Bruxelles a besoin d’une réforme d’état.
La formation du gouvernement bruxellois est en panne. Trop de partis. Trop de veto. Trop de divergences d’opinion. Trop de nœuds à découdre. Je ne sais pas comment la politique politicienne va s’y prendre. Mais l’avantage est que on discute à nouveau de réformes de structure. J’espère que l’on réfléchira au-delà de la simple transmission de quelques compétences ou la fusion de quelques administrations.
Faire parler le territoire !
Un véritable plan de réforme doit rechercher une bonne gouvernance, politique et administrative, pour le projet de la ville-région. C’est ce que résume aujourd’hui le plan régional de développement. Les principes de base sont clairs. Bruxelles est une ville polycentrique. Le centre métropolitain est devenu plus grand que le pentagone et inclut aussi le vieux Molenbeek par le bouclage du métro circulaire. Par conséquent, tout ce qui se trouve à l’intérieur de cet anneau est facilement accessible par le métro, mais aussi par six gares (Ouest, Nord, Central, Midi, Luxembourg et Schuman). Pour les vieux quartiers populaires de Molenbeek, cela signifie une forte pression de gentrification. L’économie ethnique locale devra s’ouvrir à la centralité urbaine sous peine d’évincer la population. Le canal deviendra l’axe porteur de ce centre. La zone piétonne crée plusieurs placettes qui appellent à recharger les connexions ouest-est telles que l’ancien Steenweg médiéval. Tout cela remet en question la petite ceinture comme autoroute. Voir la discussion sur la fermeture de certains tunnels. Tous ces développements nécessitent au minimum une meilleure coordination entre les municipalités concernées : Bruxelles, Molenbeek, Anderlecht, Saint-Josse, Schaerbeek…
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Et puis il y a les centres-villes plus thématiques : le quartier européen, Media Parc, le Heysel, le quartier universitaire. Tous demandent une vision de développement, où l’on ne considère pas seulement l’infrastructure, mais surtout un logiciel, une activité, une ambiance, un modèle de développement. Sur ce point également, les communes concernées devraient enfin s’asseoir ensemble.
Bruxelles n’a pas de véritable politique de quartier. La carte et le monitoring des quartiers montrent 145 quartiers, dont 118 sont peuplés. Si nous voulons vraiment une politique pour la ville à 15 minutes, pour une économie locale circulaire, pour la chaîne courte et le recyclage, nous avons besoin d’une politique de quartier. Pour les quartiers purement résidentiels, une bonne participation des habitants avec un budget propre et un conseil de quartier peut suffire. Les habitants dans les centres devront se concerter en permanence avec les grands projets et l’administration. Et pour la catégorie intermédiaire des centres supra-locaux, les Noyaux d’Intérêt Local, avec des habitants et des usagers divers – Matonge, Rue de Brabant, Saint Job, Place du Miroir, Stockel, etc – une forme spécifique de politique devra être élaborée. Mais dans tous ces cas, tant les communes que la région devront vraiment miser sur la participation et la coproduction, ce qui est actuellement trop peu le cas à Bruxelles. Et surtout aussi coopérer administrativement elles-mêmes : après tout, plus d’un tiers de ces quartiers dépassent les frontières communales !
Lutter contre la fragmentation
Une ville multipolaire à quatre échelles (centres métropolitains et régionaux, quartiers résidentiels et centres supra-locaux). Pour les gouverner correctement, il n’y a pas de recettes simples. Il ne suffit pas de fusionner les communes pour après en faire des districts, comme le proposent les partis flamands. Toute bonne réforme institutionnelle nécessitera un plan de transition pour un mouvement de centralisation et de décentralisation appropriée en fonction des réalités territoriales existantes (et non pas historiques). Ceci peut être entamé immédiatement avec des collaborations intercommunales variées et obligatoires. Introduire une politique de quartier et déjà commencer à fusionner les cinq types d’initiatives qui existent.
Parce que la fragmentation n’est pas seulement un problème de communes et de communautés. C’est aussi un problème d’administrations. A Bruxelles, cinq grandes institutions s’occupent de l’aménagement du territoire : Perspective, Urban, Bruxelles Environnement, Bruxelles Mobilité et SAU-MSI sans encore parler de CityDev ou de la SLRB. Chacune avec sa propre vision et ses propres instruments! Ces silos, avec pour chacun un ministre de tutelle distinct, ne permet pas de mener des politiques saines.
Et puis il y a cette Communauté Urbaine prévue par la sixième réforme de l’État et bloquée par le nationalisme flamand. L’aire métropolitaine fonctionnelle compte quelque 3 millions d’habitants et est bien plus grande que la RBC. Il faudrait au moins installer un Observatoire de la Métropole et une coopération ciblée avec des communes de la périphérie.
Donc : oui à la révision de la structure communale de la ville-région. Mais il s’agit de bien plus que de fusionner ou non. Les futures districts ne devraient pas être aussi différentes en taille que Koekelberg avec 22.000 habitants et Bruxelles-Ville avec près de 200.000 habitants aujourd’hui ! Les limites communales actuelles sont également totalement irrationnelles. Donc, de grâce, élaborons un plan sérieux pour une réforme de l’État interne qui s’impose. Un plan qui se base sur une lecture rationnelle du territoire, dans laquelle une version renouvelée de Good Move peut être incorporée.
