteur de l’article référencé en note de bas de page numéro 8.

 

5- « Cyprus confidential », un nouveau « Leaks »

Le consortium international des journalistes d’investigation ICIJ a publié une vaste enquête en novembre dernier intitulé «Cyprus confidential» résultant de la fuite de plus de 3,6 millions de documents, dont les plus récents datent  d’avril 2022 et les plus anciens de 2014, sans doute rassemblés dans quelques clés USB déposées anonymement dans sa boîte aux lettres par quelque justicier avide de dénoncer l’évasion fiscale (espérons qu’il n’existe pas d’autres raisons). 270 journalistes[9], appartenant à 55 pays, y ont travaillé sur une période de 8 mois.

PwC avait permis à des dizaines d’oligarques russes de dissimuler leurs fortunes alors qu’ils étaient sur le point d’être sanctionnés à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie
L’enquête a eu un retentissement certain, notamment parce qu’elle mettait en évidence comment un grand cabinet de conseils – et c’est là que réside son principal intérêt – PwC , pour ne pas le nommer, géant de la certification des comptes, du conseil fiscal et d’autres conseils en tous genres, avait permis à des dizaines d’oligarques russes de dissimuler leurs fortunes (tous patrimoines confondus) alors qu’ils étaient sur le point d’être sanctionnés à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie .Cette enquête permet certes de mettre le doigt sur les oligarques russes mais pas seulement puisqu’elle met également en évidence que 143 belges (ainsi que d’autres nationalités) sont impliqués dans « leurs activités »  à Chypre.

Les noms de tel ou tel oligarque[10] sont donc apparus dans la presse. Pour les oligarques russes, le nom de Mordashov, 78ème fortune mondiale, détenteur de 34% du groupe TUI, leader mondial du tourisme. Mais ce n’est pas le seul, on trouve aussi Alexander Abramov et Alexander Folov, dirigeants historiques du groupe Evraz ,producteur important d’acier et notamment de 97% des rails russes nécessaires au transport des troupes et du matériel militaire.

C’est l’occasion d’apprendre que Chypre ne fonctionne pas en autonomie, ce qui n’a rien d’étonnant. Les oligarques disposent aussi d’actifs aux îles Caïmans, par exemple. Des transactions ont lieu entre leurs sociétés immatriculées à Chypre et d’autres leur appartenant dans d’autres paradis fiscaux comme les  Iles vierges britanniques. Ces paradis fiscaux avec lesquels travaille Chypre ne sont pas non plus toujours[11], loin de là, considérés comme des paradis fiscaux.

 

6- Il n’y a pas que les oligarques russes présents à Chypre.

Quand il ne s’agit pas d’oligarques russes, on trouve d’autres oligarques qu’on préfère dénommer milliardaires
Quand il ne s’agit pas d’oligarques russes, on trouve d’autres oligarques qu’on préfère dénommer milliardaires, en l’occurrence parmi d’autres, un milliardaire flamand du nom de Fernand Huts, un des 143 belges, actionnaire du groupe logistique Katoen Natie basé à Anvers, ayant établi sa résidence fiscale en Angleterre dans le Kent et employant 7000 personnes en Belgique et 18.500 dans le monde. Et, comme toujours, la gestion de la fortune de Mr Huts nécessite que Chypre, où il a logé des actifs, travaille avec d’autres paradis fiscaux, dont notamment Guernesey après un voyage durant lequel il a fallu passer par le Luxembourg , le Panama et même la Moldavie, candidate officielle à intégrer l’UE.

 

7- Ce qui vaut à Chypre vaut dans tous les paradis fiscaux.

