À l’instar de Greta Thunberg, de nombreuses personnes ressentent de l’éco-anxiété, une angoisse plus où moins forte liée aux questions environnementales. Pour certains, les questions environnementales sont devenues une réelle source de souffrance psychique au quotidien. Témoignages.
“Ce sont des questions, des angoisses, tout le temps. Des réveils nocturnes assez fréquents, avec cette panique autour du réchauffement climatique. Mais comme on a peur de passer pour une folle, on garde tout pour soi.” Tels sont les symptômes de l’éco-anxiété décrits par Lucie, une chargée de communication de 31 ans, pour qui ce stress intense dure depuis un an et demi.
Au départ, tout remonte à de banales recherches sur Internet visant à trouver une alimentation plus saine pour son jeune fils. “En m’informant de plus en plus sur les questions environnementales, j’ai vraiment eu un choc, alors qu’avant cela me paraissait assez lointain“, confie la trentenaire. “Aujourd’hui, je fais très attention, le changement a été radical.”
Cette éco-anxiété, Julien, ingénieur d’une quarantaine d’années, la ressent également depuis environ un an et demi. “J’ai toujours été sensible à l’environnement, mais aujourd’hui c’est vraiment quelque chose qui me pèse au quotidien“, livre ce père de trois enfants. “J’ai cela à l’esprit en permanence : ne plus pouvoir faire plaisir à ma famille sans réfléchir à l’impact écologique de nos actes. Et sans cesse cette arrière-pensée: quel monde va-t-on laisser à nos enfants ?”
85% des Français inquiets du réchauffement climatique
À cause d’un manque de données sur le sujet en France, difficile de quantifier le nombre de personnes qui comme Lucie ou Julien, ressentent une angoisse liée aux questions environnementales. Mais selon François Chauchot, psychiatre libéral et praticien attaché à l’hôpital Sainte-Anne de Paris, ces maux seraient de plus en plus fréquents. “Cette pathologie émerge depuis environ un an. On commence à rencontrer des personnes qui sont très préoccupées à l’idée du réchauffement climatique et de ses dangers : une chose qui n’existait pas il y a 5 ans“, affirme-t-il.
Ces mêmes angoisses sont à l’origine de l’engagement écologique de Greta Thunberg. La jeune icône suédoise de la lutte contre le réchauffement climatique a sombré après le visionnage d’un documentaire sur la fonte des glaces et les ours polaires. “Cela m’a beaucoup atteinte. J’ai commencé à penser à ça tout le temps et je suis devenue très triste“, relatait-elle auprès du New York Times en février dernier. “Ces images sont restées bloquées dans ma tête.”
En octobre 2018, un sondage de l’Ifop indiquait que 85% des Français étaient inquiets du réchauffement climatique. Une proportion en hausse de 8 points par rapport à l’année 2015. Ce taux grimpait même à 93% chez les 18-24 ans. Si cette préoccupation générale de la population ne relève à l’évidence pas directement de l’éco-anxiété, pour certains, les questions environnementales sont devenues une réelle source de souffrance.
“Il y a deux ans, nous avons eu une canicule importante et, soudain, le réchauffement climatique est devenu concret“, se souvient Aurélie, une enseignante de 37 ans. “Cela m’a mis un énorme coup au moral, à en pleurer devant mes enfants. Je pense en priorité à eux, je me dis qu’on n’a pas d’avenir et ça me rend profondément triste“, explique cette Nantaise qui se désespère de voir les émissions de gaz à effet de serre augmenter. “Quand il y a un épisode de canicule je ne le vis pas bien du tout. J’essaie de ne pas le montrer devant mes enfants, mais c’est compliqué quand je vois les nouvelles dramatiques qui tombent sur le climat.”
Éco-anxiété ou solastalgie?
Pour autant, l’éco-anxiété n’est pas reconnue officiellement comme une maladie. L’American Psychological Society y a bien fait référence dans un rapport publié en 2017, évoquant une “peur chronique d’un environnement condamné“, mais elle ne l’a pas intégré dans son Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), ouvrage de référence en psychiatrie.
“Ce n’est pas forcément une maladie mentale, mais plus une forme de sensibilité à l’état du monde”, souligne Alice Desbiolles, une médecin de santé publique spécialisée en santé environnementale, active sur ce sujet. “L’éco-anxiété va regrouper les personnes qui se sentent inquiètes, stressées, tristes et même en colère quand elles constatent les différentes dégradations faites à la planète en raison des activités humaines.”