Imaginer la ville autrement
Et puis il y a les compétences communautaires. Si rien n’a encore changé dans les structures communales, c’est surtout parce qu’à ce niveau, les francophones peuvent faire valoir la majorité démocratique, alors que dans la région, on en reste à la parité entre les communautés. Et c’est précisément cette organisation communautaire qui entrave aujourd’hui la formation de coalitions. En effet, au cours des 35 dernières années, la ville a profondément changé. Bruxelles est loin d’être une ville simplement bicommunautaire. Parmi ses 1,25 million d’habitants, environ un tiers sont des étrangers. Et parmi les deux tiers de Belges, près de la moitié sont issus de l’immigration. Il en résulte une ville où les « Belges de souche » sont minoritaires offrant alors deux modèles d’intégration distincts. Alors que la majorité de la population est composée de personnes de langues différentes, de ménages multilingues, très diversifiées et utilisant de façon très hybride les équipements.
Il convient donc d’ouvrir un débat ouvert et non dogmatique sur une politique culturelle appropriée pour la ville la plus diversifiée d’Europe. Je l’admets : ce n’est pas une discussion facile, parce qu’elle exige de l’innovation et de l’expérimentation dans une mentalité dominante de gestion monoculturelle. Mais si l’on veut promouvoir la cohabitation mixte dans 118 quartiers, une offre avec des gemeenschapscentra et centres culturels séparés, avec des bibliothèques linguistiques distinctes, des maisons de quartier et de jeunesse à part, des théâtres et des salles de sport distincts, est un gaspillage très coûteux et non durable. Ou encore le chaos qui règne dans l’enseignement avec tous ces réseaux, ces types et ces systèmes. Je ne vais pas ici vite ouvrir une cannette de « solutions », mais qu’une discussion et une rationalisation est nécessaire sera vite imposé par la crise budgétaire.
Bruxelles est une ville très duale
Et cette crise budgétaire va aussi faire exploser la crise sociale. On l’oublie dans toutes ces discussions administratives: Bruxelles compte 90 000 chômeurs, un tiers de la population au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté, 10 000 sans-abri. La région a beau être économiquement l’une des plus riches d’Europe, avoir le marché du travail le plus qualifié et 718 000 emplois, le revenu moyen de la population est faible. En effet, la moitié de ces emplois sont occupés par des navetteurs qui ne contribuent pas. D’où la crise des CPAS, des soins de santé et de la quasi-totalité des services sociaux. Résoudre cet agenda social structurel qui traîne depuis des années uniquement à partir du système de redistribution et de sécurité sociale existant n’est pas durable. En outre, les politiques annoncées ne feront qu’aggraver cette crise. C’est pourquoi un modèle renouvelé de ville bienveillante (voir «caring cities») doit être élaboré dans ce domaine également. Des politiques doivent être mises en œuvre pour permettre à la société atomisée et autocentrée de développer à nouveau des formes de solidarité directe et de convivialité. Entre le marché et l’état, il faut développer à nouveau un commun, une réciprocité. C’est ce qu’il faut pour que les maisons de retraites après la crise du covid réintègrent la société. Ou, si, après la crise de l’énergie, l’on veut vraiment travailler sur l’isolation des toits avec des panneaux solaires et des coopératives d’énergie. Ou l’on veut encourager bricolage, réparation et l’aide communautaire parmi les gens. Ou encore, on veut vraiment mettre en place des centres de quartier.
Et puis, il y a la question de l’internationalisation. Il ne faut pas oublier que le développement post-industriel de la ville a été largement porté par les fonctions internationales qui représentent plus de 120 000 emplois. Bruxelles a pour mission de devenir la capitale européenne. Mais cela ne doit pas se limiter aux fonctions bureaucratiques qui donnent souvent une mauvaise image de la ville. Il y a du travail à faire pour devenir également une capitale culturelle. Et cela est possible si nous travaillons à la coopération avec les dizaines de réseaux européens basés à Bruxelles, à la coopération avec les 300 représentations régionales, avec les réseaux urbains… Une telle image pourrait également mieux représenter la population très diversifiée. Espérons que la candidature pour 2030 ne raconte pas seulement Molenbeek, mais qu’elle puisse aussi représenter cette image plus large.
Impliquer les habitants dans un projet urbain
Vu sous cet angle, cela semble être une tâche impossible pour la génération actuelle d’hommes politiques de la région bruxelloise. Ils semblent paralysés par les multiples intérêts et la particratie. Ils paniquent devant le trou budgétaire. Ces mois de négociations n’ont laissé que peu de place à la vision et à l’ambition. Et avec la catastrophe financière qui menace l’existence de nombreuses associations, il y a peu de réactions dans la société civile. Une résignation insidieuse et une grande peur se sont installées dans la société. Cependant, la sortie de crise ne peut pas venir uniquement des politiques. Il est nécessaire de mobiliser la population et donc d’approfondir la démocratie. Plus de participation par la mise en place de conseils, notamment pour le développement des quartiers. Plus de coproduction en donnant une place réelle aux communs. Plus d’attention aux jeunes et au travail bénévole. Et aussi : donner le droit de vote aux résidents établis, car aujourd’hui la politique ne représente qu’une minorité de la population! Après six mois de blocage politique, il serait bon que les grandes organisations sociales, cette société civile, se remuent aussi. En 2008 et 2009, la mobilisation autour d’Etats Généraux de la Société Civile bruxelloise avait aussi rué dans les brancards. Aujourd’hui, il est grand temps.
Professeur d’ Etudes Urbaines à la VUB