Antisémitisme. La mémoire de la Shoah ne suffit plus.

Alain Finkielkraut insulté (“Sioniste! Retourne à Tel Aviv ! ») ; des tombes juives profanées ; des photos de Simone Veil taguées de signes hostiles… Ces récents évènements ne sont pas radicalement nouveaux. Depuis de nombreuses années, des indices convergents attestent une montée de l’antisémitisme en Europe. Sur internet, dans les écoles, dans les rues, dans les mosquées, dans les meetings politiques, on enregistre des propos hostiles aux Juifs. Ils conduisent parfois à des agressions caractérisées (insultes, vandalismes, attentats…).

Surtout, ils suscitent une forte hausse du sentiment d’insécurité de la communauté juive. Sur base de récentes enquêtes[1], l’Agence européenne pour les droits fondamentaux tire la sonnette d’alarme : les Juifs d’Europe perçoivent l’antisémitisme comme omniprésent dans la vie quotidienne ; ils se disent victimes de fréquentes discriminations, le plus souvent invisibles. Un tiers des répondants déclarent renoncer occasionnellement à assister à des manifestations juives ou visiter des sites juifs parce qu’ils ne sentent pas en sécurité en tant que Juifs ; plus d’un tiers ont envisagé au cours des 5 dernières années d’émigrer en raison de leur sentiment de vulnérabilité ; et près de la moitié craignent d’être victimes d’agressions antisémites dans les 12 prochains mois[2].

Assistons-nous à l’éternel retour de l’antisémitisme européen ? Son regain contemporain peut nous étonner, car on pourrait montrer sans peine que les efforts de lutte officielle contre l’antisémitisme n’ont jamais été aussi importants. La question se pose de savoir ce que nous pouvons faire de plus que les mesures pénales déjà existantes et que les insistantes campagnes de la mémoire, destinées à rappeler à tous les conséquences tragiques de la haine des Juifs.

La lutte contre l’antisémitisme partage avec tous les antiracismes des traits communs, mais elle présente aussi des caractéristiques très particulières en raison de l’histoire européenne. On passerait à côté du problème si on négligeait ces spécificités de la relation entre Europe et judéité. Commençons donc par un petit rappel historique.

L’attitude d’après-guerre

Après la Seconde Guerre mondiale, moment décisif dans la problématique juive et européenne, trois éléments – politique, juridique et culturel – ont redéfini l’attitude des Etats européens démocratiques à l’égard du peuple juif. Ils constituent encore aujourd’hui le socle de la lutte contre l’antisémitisme.

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Jean De Munck


[1] Ces enquêtes ont été conduites auprès de personnes s’identifiant comme juives dans 12 Etats-membres de l’UE, dont la Belgique, en 2012 et 2018.
[2] European Union Agency for Fundamental Rights, Expériences et perceptions de l’antisémitisme. Deuxième enquête sur les discriminations et les crimes de haine à l’égard des personnes juives dans l’UE. Résumé,  mars 2019, https://fra.europa.eu/fr/publication/2019/experiences-et-perceptions-de-lantisemitisme-deuxieme-enquete-sur-la-discrimination
[3] Enzo Traverso, La fin de la modernité juive. Histoire d’un tournant conservateur, Paris : La Découverte, 2013
[4] Comme le dit Enzo Traverso en commentant l’étude de Peter Novick sur la mémoire de la Shoah aux Etats-Unis, op.cit., p. 165.
[5] Ce fut la proposition, rejetée par le président Macron, de députés de la République en Marche (dont Sylvain Maillard) (L’Obs, 18 février 2019). En Belgique, Joel Rubinfeld, cofondateur de la Ligue belge contre l’antisémitisme, a aussi plaidé pour une pénalisation (La Libre, 22 février 2019).
[6] Amar St., Le grand secret d’Israêl. Pourquoi il n’y aura pas d’Etat palestinien, Paris : Ed. de l’observatoire, 2018
[7] Butler J., Vers la cohabitation. Judéité et critique du sionisme, trad. Gildas Le Dem, Paris : Fayard (à venir), 2012.
[8] On lira avec intérêt son ouvrage Réflexions sur la question antisémite, Paris : Grasset, 2018. Pour une introduction vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Q8W006GaPeo
[9] De nombreuses publications témoignent de l’intensification de ce dialogue. Cf. entre autres Dujardin J., L’Eglise catholique et le peuple juif, Paris : Calmann-Levy, 2009 ; Comeau G., Juifs et chrétiens : le nouveau dialogue, Paris : Ed. de l’atelier, 2001 ; d’Ornellas P. & Bensahel J.F., Juifs et chrétiens, frères à l’évidence, Paris : Odile Jacob, 2015.
[10] Séance de l’Assemblée nationale, 23 décembre 1789.
[11] Fraser N., Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, trad. Estelle Ferrarese, Paris : La Découverte, 2005