On s’apercevrait que tous, absolument tous, utilisent les services de ces grands cabinets de conseil dont évidemment les plus importants au monde, ceux que l’on appelle les Big four
On pourrait noircir des millions de pages, voire des milliards, pour décrire ces circulations de capitaux dans l’ensemble des paradis fiscaux de la planète si les « Leaks » aboutissant dans la boîte aux lettres de l’ICIJ concernaient tous les milliardaires de ce monde, dont le nombre ne cesse d’augmenter chaque année et l’on s’apercevrait que tous, absolument tous, utilisent les services de ces grands cabinets de conseil dont évidemment les plus importants au monde, ceux que l’on appelle les Big four, pour s’évader fiscalement tant au plan de la gestion de leurs fortunes personnelles que de celles de toutes les entités économiques qu’il détiennent. Sans ces Big Four[12], rien n’est possible.

Si les très grandes entreprises et très riches particuliers ont besoin des paradis fiscaux comme d’une infrastructure pour échapper à l’impôt et dissimuler leurs fortunes, cette infrastructure ne leur servirait à rien si elle n’était pas exploitée par une armée de consultants qui va faire circuler leurs capitaux à travers la constellation de la centaine de paradis fiscaux de la planète.

Le junkie a besoin du trafiquant de drogue et de l’organisation à laquelle ce dernier appartient pour satisfaire son addiction, l’oligarque ou milliardaire a besoin du consultant et de l’organisation à laquelle ce dernier appartient pour satisfaire une autre addiction celle d’échapper à l’impôt et d’avoir toujours plus.

Ceux qu’il est juste de qualifier de fiscotrafiquants
Ces deux addictions nécessitent que ces organisations soient planétaires tant pour les narcotrafiquants que pour ceux qu’il est juste de qualifier de fiscotrafiquants, le sens du mot trafic méritant d’être rappelé : «commerce illicite[13], honteux et clandestin. Au sens familier, ensemble d’activités plus ou moins mystérieuses, compliquées ».

 

8- Le déploiement des Big Four à Chypre : ils n’ont jamais été aussi nombreux et puissants.

Et ils sont effectivement nombreux, il n’y a pas que PwC !
Il n’y a donc rien d’étonnant du tout à ce que des cabinets de consultance comme PwC fassent ce qu’ils font à Chypre et ailleurs. Que peuvent-ils bien faire d’autre, d’ailleurs, dans un pays qui compte 921.000 habitants et une population active de moins de 500.000 personnes ? L’activité économique de ce pays, dont le PIB s’est élevé, en 2022, à 27 milliards d’euros ne justifie en aucune manière l’existence de l’armada de ces grands cabinets de conseil, Big Four et autres. Et ils sont effectivement nombreux, il n’y a pas que PwC ! On notera que PwC Chypre , comme tous ses concurrents, dispose toujours d’une division intitulée « Family Office[14] » dont la vocation est d’offrir aux riches et très riches particuliers tous les services leur permettant de gérer au mieux leurs actifs, notamment en matière fiscale, mais pas seulement. Les passeports et visas dorés, évoqués plus avant, en font partie.

Avant d’en venir aux autres, commençons par PwC et évaluons les forces déployées par ces mastodontes du fiscotrafic, à l’échelle industrielle et planétaire. Rien de tel pour cela que d’apprécier leurs effectifs un peu comme une armée qu’ils sont d’ailleurs.

La guerre a éclaté entre la Russie et l’Ukraine le 24 février 2022 et les effectifs de PwC passent de 1.050 en 2022 à 1150 en 2023 (+9,5%)
PwC, en 2017 ,employait (associés inclus) 950 personnes. En 2023 ,PwC emploie 1150 personnes, soit une augmentation de 21,1%. Sur la même période, son chiffre d’affaires a augmenté de 11,8% passant de 77,8 millions à 87,0 millions. On voit donc que la progression est inexorable, quels que soient les éléments extérieurs, même les plus adverses. Pour mémoire la guerre a éclaté entre la Russie et l’Ukraine le 24 février 2022 et les effectifs de PwC passent de 1.050 en 2022 à 1150 en 2023 (+9,5%)[15].