De son côté, elle préfère cependant parler de “solastalgie”, un terme développé en 2007 par le philosophe australien de l’environnement Glenn Albrecht. Contraction de “solace” [“réconfort”, en anglais] et algie [douleur], le chercheur a mis au point ce concept après avoir observé la détresse de populations confrontées à la destruction de leur environnement. “La solastalgie représente un panel d’émotions plus large que l’anxiété. Ainsi, certaines personnes qui se sentent solastalgiques peuvent connaître des troubles éco-anxieux, mais ce n’est pas nécessairement le cas“, détaille la médecin.
Sentiment d’impuissance
Quel que soit le terme consacré, c’est une forme de mélancolie qu’éprouve Aurélie lorsqu’elle pense au pays de son enfance. “Je me souviens du monde que j’ai connu petite : la Bretagne, ses paysages, ses hortensias, des choses simples… Tout cela n’existera plus pour mes enfants. C’est faire le deuil de ce que l’on a connu avant“, se désole l’enseignante, qui se sent bien démunie face au bouleversement annoncé.
Le constat n’est guère plus optimiste pour Frédéric, un trentenaire toulousain taraudé par l’éco-anxiété depuis plus de 5 ans. “Je suis issu d’une génération où l’on n’était pas alarmiste sur la question climatique. Mais, depuis quelques années, tout cela a changé et je me le suis pris en pleine face“, retrace-t-il. De là à s’informer considérablement sur le sujet aujourd’hui. Voire trop. “Je ressens un besoin important de me documenter par rapport à l’évolution du climat mais, de plus en plus, je me dis qu’il vaudrait mieux que j’arrête pour le bien ma santé mentale.” Alors, depuis sa prise de conscience, le trentenaire toulousain tente de faire son possible, à son niveau. “Mais j’ai l’impression de ne pas en faire assez, lâche-t-il.
“Ces états anxieux s’organisent parfois sous des peurs presque phobiques ou des obsessions, c’est-à-dire y penser beaucoup, être très préoccupé et potentiellement développer des comportements d’évitement“, commente le psychiatre François Chauchot. “La notion de culpabilité est aussi souvent associée à la constitution de l’anxiété. Dans ce cas, c’est se rendre personnellement responsable du réchauffement climatique. Or, c’est assez lourd psychiquement. Ce qui est en cause, c’est notre existence même.”
Effondrement de la civilisation et collapsologie
À cet égard, l’avenir est rarement envisagé sous ses meilleurs auspices. Pour Frédéric, l’effondrement de la civilisation semble inévitable. “Cela ne viendra pas d’un coup, ce sera progressif, mais je ne pense pas qu’on va s’en sortir“, livre-t-il. “Je ressens une difficulté à me construire dans un monde qui se déconstruit. C’est comme un poids, une fatalité qui nous attend à court terme.” Ce mot d'”effondrement”, Lucie y fait également référence lorsqu’elle se projette dans le futur. “J’essaie de ne plus trop y penser, mais je me dis qu’un certain nombre de pays vont s’effondrer. Il y aura des millions de réfugiés climatiques, et quand je vois la manière dont on traite les migrants actuels, j’imagine le pire.” Parmi les scénarios envisagés, celui d’une bataille pour l’accès aux ressources, voire d’une guerre civile.
Un éventail de possibilités détaillé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), un best-seller vendu à plus de 50.000 exemplaires. Les deux auteurs y développent leur concept de collapsologie, un néologisme désignant l’étude de l’effondrement de la civilisation industrielle, et ce qui pourrait lui succéder.
Pour Julie, une élève de première, la découverte du travail de Pablo Servigne a été comme une révélation. “Par hasard, sur YouTube je suis tombée sur une de ses vidéos et je me suis reconnue dedans. Avant, je ne mettais pas de nom dessus, mais j’ai compris que je souffrais d’éco-anxiété et que je croyais à la collapsologie“, raconte-t-elle.
Effondrement ou pas, selon la médecin Alice Desbiolles, l’éco-anxiété pourrait se développer dans les années à venir. “Nous ne vivons que les prémices du réchauffement climatique, donc cela va potentiellement devenir un problème de santé publique”, estime-t-elle. “Certains troubles dépendent de facteurs liés à notre environnement“, complète le psychiatre François Chauchot. “Dans les années 1950, il existait la peur d’une guerre atomique. C’est consubstantiel à la nature humaine, qui doit faire face à une anxiété existentielle.”
Paul Véronique