« Mais si il y a un angle mort dans la pensée de la gauche, c’est souvent celle du cadre institutionnel. C’est souvent celle des règles du jeu. On ne fait pas de la politique dans un vide, on fait de la politique dans un cadre donné », lance Paul Magnette le 2 décembre face à un public rassemblé par La Revue du Crieur, Mediapart, La Découverte et la ville de Grenoble autour de la question : « Que faire ? »[1] Le bourgmestre socialiste de Charleroi dénonce un cadre européen « très présent et extrêmement contraignant » qui « pose un problème fondamental à la gauche ».
Lié depuis toujours à la construction européenne avec les sociaux-démocrates, Paul Magnette surprend en remettant ainsi en question ce qui, selon lui, « est en quelque sorte la constitution européenne » à savoir : les traités de l’Union, marqués par une idéologie, « celle du libéralisme ou du néolibéralisme ». La logique du « tout au marché » et l’ode à la concurrence semblent ébranlées. L’ancien Ministre-président va même plus loin en administrant une autocritique à son parti et à ses alliés sociaux-démocrates. Il pointe le manque de responsabilité au milieu des années 90 où, malgré onze gouvernements rose sur quinze au sein de l’Union européenne, le « moment politique » ne fut pas saisi et la direction libérale ne fut pas infléchie.
Si le constat semble faire preuve d’honnêteté, il s’ensuit inexorablement une question. Celle qui sert justement de titre au rassemblement : « Que faire ? » C’est dans la réponse à cette question que se dissimule la pirouette socialiste, résumée en une citation : il faudrait « [oser] politiser davantage les politiques de l’Union à l’intérieur du cadre de l’Union européenne. » Mais que signifie le fait de « politiser les politiques de l’Union » ? Défaire le mythe selon lequel les décisions politiques découleraient d’une certaine rationalité face à une « réalité économique » et non d’un choix politique ? Bref, appeler les choses par leurs noms ? Très bien. Et après ? Un tel constat induit-il nécessairement de se donner les moyens d’ouvrir le champ politique pour faire table rase de ces politiques destructrices ?
Faisant appel à Chantal Mouffe[2] et à la nécessité d’un « consensus sur le cadre démocratique » à l’intérieur duquel se jouerait « une conflictualité politique forte », Paul Magnette répond par la négative. Il n’opère pas de distinction claire entre le fameux « cadre démocratique » et la chape de plomb économique. Il confond ce cadre socio-économique qu’impose l’Union à un simple cadre institutionnel n’entraînant aucune conséquence politique. Une posture qui a pour conséquence de n’entrevoir de réformes radicales qu’à travers des abstractions politiques – telles que la mise en place d’un « Parlement de la zone euro » ou d’une « Constitution sociale de l’Union européenne » – sans jamais penser les leviers d’une politique alternative qui en finirait avec l’obsession pour la dette, le déficit et l’inflation en remettant radicalement en question les traités qui fondent l’Union européenne. L’ « angle mort » réapparaît et le problème de la nature du cadre européen se voit finalement renié.
Un péril est identifié. Celui de se compromettre à nouveau et faire perpétuer un carcan libéral étouffant toute alternative ? Non. « Une certaine forme d’euroscepticisme de gauche. » Selon Paul Magnette, si cette ligne politique serait compréhensible de la part du Parti travailliste de Jérémy Corbyn ou de la gauche nordique, elle ne pourrait être l’idéologie dominante de la gauche. Les enjeux dépasseraient le cadre de l’Etat ce qui empêcherait les réponses isolées. En réalité, la question des moyens est rejetée sans même être débattue. Tout moyen politique, fût-il uniquement destiné à faire pression sur des négociations, est balayé d’emblée. A la question de savoir quelle avait été sa plus grande réussite, Margaret Thatcher, souvent présentée comme pionnière du néolibéralisme et du TINA[3], répondait : « Tony Blair et le Parti travailliste. Nous avons forcé nos opposants à changer d’avis. » Les (néo)libéraux contemporains peuvent toujours très certainement se féliciter de cette réussite. Ils sont parvenus à garantir le renoncement à l’Etat de la part des sociaux-démocrates, et mieux, leur faire dire eux-mêmes que cette stratégie constituait un risque.
Paul Magnette regrette tout de même que la stratégie dominante de la social-démocratie ait été celle de la « grande coalition », une alliance avec des libéraux ou des conservateurs pour essayer de peser dans les décisions. Cette stratégie de « dilution » est désormais taxée d’ « inefficace ». Par ailleurs, elle ouvrirait un champ électoral à une gauche radicale qui divise la « famille politique ». S’agirait-il alors de recoller les bouts et de rassembler cette « famille » ? Paul Magnette rejoindrait-il ainsi l’appel de la FGTB à former à l’avenir une sorte de « front de gauche » aux niveaux de pouvoir possibles après les prochaines élections ? La tentation de vouloir suivre la « voie portugaise » convainc la frange gauche du Parti socialiste belge.[4] Toutefois, comme le rappelle très bien Henri Goldman[5], le parti reste composé et dirigé par de nombreux responsables plutôt favorables à la fameuse « grande coalition »…
Lundi 4 décembre. Benoit Hamon répond aux questions de Nicolas Demorand sur France Inter. « Il est temps de ne pas se contenter d’une petite nuance social-démocrate ici ou là» assène-t-il.[6] Mais ne pas mettre en place les conditions de possibilité pour appliquer ses objectifs politiques ne revient-t-il pas justement à se contenter des nuances plus ou moins libérales de l’Union européenne ? « Il ne faut pas jeter l’Europe avec le néolibéralisme », ajoute le candidat socialiste à la Présidentielle…
Face au risque de « pasokisation »[7], la social-démocratie tente de se ressaisir en adoptant ici ou là des postures plus radicales. Ce phénomène, qui semble se confiner au discours tout en comportant des incohérences, laisse entrevoir ses limites, celles du réformisme et des « petites nuances » ?
[1] Voir l’intervention de Paul Magnette : https://www.youtube.com/watch?v=yS7H3THLnaQ
[2] Michel Brouyaux – L’illusion du consensus. A consulter sur https://www.pour.press/lillusion-du-consensus/
[3] There is no alternative – Il n’y a pas d’alternative. Relire : “Il faut tuer TINA” : https://www.pour.press/il-faut-tuer-tina/ , et “3 questions à Olivier Bonfond” : https://www.pour.press/trois-questions-a-olivier-bonfond-video/
[4] César Botero González – “Communiste, le PS ? M’enfin !” A consulter sur http://www.levif.be/actualite/belgique/communiste-le-ps-m-enfin/article-opinion-738949.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=social_vif&utm_source=Facebook#link_time=1508056090
[5] Henri Goldman – Parti socialiste : tout changer pour que rien ne change ? A consulter sur https://www.revuepolitique.be/parti-socialiste-tout-changer-pour-que-rien-ne-change%E2%80%89/
[6] Benoît Hamon au micro de Nicolas Demorand. A consulter sur https://www.youtube.com/watch?v=lcz8PprHZco
[7] Du nom du parti social-démocrate grec (Pasok), la “pasokisation” signifie la dégringolade électorale subie par le parti social-démocrate, classiquement établi comme représentant “la gauche”.