C’est l’examen de l’évolution des effectifs des Big Four dans les paradis fiscaux  qui permet de comprendre que la lutte contre l’évasion fiscale proclamée urbi et orbi n’est le plus souvent qu’affichage opportuniste destiné à endormir le citoyen contribuable captif. En effet, si cette lutte était menée concrètement, on verrait les effectifs en question diminuer sérieusement, ce qui ne se vérifie jamais jusqu’à présent. Au contraire, ces effectifs ne cessent d’augmenter, follement.

Il en est de Chypre comme de tous les paradis fiscaux sans exception. Les Big Four y sont omniprésents.f
Il en est de Chypre comme de tous les paradis fiscaux sans exception. Les Big Four y sont omniprésents. Et il en est de PwC comme de tous les grands cabinets de conseils, ils sont omniprésents dans les paradis fiscaux.

Car si l’on prend PwC la main dans le sac dans le cadre de « Cyprus  Confidential », ses concurrents les plus importants sont évidemment présents aussi à Chypre. Deloitte, le premier des Big Four au plan mondial y compte 746 personnes, EY 591 et KPMG 930 (données 2023). Depuis 2017 leurs progressions en effectifs n’ont rien à envier à PwC : +19% pour Deloitte et même plus : 88,8% pour Ernst et Young (EY) ; seul KPMG voit ses effectifs baisser de 13,9% passant de 1.080 en 2017 à 930 en 2023 ce qui semble s’expliquer par la pandémie Covid 19 qui l’aurait plus affecté que ses concurrents.

A eux 4, ils étaient donc 2.970 en 2017 contre 3.417 en 2023 soit une progression de 15,1%, malgré la diminution propre à KPMG.

Ce qu’il faut en outre avoir en tête, c’est le phénoménal nombre de recrutements effectués chaque année par les Big Four. À Chypre pour les 4 géants, ce ne sont pas moins de 4.490 personnes qui ont été recrutés de 2017 à 2023 et 3.941 de 2018 à 2023. Ils étaient au total 2.970 en 2017, ils sont 3.417 en 2023. Ayant recruté 3.941 personnes entre 2018 et 2023 il y a donc 3.494 personnes qui sont parties sur la période 2018 à 2023. En 6 années, ce ne sont donc pas moins de 7.882 personnes qui auront travaillé ou travaillent encore chez les Big four à Chypre.

Mais ceux qui partent, où vont-ils  ? Chez les clients des Big Four, chez d’autres Big Four à Chypre ou dans d’autres paradis fiscaux
Mais ceux qui partent, où vont-ils  ? Chez les clients des Big Four à Chypre, chez d’autres Big Four à Chypre, chez des Big Four dans d’autres paradis fiscaux etc. Où qu’ils aillent, ils constituent ensemble une gigantesque communauté d’anciens (« les alumni »). Nous le verrons, ceux qui partent peuvent aussi constituer des entités base zéro pour s’emparer d’un marché en pleine croissance, tout en utilisant leur atout d’avoir appartenu aux Big Four.

Il n’y a pas que les Big Four à Chypre, comme c’est le cas dans tous les paradis fiscaux. Il y a aussi ceux qui les suivent en importance et qui, au niveau mondial, constituent un cinquième Big Four. À Chypre on les retrouve tous : BDO, RSM, Grant Thornton, Crowe Horvath, Baker Tilly et Nexia qui, ensemble, emploient 1.383 personnes en 2023 soit significativement plus que les effectifs de PwC à cette même date.

Les Big Four, à eux-seuls, comptent 13 bureaux à Chypre : Nicosie, Limassol, Paphos, Larnaka, Paralimni et Polis Chrysochous.

Les 10 plus grands cabinets d’audit et de conseil au monde totalisent donc à Chypre ,en 2023, 4.800 personnes (3.417 pour les seuls Big Four). Ils sont ensemble le 2e employeur de Chypre et le 4e pour les seuls Big Four.

