Des cerises au printemps
Année 87. Quatre groupements d’achat au quartier du Laveu à Liège s’organisent pour s’approvisionner en produits paysans. On y trouve principalement pain, légumes et produits laitiers. Un noyau d’une dizaine de membres s’active pour créer un réseau. Certains sont en recherche de boulot ou de reconversion professionnelle. Parmi eux, Micheline Halleux. Avec une camarade, elle démarre un magasin de quartier dans une ancienne boucherie désaffectée de 50 m2. Leurs deux familles participent à l’investissement pour un tiers chacune. Et, crowdfunding avant la lettre, une cinquante de coopérateurs, qui seront des consommateurs, complètent le dernier tiers pour obtenir les 700.000 FB indispensables au démarrage.
Un service ancré dans le quartier
Les co-fondatrices ont des enfants et les conjoints apportent un salaire régulier! L’aventure est risquée mais elle n’est pas sans atout vu la motivation des coopérateurs-consommateurs et le caractère familial du secteur qui comporte des écoles et, par la suite, ce qui est très important, un arrêt de bus en face de la vitrine. L’enseigne trouvée, « Le temps des cerises », est un clin d’œil à la fête du temps des cerises qui avait réjoui la jeunesse post-soixante-huitarde à Floreffe ces années-là.
L’option biologique et écologique s’affirme par rapport aux magasins diététiques de cette époque prioritairement orientés vers les régimes alimentaires. Il faudra trois à quatre ans pour que la modeste épicerie arrive à un rythme de croisière, ayant pu déménager en chemin dans une surface commerciale de 165 m2. Toujours soutenue par des administrateurs efficaces et motivés qui apportent leur caution solidaire!
Toujours en défi!
« Les magasins de grande surface veulent profiter de l’engouement pour le bio. Ils verdissent leur image en faisant croire qu’ils peuvent pratiquer des prix inférieurs aux nôtres, dit Micheline. Un des plus menaçants pour nous avec ses six ou sept cent mètres carrés, c’est l’enseigne Bio-planet en Flandre, qui souhaite s’implanter de plus en plus en Wallonie! »
Pour cette passionnée du bio de proximité, la concurrence est un aiguillon pour aller de l’avant. Elle décide, avec son associée et son conseil d’administration, d’agrandir le magasin avant que les super commerces et les multinationales ne viennent étouffer les projets comme le sien, et surtout elle tient à conforter le réseau et la confiance des consommateurs réguliers. Aujourd’hui, se terminent de nouveaux travaux d’agrandissement. On y fêtera les 30 ans de la coopérative l’an prochain. Il faut dire que les coopérateurs sont passés de 50 à 300. Certains ont même prêté de l’argent! La Sowecsom (Société wallonne d’économie sociale marchande) a apporté son soutien financier pour deux tiers de l’emprunt.
Un esprit maison lié au « bio »
« C’est un peu particulier, mais au moment des attentats, on avait l’impression que les clients se sentaient dans un lieu de paix et de confiance. »
Il faut dire qu’ils sont accueillis par une dizaine de collaborateurs (l’équivalent de six temps plein), motivés par le projet. Micheline tient à ce choix, « être là », créer du lien social et satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante avec un éventail de quelque six mille articles. Soutenir les petits producteurs reste un objectif très présent même si, vu la taille actuelle du magasin, il faut faire aussi appel à des grossistes dont l’assortiment est très complet.
« Faire du commerce éthique demande une certaine philosophie, explique Micheline. D’abord de l’honnêteté dans l’information sur le bio vendu et refuser la tolérance d’un pourcentage de pesticides dans le bio (suite à des pollutions non intentionnelles) proposés par l’Union européenne. Ensuite, respecter l’éthique dans les conditions de production, ce qui signifie aussi connaître l’origine de tous les fruits et légumes et s’informer sur les conditions de travail. Certains « consomm’acteurs » ne veulent plus de bio espagnol qui utilise une main d’œuvre nord-africaine sous payée. Il faut aussi penser à la cohérence dans les frais de transport et à l’emballage, par exemple en privilégiant le vrac, même si certains consommateurs sont maladivement inquiets par rapport à l’alimentation non préalablement emballée. D’autres encore épluchent les étiquettes et prennent parfois un nom de substance pour un autre, notamment dans les ingrédients des produits cosmétiques aux noms compliqués. Par contre, on a des clients qui viennent avec leur sac à pain ou des récipients pour éviter les emballages non indispensables. La clientèle est très diverse, et nous l’accueillons comme telle.»
Loisirs improbables?
Fonder et soutenir un projet dans la durée demande énormément d’énergie. « Pas mal de collègues dorment un peu avec leur carnet de commande sous l’oreiller ! C’est vrai qu’on passe beaucoup de temps à ce type de boulot. Je me renseigne sur la possibilité d’adhérer à des réseaux professionnels qui proposeraient une base de produits communs mais où chacun garderait une part d’autonomie dans ses choix. La gestion administrative est un fameux poids aussi. Pouvoir utiliser une base de données commune soulagerait beaucoup ce travail et nous rendrait plus disponibles pour l’accueil et le conseil. Et si j’avais une revendication, c’est que soit diminuée la TVA sur les produits bio ou même qu’elle soit annulée! Je rêve sans doute. Il faut dire que je réfléchis beaucoup à l’avenir, et que je prends du temps à penser à la cohérence et à la philosophie du Temps des cerises et des filières bio!
Il ne reste au consommateur qu’a faire le choix d’encourager les petits producteurs proches de leur terre, les éleveurs respectueux de leurs bêtes et les associations et projets courageux tel le magasin de Micheline et bien d’autres initiatives en tournant leur regard vers ce qui est d’avenir pour l’humanité!