Les Big Four ont des effectifs qui sont presque plus du double de ceux nécessaires à alimenter la population entière de l’île en électricité
Le premier, Imar Bank Offshore emploie 13.000 personnes, le 2ème Neareast University Limited (27.000 étudiants) 4.000 personnes et le 3ème Kronos Panholdings PLC 4.000 (Kronospan est une entreprise internationale fondée en Autriche et basée à Chypre qui fabrique et distribue des panneaux à base de bois utilisés dans des applications telles que les revêtements de sol, les meubles et les maisons à ossature en bois), cependant que le 4ème Voyagerkibris Ltd en emploie 3.100. Le 10ème Electricity Authority of Cyprus en emploie 2.130 soit l’équivalent d’une grosse PME qui n’a certainement pas besoin d’utiliser un Big Four pour ses besoins, ce qui donne une idée du profil des suivants dont la petite taille démontre que les Big four et ceux qui les suivent n’ont rien à faire à Chypre si l’on s’en tient à la stricte activité économique et commerciale du pays. On notera que Imar Bank Offshore a été impliquée dans un énorme scandale financier[16]. On notera aussi que les Big Four ont des effectifs qui sont presque plus du double de ceux nécessaires à alimenter la population entière de l’île en électricité !

En annexe, figurent les informations suivantes : le nombre de bureaux des Big Four et leur localisation, les effectifs par Big Four sur la période 2017 à 2023, les recrutements par Big Four sur la période 2017 à 2023, le chiffre d’affaires par Big Four sur la période 2017 à 2023, les effectifs des 6 sociétés de conseil qui suivent les Big Four au plan mondial.

 

9- Combien les Big Four devraient-ils être à Chypre ?

328 au lieu de 3.417 en 2023. Soit un sureffectif de 3.089 employés ie 90,4% des effectifs totaux.

Sur la base des effectifs Big Four de la France et de l’Allemagne réunies rapportés  aux  PIB cumulés des 2 pays, le PIB rapporté à un employé Big Four s’élève à 87,8 millions de dollars.

Calculés au prorata du PIB de Chypre versus le PIB de France + Allemagne, les effectifs Big Four de Chypre devraient donc s’élever à : 328

– Rappel PIB Chypre 2022 : 28.810 millions de dollars

– Ratio France + Allemagne : 1 employé Big Four pour 87,8 millions de dollars

 

10- PwC ne ferait plus d’affaires avec les oligarques russes ? Mais n’est jamais très loin. Et les autres Big Four ?

Les oligarques russes voient se perpétuer les services offerts précédemment par PwC, avec une société dénommée Cypcodirect, créée par un ex-PwC
C’est ce que PwC Chypre annonce. A ce jour, il n’existe pas d’informations disponibles pour ses concurrents mondiaux. En revanche, l’enquête de l’IRCJ nous apporte quelques informations sur la manière dont les oligarques russes voient se perpétuer les services offerts précédemment par PwC. On découvre ainsi que PwC dispose à Chypre d’un partenaire privilégié avec une société dénommée Cypcodirect, créée en 2007 par un ex-PwC qui souhaitait  voler de ses propres ailes : une indépendance affichée qui ne rend cependant pas compte de la réalité. En effet, outre la mise en commun de  contrats d’assurance bénéficiant aussi bien aux employés de PwC que de Cypcodirect, cette dernière s’occupe des services « à risques » à fournir aux oligarques, PwC se réservant les services les moins risqués tels que le commissariat aux comptes, l’audit et des services divers.

Tous ces clients-là sont également clients de banques occidentales ainsi que d’avocats d’affaires occidentaux
Les documents les plus récents de l’enquête de l’ICIJ datant d’avril 2022, le cas de la société Kiteserve n’a pu être évoqué. Kiteserve[17] a été créée en juin 2022 par 3 ex-associés de PwC Chypre avec pour objectif de s’occuper de clients russes avec lesquels PwC (et éventuellement d’autres) a décidé de rompre son courant d’affaires. L’activité de Kiteserve démarre immédiatement et 50% de ses affaires se déroulent avec des clients russes, directs ou indirects. Il vaut la peine de s’intéresser aux déclarations de l’un des fondateurs, Theo Parperis, qui déclare que sa société respecte les sanctions définies par l’Union Européenne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mais que PwC (auxquels il associe les autres Big Four) va bien au-delà des sanctions imposées par ces pays, ce qui laisse de la place pour s’occuper, dans une certaine mesure, de ce qui irait au-delà des sanctions. Il précise bien entendu que la toute nouvelle société est très sélective dans le choix de ses clients et pourrait, si elle le voulait, multiplier par quatre son activité. Et il n’oublie pas d’indiquer que tous ces clients-là sont également clients de banques occidentales ainsi que d’avocats d’affaires occidentaux. Il conclut ainsi : pourquoi devrions-nous être mis à l’écart ?

Le départ des 3 associés de PwC ainsi que d’une trentaine d’employés s’est, comme on dit, passé en bonne intelligence. Les fondateurs de Kiteserve ont conclu un accord avec PwC Chypre pour se soustraire aux restrictions concernant l’embauche de personnel de PwC Chypre et à l’interdiction habituelle, pendant cinq ans, pour les anciens associés de vendre des services d’audit, de fiscalité ou de conseils. En contrepartie, PwC a perçu une « indemnité » dont le montant n’est pas connu. Kiteserve est établi à Nicosie et Limasol, dans les bureaux de PwC et dans le cadre d’un contrat de sous-location. Bref, une récente création qui ressemble diablement à celle effectuée en 2007 avec Cypcodirect.

Quant à PwC Chypre, ses dirigeants déclarent avoir réorienté ses activités et trouvé de nouveaux emplois dans le cadre d’une stratégie de “rebond” après l’impact des sanctions internationales visant ses clients russes : la langue de bois habituelle  de tous les communiqués et rapports légaux ou autres de PwC et des autres Big Four.

 

11- Les Big Four à Chypre : un tout petit début de moralisation strictement circonscrite aux oligarques russes et encore…

La communication des listes de consommateurs de drogue viendrait-elle porter atteinte aux narcotrafiquants qui resteraient dans l’ombre ? Non ; il en de même pour la publication des bénéficiaires de l’évasion fiscale qui ne portera pas atteinte aux fiscotrafiquants
On aurait pu espérer que les différents organes de l’Union européenne soient à l’origine de ce tout petit début de moralisation de l’activité des Big Four à Chypre. Il n’en est malheureusement rien. C’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie[18] qui en constitue l’unique cause et l’on a vu combien le relais était assuré par d’autres que les Big Four et en parfaite coordination avec eux (prouvé pour PwC). Chypre est toujours un trou noir fiscal, pour reprendre les termes de Mr Pierre Moscovici, au sein duquel les oligarques russes peuvent encore se sentir en sécurité. Et si jamais cela ne devenait plus le cas, alors la centaine de paradis fiscaux de par le monde constitueraient autant de havres de choix. Alors, à quand un « Caïmans Confidential », un « Virgin Islands Confidential » déclinés en autant de fois qu’il existe de paradis fiscaux dans le monde (une centaine) ? Que nous apprendront-ils, puisque l’on sait ce que les Big Four y font ? La communication des listes de consommateurs de drogue viendrait-elle porter atteinte aux narcotrafiquants qui resteraient dans l’ombre ? Non ; il en de même pour la publication des bénéficiaires de l’évasion fiscale qui ne portera pas atteinte aux fiscotrafiquants s’ils continuent à passer le plus souvent sous les radars.

Au moment où nous écrivons ces lignes, l’on apprend que Deloitte Luxembourg, paradis fiscal remplacé par un trou noir, a enregistré en 2023 une croissance de son chiffre d’affaires de 14% par rapport à 2022 et de 40% sur les 5 dernières années. On ne résistera pas à faire partager les déclarations de son patron :

La résilience et l’agilité inhérentes à notre approche multidisciplinaire ont une fois de plus ouvert la voie à une croissance soutenue
Les Big Four continuent à connaître des taux de croissance que même la Chine ne connaît plus
Le charabia habituel de ces grands cabinets de conseil qui pillent les caisses des Etats, charabia repris par de célèbres hommes politiques !

Malgré les nombreux Leaks qui ont éclaté sur les 5 dernières années, les Big Four continuent à connaître des taux de croissance que même la Chine ne connaît plus, à un point tel que l’on devrait dorénavant substituer au terme « croissance à la chinoise », le terme « croissance à la Big Four ».

Christian Savestre

ANNEXE le nombre de bureaux des Big Four et leur localisation, les effectifs par Big Four sur la période 2017 à 2023, les recrutements par Big Four sur la période 2017 à 2023, le chiffre d’affaires par Big Four sur la période 2017 à 2023, les effectifs des 6 sociétés de conseil qui suivent les Big Four au plan mondial.

[1] Du 01 novembre 2014 au 30 novembre 2019. Il avait été aussi Président de l’Eurogroup pendant plus de 8 années du 01 janvier 2005 au 31 janvier 2013
[2] Du 20 janvier 1995 au 04 décembre 2013
[3] Du 14 juillet 1989 au 23 juillet 2009
[4] Le Figaro, 18 janvier 2018
[5]  RTL, 26 mars 2019
[6] La zone turque ne fait partie que juridiquement de l’Union européenne et est exclue de toute union (économique, monétaire, douanière…) et de l’espace Schengen. La partie sud n’a pas pu adhérer, elle non plus, à l’espace Schengen: en effet, la partie nord de l’île voit arriver un afflux massif de réfugiés qui n’ont qu’à passer « la ligne verte » pour se retrouver dans l’Union européenne ; or la république de Chypre refuse de contrôler cette frontière de facto entre le nord et le sud, car elle considère que cela équivaudrait à reconnaître les frontières et par conséquent la république turque de Chypre du Nord.
[7] https://pour.press/dans-la-jungle-ou-dans-le-zoo/  https://fb.watch/opZ8KtUSCD/
[8] https://lgcnews.com/north-cyprus-turning-into-little-sicily/
[9] Dont ceux du Soir, de Knack et du Tijd
[10] Le Soir du 14 novembre 2023
[11] La liste noire de l’UE publiée en février 2023 comprend 16 juridictions : les Samoa américaines, Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Palaos, le Panama, les Samoa, Trinité et Tobago, les Îles Turques et Caïques, les Îles Vierges américaines, le Vanuatu, les Îles Vierges britanniques, le Costa Rica, les Îles Marshall et la Russie. Pour l’OCDE, voir texte ci-avant..
[12] Deloiite, Ey (Ernst & Young, PwC, KPMG. Ensemble, les Big Four  emploient près de 1.500.000 personnes dans le monde
[13] Illicite :qui est défendu par la morale ou par la loi
[14]  Voir les liens suivants https://www.pwc.com.cy/en/publications/assets/family-office-services.pdf https://www2.deloitte.com/cy/en/pages/tax/solutions/deloitte-private-family-office-services.html https://kpmg.com/cy/en/home/services/enterprise/family-business.html https://www.ey.com/en_cy/people/ey-cyprus
[15] PwC clôture son année comptable le 30 septembtre.
[16] https://core.ac.uk/download/pdf/234627927.pdf
[17] https://www.ft.com/content/4a646c94-8ea0-4bc8-83b0-0d6ab8ccefea  https://www.consultancy.eu/news/8356/former-pwc-cyprus-staff-launch-firm-to-serve-russia-linked-clients
[18] Les Big Four ont officialisé leur départ de la Russie. Mais il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Cela fait partie des sujets que nous traiterons.